Harry Gruyaert choisit de photographier Las Vegas de jour pour éviter le charme facile et racoleur des avenues noyées de lumière artificielle. Le soleil révèle davantage la beauté et la vulgarité, et surtout il fait vibrer ces couleurs éclatantes qui sont la traduction chromatique du plaisir sans limite qu'incarne la ville du péché, mais qui l'emprisonnent dans le même temps dans une forme de théâtralité factice où les êtres humains sont réduits à l'état de figurants.

Couleur locale

Le photographe belge Harry Gruyaert raconte la vie de part et d’autre du rideau de fer avec la puissance expressive de son regard chromatique. Choc idéologique et esthétique.

Belge de naissance, parisien d’adoption mais surtout inlassable bourlingueur, le photographe Harry Gruyaert fixe les reflets du monde sur pellicule Kodachrome depuis les années 1960. Un parti pris esthétique audacieux tant la couleur était considérée à l’époque comme un genre photographique mineur, tout juste bon à maquiller la publicité ou à raviver les souvenirs de vacances. L’histoire finira par lui donner raison, même si son entrée en 1981 dans le saint des saints, l’agence Magnum, provoquera encore quelques aigreurs d’estomac chez les puristes maison du noir et blanc. D’autant que, biberonné au cinéma d’Antonioni et à la peinture de Brueghel et de Goya, cet impressionniste ne s’est jamais considéré comme un photojournaliste. Son instinct est sa boussole. Et la sensualité de l’ordinaire sa muse. Démonstration éclatante et hypnotique avec East/West (1), coffret de deux livres exposant en miroir le quotidien des ennemis idéologiques d’hier : le Los Angeles et le Las Vegas de 1981 d’un côté, le Moscou de 1989 de l’autre. Voitures, piscines, motels et malls à l’Ouest, babouchkas emmitouflées, magasins rationnés et poitrines bardées de médailles à l’Est, conformément aux idées reçues, sauf que les compositions au cordeau et les incroyables jeux de lumière et de couleurs du regard empathique de Harry Gruyaert transcendent cette grammaire figée pour laisser affleurer de part et d’autre une même mélancolie douce-amère. Comme deux poèmes visuels à la beauté triste.

Par Laurent Raphaël

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire