Courcelles hésite

Au moment où la Belgique est à son tour montrée du doigt pour sa façon de traiter les Roms, la commune à la périphérie de Charleroi s’apprête à se prononcer sur la création d’un terrain d’accueil. Un enjeu à propos duquel les élus locaux se sont entre-déchirés. Reportage.

Le 30 septembre, les conseillers communaux de Courcelles devront trancher : oui ou non à la construction d’un centre d’accueil pour gens du voyage ? Cela promet un débat houleux. Dans cette commune pauvre de la périphérie de Charleroi, la quinzième de Wallonie en nombre d’habitants (30 000), la polémique n’a cessé d’enfler depuis un an. Le bourgmestre socialiste Axel S£ur, 44 ans, sait d’expérience que la question a tout du chausse-trape.  » Il y a deux sujets dont j’ai peur qu’ils soient abordés au conseil communal : la Palestine et les gens du voyage « , dit-il.

Des gens du voyage, Courcelles en voit passer. Sur une année, au moins dix groupes de caravanes s’arrêtent dans la localité, située en bordure d’autoroute, sur l’axe Cologne-Liège-Mons-Paris.  » Les gens du voyage ont leurs habitudes. Ceux qui séjournent à Courcelles y ont souvent des attaches. D’où le malentendu : on les voit venir d’ailleurs, alors qu’ils sont d’ici « , souligne Ahmed Akim, le médiateur pour les gens du voyage en Wallonie.

Le déclic ? Un beau jour de 2007, Courcelles se retrouve confrontée à quatre occupations simultanées. Un premier convoi de caravanes a établi ses quartiers sur le parking de la gare ; un second, au c£ur de la cité sociale Guéméné-Penfao ; un troisième, à l’arrière du centre culturel, en plein centre-ville ; un quatrième, enfin, dans le zoning industriel, face aux locaux de Johnson & Johnson. Les pontes de l’entreprise pharmaceutique, présents justement ce jour-là pour une réunion internationale, avaient modérément apprécié de voir un campement de  » roulottes  » se dresser devant l’usine… A la suite de cette situation  » à la limite du gérable « , au dire d’Axel S£ur, Courcelles a envisagé la création d’une aire d’accueil permanente pour les gens du voyage.

C’était sans compter sur la guérilla rageuse qu’allait mener le MR local, pourtant partenaire du PS dans la majorité communale.  » D’un point de vue financier, d’abord, ce projet est aberrant « , attaque Caroline Taquin, la chef de file des libéraux courcellois. Cette jeune institutrice, mélange de séduction et de pugnacité, mène la fronde.  » Certaines rues de Courcelles ne sont ni égouttées ni asphaltées. Si on crée un terrain d’accueil, il devra être égoutté, asphalté, relié à l’eau, à l’électricité. On va répondre à tous les besoins des gens du voyage, avant même de répondre aux besoins des citoyens de Courcelles. Et puis, il y a l’insécurité, il faut le dire quand même. Lors d’un passage de gens du voyage, on a plus de problèmes, c’est une réalité.  » Sur son profil Facebook, le ton est plus dur encore.  » Ma commune a d’autres priorités à gérer « , y écrit-elle sans ambages.  » Comment les Roms font-ils pour se payer des grosses cylindrées ?  » lui demandait un habitant, le 17 août. Sa réponse :  » Le bourgmestre te répondrait qu’ils aiguisent des couteaux et réparent des chaises… demandons à la police ce qu’elle en pense 😉 j’ai mon avis sur la question ! ! ! « 

Désarçonné par cette offensive, le bourgmestre a opéré une courbe rentrante. Le 30 septembre, il se bornera à énumérer les avantages et les inconvénients du projet, laissant aux conseillers communaux le soin de décider. L’issue est déjà connue. Le vote se soldera probablement par deux ou trois  » oui « , quelques abstentions, et une majorité de  » non « .  » Je pense qu’on va s’abstenir, annonce Christophe Clersy, chef de groupe Ecolo. Franchement, j’étais peut-être prêt à ouvrir la porte à un terrain d’accueil. Mais depuis un an, certains entretiennent les gens dans leurs peurs et on se retrouve dans une situation où la population est complètement opposée au projet. Mieux vaut procéder pas à pas. Prendre la population de front, ça ne servira à rien. Et puis, soyons de bon compte : trouver un terrain adéquat n’est pas si facile. J’aurais voté oui si on avait une proposition de terrain à mettre sur la table. « 

PS et CDH sont divisés. Mais, chez certains, l’amertume point.  » Je râle « , avoue Philippe Lefebvre, conseiller socialiste. Organisateur du festival Django, grand-messe annuelle du jazz manouche à Liberchies, une localité voisine de Courcelles, il dénonce le  » populisme  » du MR.  » Il y a eu des propos déplacés, voire xénophobes « , soutient-il. Même déception exprimée par Xavier Richard (CDH) :  » C’est malheureux. Et que les adversaires du projet ne viennent pas avec des arguments budgétaires ! En réalité, ça aurait coûté 5 000 euros maximum à la commune.  » La Région wallonne subsidierait à 60 % l’achat du terrain. Quant à l’engagement d’un médiateur chargé à temps plein des contacts avec les gens du voyage, il serait pris en charge en totalité par la Région. Conscient qu’il s’avance sur un terrain miné, Xavier Richard précise toutefois :  » C’est mon avis personnel, ça n’engage pas le CDH. « 

Terrain ou pas, les gens du voyage reviendront à Courcelles. Mais, faute d’accueil approprié, ce sera par le truchement d’occupations  » sauvages « . Sur des prairies, des places ou des parkings qui n’ont pas été conçus pour y habiter, même de façon temporaire.  » Tôt ou tard, redoute Axel S£ur, on risque de voir un gitan s’électrocuter en voulant trafiquer les poteaux d’éclairage pour détourner le courant. Ou un riverain excédé commette une bavure. « 

FRANçOIS BRABANT

 » on les voit venir d’ailleurs, alors qu’ils sont d’ici « 

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