Coup de gueule

Misant à la fois sur son talent de romancier et sur son expérience de juge d’instruction à Bruxelles, Michel Claise lance un vrai coup de gueule sous les espèces d’un thriller captivant et éclairant. En cause : la fraude financière, moins risquée et tellement plus rentable qu’elle ridiculise les archaïsmes brutaux du braquage à main armée. Les faits – fictifs mais exemplaires – ont la France pour cadre, mais n’auraient aucun mal à se sentir à l’aise chez nous. Un avertissement préalable pour le lecteur alléché par l’exposé des mécanismes : Claise démonte et remonte une arme démilitarisée dans la mesure où il manque des pièces discrètes, mais essentielles pour qu’elle ne pète pas à la figure des candidats au crime financier. La fiction repose sur les épaules de Frédéric Gallieni, victime, au départ d’une  » carambouille « . Une escroquerie qui, en gros, consiste à mettre en confiance un fournisseur par des commandes de plus en plus juteuses jusqu’à ce que, au terme d’une transaction pharaonique, le pigeon fasse la culbute sur un chèque en bois. Ruiné, Gallieni se lancera lui-même dans cette pratique avant de passer à celle du  » carrousel  » (d’où ce surnom de  » Forain « ). Soit une cascade d’opérations commerciales et bancaires menées à grand renfort de sociétés fantômes et d’hommes de paille, pour in fine centrifuger le montant colossal de la recette TVA vers un paradis fiscal plutôt que dans les caisses de l’Etat. Claise, au passage, souffle à son  » héros  » une formule dont l’humour porte sa marque :  » Gagner de l’argent, c’est bander, mais en roulant le fisc, c’est jouir « . Si le modusoperandi est finement détaillé par un expert en la matière, l’auteur n’en néglige pas pour autant l’aspect humain d’une intrigue riche en éléments romanesques et où les personnages souvent attachants ne sont pas seulement les rouages d’une arnaque. Cela dit, s’il ne peut que réprouver leurs agissements, ce n’est pas à eux que s’adresse le vrai coup de gueule. Ni aux policiers ou aux magistrats qui ont fait leur travail dans les limites des (faibles) moyens dont ils disposent. Mais bien – c’est un policier qui parle – aux  » puissants qui veulent ignorer l’ampleur du problème  » et qui  » par fainéantise ou par imbécillité « , à moins que ce ne soit pour  » éviter les vagues « , refusent le risque de combattre vraiment un chancre bien plus socialement dévastateur mais moins médiatique que la criminalité de sang. Comme quoi un bon roman peut être aussi un brûlot politique futé et nécessaire.

Le Forain, par Michel Claise. Luce Wilquin, 220 p.

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