Croquez le bon Sandwich !

Avec Monkey Sandwich, le génial et généreux chorégraphe flamand Wim Vandekeybus met du ciné au menu. En accompagnement, sur scène : un danseur nu.

Quand j’étais petit, un voisin a un jour dégivré les pare-brise des voitures garées dans la rue avec un sèche-cheveux…  »  » C’est ça, c’est ça. Monkey sandwich, mon vieux, monkey sandwich ! « … Marquant souvent le scepticisme, la formule anglo-saxonne (pas de traduction française connue) évoque toutes ces rumeurs cruelles, inquiétantes mais sans fondement – un crocodile dans l’étang, des mygales dans les yuccas… – qui hantent occasionnellement les cités. Savoir pourquoi Wim Vandekeybus, l’enfant terrible de la création contemporaine, a choisi cette expression pour titre de son nouveau spectacle n’est pas clair, pas plus que ne l’est, finalement, la signification globale de l’ovni qu’il vient de fabriquer, avec son talent inimitable mis au service, une fois de plus, d’un univers viscéral, instinctif et irrationnel. Un film ? Assurément. Durant nonante-cinq minutes, le spectateur se trouve rivé à un écran où se déroule l’action d’un récit rocambolesque : à Cologne, éc£uré par le peu d’implication de ses comédiens, un directeur de théâtre hyper-exigeant (l’acteur anglais Jerry Killick, épatant) décide de changer de vie et d’aller fonder un hameau dans les polders ( rien que ça !), en compagnie d’un ami père de famille nombreuse (l’Américain Davis Freeman, également excellent). La rupture d’une digue entraînera la mort par noyade de nombreux villageois (dont l’épouse enceinte de Killick) et la fin des illusions pour les survivants…  » C’est l’histoire d’un homme qui veut faire le bien mais cause beaucoup de mal « , résume (énormément) Vandekeybus, 47 ans, et déjà 28 productions à son actif.

Tourné en Allemagne, en Suède et en Belgique avec un budget dérisoire (130 000 euros, financés par Ultima Vez, la compagnie de Vandekeybus), c’est un bijou de drôlerie et de désespoir, servi par des acteurs formidables qui ont visiblement donné leurs tripes et leur temps sans compter – notamment à Bazel (Flandre orientale) où, en avril dernier, cast et crew pataugeaient dans les boues de l’Escaut jusqu’à pas d’heure… Entraîner ses collaborateurs (et les spectateurs, bien sûr) dans sa folie sensible et innovante est l’un des dons incontestés du chorégraphe/ photographe/réalisateur Vandekeybus, qu’on voit d’ailleurs furtivement à l’image, avec sa compagne et son fiston de 18 mois, en figurants.

Mais n’évoquer que ce long-métrage intrigant serait oublier que Monkey Sandwich tire aussi sa force de la présence continue, sur scène et sous l’écran, d’un autre phénomène : Damien Chapelle, 21 ans, ne danse pas. Il ne joue pas non plus. Le jeune performeur liégeois incarne ici un humain basique (il est complètement nu) qui interagit çà et là avec le film, poussant des cris de cochon, se hissant sur des poteaux, bricolant des poupées de papier puis plongeant dans un aquarium géant où il prend la pose, durant d’interminables minutes, du f£tus in utero – renvoyant au thème de la paternité, l’une des principales obsessions de Vandekeybus. Chapelle éructe plusieurs phrases (en russe, anglais, français, néerlandais…) tandis que le film, parlé anglais, est sous-titré dans les deux langues nationales. Mêlant les médias, les légendes urbaines, le vrai et le faux, le rêve et la réalité, Vandekeybus a pris tous les risques de nous servir un snack indigeste. C’est, au contraire, un sandwich un peu trop copieux, certes, mais franchement délicieux.

Monkey Sandwich, jusqu’au 11 novembre, au Koninklijke Vlaamse Schouwburg,à Bruxelles. Info au 02 210 11 12 ou surwww.kvs.be

VALÉRIE COLIN

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