Coupures d’image

La formule 1 et la télévision ne songent pas un instant à se passer l’une de l’autre. Mais la loi de l’offre et de la demande trouble très souvent leur histoire d’amour. Je t’aime, moi non plus

Le journaliste Gaëtan Vigneron a eu beau faire de la résistance, rien n’y a fait: en Belgique aussi, les coupures d’émission au profit de spots publicitaires ont fait leur apparition pendant la diffusion des Grands Prix de formule 1. Prise il y a plusieurs mois par Gérard Lovérius, directeur de la télévision à la RTBF, la décision est d’application depuis le 14 avril, jour du Grand Prix de Saint Marin, qui a donné le coup d’envoi à la saison 2002. Entre le départ et l’arrivée de chaque course, trois ou quatre plages d’annonces très courtes (une minute maximum) sont désormais envoyées sur antenne.

Si la RTBF a dû se résoudre à cette nouveauté, c’est, bien sûr, pour des raisons pécuniaires. Ces dernières années, le coût des retransmissions sportives ont à ce point augmenté qu’ils dépassent désormais le budget dévolu à l’ensemble de la fiction. L’inflation ne concerne pas que le ballon rond. La formule 1, elle aussi, se fait de plus en plus chère. En effet, son mentor Bernie Ecclestone n’est pas un homme tendre en affaires: il a consenti de (trop) lourds investissements dans le domaine de la télévision numérique. Ainsi, la filiale de production qu’il a créée, en 1987 alimente plusieurs satellites (Astra pour l’Europe) relayant des canaux vers les récepteurs de quatre télévisions à péage. Pour cela, 26 semi-remorques sont nécessaires, transportant 110 containers de haute technologie à travers le monde. Cet outil représente la plus grosse partie des… 230 tonnes de matériel nécessaires à l’organisation de chaque Grand Prix. Autres chiffres: le transport outre-mer de ce matériel exige l’emploi de trois Boeing, autant qu’il en faut également pour celui des voitures.

Ecclestone ne semble toutefois pas avoir eu la main heureuse en investissant massivement dans la télévision numérique qui n’a pas récolté le succès escompté. Ni en France (Canal Plus), ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Grande-Bretagne. En revanche, l’homme d’affaires britannique a touché le jackpot avec les télévisions traditionnelles. En 1995, les broadcasting resolutions (accords internationaux concernant les droits de retransmission télévisée) ont encore renforcé son pouvoir. Elles ont alors décidé que tous les droits de retransmission télévisée des compétitions internationales organisées sous la tutelle de la FIA (Fédération internationale automobile) seraient désormais propriété de la fédération, avec laquelle Ecclestone entretient des accords privilégiés. Cette initiative a néanmoins contribué à lui valoir maille à partir avec la Commission européenne. Le 30 juin 1999, celle-ci a initié une procédure formelle d’enquête sur les pratiques de deux sociétés d’Ecclestone (Formula One Administration et International Sportsworld Communicators) et de la FIA, accusées d’entente illégale et d’abus de position dominante. Heureusement pour le premier, l’Italien Mario Monti, successeur du Belge Karel Van Miert au poste de commissaire européen à la concurrence, a calmé le jeu.

En effet, un accord à l’amiable a finalement été trouvé sur la base d’un processus de régularisation en trois temps. D’abord, Ecclestone a dû démissionner de son poste de vice-président de la FIA. Il a ensuite été contraint de vendre la majorité de ses parts de SLEC (Slevica Ecclestone), sa société phare, avant que tous les droits de retransmission télévisée de la Fédération soient cédés à la SLEC remodelée. A cause d’un problème imprévu, cette dernière étape reste toutefois en souffrance. Quelques mois après avoir acheté la majorité des parts de la SLEC, la société d’outre-Rhin EM-TV est passée sous le contrôle du magnat allemand de la presse Leo Kirch, qui s’est immédiatement retrouvé en conflit d’intérêts avec Ecclestone et les constructeurs engagés en formule 1. Le nouveau patron avait, en effet, la possibilité de réserver le spectacle très convoité de la compétition automobile aux téléspectateurs de ses propres chaînes de télévision à péage. Cela menaçait, bien sûr, de restreindre drastiquement l’audience médiatique de la discipline et, par voie de conséquence, l’intérêt des partenaires industriels et commerciaux .

Le récent dépôt de bilan de Kirch Media aidera-t-il à dénouer le noeud? Depuis le 8 avril dernier, en tout cas, les négociations vont bon train. Dorénavant détentrices des actifs de Kirch, les banques allemandes ont proposé 30 % des actions de SLEC à l’Association des constructeurs européens d’automobiles (regroupant BMW, Daimler-Benz, Ford, Fiat et Renault), qui s’est empressée de répondre que, pour ce prix-là, non divulgué, elle souhaitait obtenir… 80 % des parts. Il est vrai que les marques ont un sérieux atout dans leur jeu. Elles ne sont pas liées contractuellement au-delà de l’année 2007 à la formule 1 qui, sans elles, s’apparente à une coquille vide. Rien ne les empêche donc d’organiser à partir de 2008 un championnat de substitution qui, aux yeux du grand public, n’aurait de nouveau que le nom. Une société a d’ailleurs été récemment créée en ce sens à Amsterdam. Une menace?

Christophe Engels

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