Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité.

Cuisine et indépendances

Où il est question de jeux, de gsm et de Stéphane De Groodt, alias Maurice.

L’homme, tout comme la femme, ne vit pas que d’amour et d’eau fraîche. Il lui faut aussi des secrets, du pain et des jeux. Surtout lorsqu’il attend l’épidémie si redoutée de  » Tu fais quoi, pour le 31 ? « . Un premier cas venait d’être répertorié, la veille. En attendant, à la table n° 9, une joie loquace, fraîche et acide comme une pomme verte émanait du groupe qui s’était constitué au hasard des places vides et des tables trop remplies.

– Si on jouait ? lança une des attablées. Comme dans le film avec ce grand type-là, le gars au poil rare et au verbe alambiqué ?

– C’est moi, le grand type au poil rare.

– Ne poussez pas le bouchon trop loin, Maurice, lui rétorqua la femme qui avait le jeu aux tripes.

– Pardon, mais c’est moi ! Et je m’appelle Orvoir, ce qui n’est vraiment pas pratique pour lier connaissance.

Alors, l’attablée joueuse acquiesça : oui, à n’en point douter, c’était bien lui, le grand con du cinéma. Un Stéphane machin chose (1)

– On joue ? répéta la femme avec le snobisme hallucinant de celle qui s’empare de la simplicité et fait mine de la découvrir. On pourrait lire les messages, dès qu’un portable sonne, vibre ou clignote !

– C’est le pitch de mon film, ça, grommela ledit grand con.

– On ne vous a pas sonné, Maurice.

Un long pow-wow s’ensuivit, alors que, de l’autre côté du comptoir, une serveuse et sa queue de cheval attendaient la commande – huit bières ! – avant de plonger vers les chopes réclamées. Le temps se balançait en encensoir au bout de cette queue de cheval qui dansait en hypnotisant.

Bertrand, le cuisinier, caché dans une ombre, mordillait le bout de son couteau : alors, comme ça, le grand con avait des vues sur sa Lorelei ? ! Eh bien, il allait jouer, monsieur Cinéma.

Au pas de course, Bertrand s’en retourna à sa cuisine et en ramena quelques-unes de ses inventions, qu’il soumit à la table n° 9 : une roulette russe mangeable, des fourchettes géantes et arquées, des verres siamois et des masques vénitiens. D’emblée, le jeu prit une tournure guerrière. Pas une manche sans qu’un couple ne se déchirât :  » Et c’est qui, cette nénette à moitié nue ? Et c’est quoi, cette invitation à dîner ? Comment ? Un palace pour deux, à Zaventem ? !  »

Les uns après les autres, les portables clignotaient comme de monstrueuses Pythies technologiques surgies d’une saloperie de boîte de Pandore : les gens rougissaient, s’énervaient. Leurs explications étaient embrouillées.  » On va vous laisser « , hasarda une femme.  » On repassera jeudi « , ajouta le mari.  » Ou vendredi.  »

 » Oui, oui, si vous voulez « , bégaya distraitement le vieil Heinrich. Et il se dit, le vieux :  » Les hommes savent-ils que, quand ils jouent aux dames, ils jouent aux échecs ?  »

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film, qui va démarrer à 20h15, sur la Une…

(1) Trois infos dans ce billet : le film Le Jeu, avec Stéphane De Groodt ; un livre de cuisine proposant des jeux mangeables (Edible Games, par Jenn Sandercock) et le concept de Charlotte Brocard qui organise des événements gourmands et malicieux : www.onnejouepasatable.com.

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