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Crise du coronavirus LeVif/L’Express s’associe à l’UCLouvain.

Je suis très préoccupé des dérives actuelles en matière de libertés individuelles, notamment le droit à la protection de la vie privée. Ainsi, en période de crise sanitaire, il est désormais admis que les opérateurs de téléphonie fournissent des données, qu’on affirme être anonymisées, afin de mieux lutter contre la pandémie…

Alain Strowel, professeur de droits intellectuels et droit du numérique à l’UCLouvain et à l’USL-B :

Le partage de données personnelles comporte des risques pour la vie privée. Il peut toutefois être justifié par la poursuite d’un intérêt légitime ou général, comme la protection de la santé. L’usage doit cependant rester proportionné à la réalisation de cet objectif. On expérimente ou on envisage, en Belgique et ailleurs, trois usages principaux. D’abord, l’usage des données de télécommunication, comme la localisation des téléphones portables, pour cartographier l’importance des déplacements au sein de la population. Comme les données sont anonymisées et agrégées, le risque est limité, et les dispositions protectrices en principe non applicables. De tels jeux de données de géolocalisation ont été transmis par les opérateurs télécom à la task force belge data against corona pour le suivi global des mesures de confinement. Ensuite, on parle d’utiliser ces données pour contrôler le respect de l’isolement par les individus. Voilà qui pose question, car c’est offrir un instrument de surveillance aux autorités, et cela ne peut être exercé que dans de très strictes conditions […]. Enfin, on envisage une application gratuite permettant de retracer les contacts d’une personne. Celui qui installera l’app sur son portable devra donner un consentement éclairé à l’usage de ses données pour des finalités bien déterminées, par exemple l’envoi d’avertissements, un follow-up médical ou le contrôle de la propagation de maladies transmissibles. Les données collectées par l’app pourraient toucher la santé et être sensibles. Soyons prudent. Les libertés de déplacement et de la vie privée sont en jeu et les autorités doivent être impliquées dans la détermination des paramètres d’une telle app. D’autant qu’il faut assurer l’harmonisation et l’inter- opérabilité des solutions, à tout le moins à travers l’Europe, où la liberté de circuler au-delà des frontières est garantie […].

Serait-il possible, après cette crise, de ne plus envisager la croissance comme critère économique performant ?

Marthe Nyssens, professeure d’économie sociale à l’UCLouvain :

Cette question de la croissance, qu’on le veuille ou non, reste la boussole de nos économies. Beaucoup de voix s’élèvent aujourd’hui, et même avant que cette crise du Covid-19 ne survienne, pour changer de  » logiciel « . Cette vision est déjà bien présente dans le discours, mais sa mise en oeuvre au quotidien reste difficile. La question n’est pas  » croissance ou décroissance « , la question est de prendre en considération d’autres indicateurs qui remettront la croissance à sa juste place. Ces mécanismes sont cependant très complexes : il est plus facile de se partager le gâteau lorsqu’il s’agrandit. Ce qui sera loin d’être le cas dans les années qui viennent, avec des taux de croissance faibles. Nous devrons faire des choix avec moins de moyens. C’est une situation inédite. Nous pensions que l’économie dictait sa loi et voilà qu’en quelques jours à peine, tout peut s’arrêter sur décision politique ! Cela donne à réfléchir.

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