Coup de vent sur Avignon

Après le succès fracassant de ses Déferlantes, la discrète Claudie Gallay nous entraîne dans un festival emporté par la bourrasque des grèves de 2003.

Un petit verre de blanc comme pour se donner du courage face à l’interviewer. Nul doute, Claudie Gallay ne prise guère l’exercice.  » Ce n’est pas ma place « , explique la romancière aux yeux bleu persan, qui entame la  » promotion  » (jamais vocable aura paru aussi peu approprié) de L’amour est une île. On s’étonne. Tout n’a-t-il pas été chamboulé depuis deux ans, depuis le succès phénoménal de ses Déferlantes et le déchaînement des rencontres, enclenché ?

 » Vous savez, on ne change pas, on peut évoluer, mais le terreau reste.  » Claudie Gallay humecte ses lèvres du nectar blanc. Il fait chaud en ce mois d’août à Avignon, même à l’ombre du paisible jardin de La Mirande, l’un des plus délicieux hôtels de la cité des Papes et personnage à part entière de son dernier roman. Car c’est bien ici, dans la ville refuge de son premier amour, qu’elle a planté son décor. Au c£ur du festival 2003. Un millésime plein de cris et de fureurs, la grève des intermittents du spectacle ayant entraîné l’arrêt du  » In  » et une cacophonie sans précédent. Claudie Gallay l’a vécu, subjuguée par  » la violence de ce conflit entre des gens qui avaient la même passion. Tout était à vif, se souvient-elle, d’autant que la canicule s’est abattue sur nous « . Et c’est ce climat ( » Il est aussi féroce que celui de la Hague, avec ses hivers glacials, son vent traversant, son soleil qui brûle et son bleu du ciel impitoyable « ), qui s’insinue dès les premières lignes :  » La chaleur est étouffante. Les arbres souffrent, même ceux qui ont les racines dans l’eau. [à] Tout a soif cet été, la terre, le ciel. « 

Peut-on aimer et jouer en même temps ?

Les hommes souffrent aussi, notamment Odon Schnabel, metteur en scène et directeur de théâtre qui vit avec angoisse le retour de la célèbre comédienne Mathilde Monsols (dite la Jogar), avec qui il a noué une folle passion cinq ans auparavant. Auréolée de son statut de star, la Jogar, hébergée à La Mirande, s’interroge : ira-t-elle rendre visite à son père, sombre notaire qui n’a jamais accepté la vocation de sa fille ? Rencontrera-t-elle Odon, délaissé pour se consacrer entièrement à son métier ? Comment se dérouleront les représentations de Sur la route de Madison ? Marie, 20 ans, débarque, elle aussi, à Avignon. Mais pour la première fois et en stop. Elle vient découvrir la pièce écrite par son frère Paul juste avant sa mort et mise en scène par Odon.

Aux côtés de ces trois principaux protagonistes apparaissent quelques personnages secondaires – jamais vraiment secondaires chez Claudie Gallay : Julie, la fille d’Odon, actrice dans la troupe paternelle ; Odile, la s£ur d’Odon, qui se débat avec ses quatre enfants nés de quatre pères différents ; Isabelle, la tante de Mathilde et mémoire du festival, qui voue un culte à Gérard Philipe ; ou encore Bernard Noël, le curé joueur d’échecs, Jeff, l’ancien repris de justice homme à tout faire, Big Mac, le crapaud nageur, le Rhône, très vivant ( » Il fait la respiration de la ville « )à Les chapitres se succèdent, rapides, vifs, comme des saynètes de théâtre :  » Alors qu’ils épousaient le rythme des marées dans Les Déferlantes, j’ai choisi tout naturellement ici une forme haletante. Il fait chaud, on n’a pas envie de s’attarder.  » Et ça fonctionne ! La tension monte dans la ville, les théâtres ferment, les flyers, inutiles, jonchent le sol, les êtres se déchirent, tandis que Marie,  » ange écorché « , piste les coupables de la mort de son frère, suicidé avant de connaître les honneurs.

Claudie Gallay n’est jamais montée sur les planches, mais a longuement conversé avec comédiens et vieilles Avignonnaises contemporaines de Jean Vilar. Faut-il mener une grève, même justifiée, au détriment de la création et du travail ? Peut-on aimer et jouer en même temps ? être heureux et être un grand acteur ? A qui appartient un texte ? à celui seul qui le compose ou, aussi, à celui qui le réécrit, le transfigure, lui donne chair ? Les questions se multiplient, souvent graves, mais tout en légèreté. La comédie festivalière se mue en drame. On ne danse plus à Avignon.

 » La seule manière de se délivrer d’une tentation, c’est d’y céder « , disait Oscar Wilde. Claudie Gallay a succombé à sa tentation d’Avignon, cette ville tour à tour  » insupportable et attachante, superficielle et émouvante « . Sereine, elle le serait presque aujourd’hui. Son verre est vide depuis longtemps. Elle va bientôt se retirer. Et qui sait ? Peut-être bien vers la pluieà

L’amour est une île, par Claudie Gallay. Actes Sud, 352 p.

M. P.

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