Cavalleria rusticana, de Pietro Mascagni, un des deux chefs-d'oeuvre de l'art vériste présentés à la Monnaie. © LA MONNAIE

Contes cruels

Cavalleria rusticana + Pagliacci : deux oeuvres courtes, données ensemble à La Monnaie, où amour ne rime plus du tout avec toujours. Bienvenue en Sicile !

La morsure se déroule en pleine fiesta pascale, au milieu des enfants qui courent, du syrah qui coule et des tréteaux qui croulent sous les piles colorées de cassates – du nom de ce gâteau glacé typiquement sicilien. Furtive autant qu’étrange : quand Turiddu comprend qu’Alfio réclame vengeance, le premier étreint le second… en lui serrant l’oreille entre les dents ! Totalement incompréhensible ici et maintenant, cette vieille coutume sicilienne, qui signifie que l’amant accepte que le mari trompé lave l’infamie en duel, donne résolument le ton : Cavalleria rusticana (1890) de Pietro Mascagni (dont est tirée cette scène  » cannibale « ) et Pagliacci (1892) de Ruggero Leoncavallo, que La Monnaie présente couplés, sont bien des chefs-d’oeuvre de l’art vériste, profondément ancré dans l’évocation des couleurs et des moeurs locales. Un genre à part, l’équivalent lyrique et italien du naturalisme littéraire de Zola, qui a produit, à la toute fin du xixe siècle, une cinquantaine d’opéras, dont seuls Cav et Pag, comme on les nomme aujourd’hui, sont passés à la postérité…

Four incandescent

Dans le panificio (boulangerie) un peu crade du village, les néons grésillent, près de la Sainte Vierge, et des nuages de farine volent autour des pâtons. Une Fiat décapotable roule de cour à jardin… Les détails et le souci de vraisemblance comptent, ici, pour que chacun se sente plongé, deux fois 1 heure 20, dans le sud de cette péninsule populaire et violente, où les codes d’honneur de la  » chevalerie rurale  » semblent n’avoir jamais cessé de transformer le moindre adultère banal en drame national. Installés sur des plateaux tournants, qui dévoilent tour à tour l’espace public et l’intérieur des bâtiments, les décors hyperréalistes de cette coproduction (conçue d’abord pour Covent Garden, en 2015) confèrent au diptyque un impact émotionnel quasi viscéral. L’ingénieuse mise en scène de Damiano Michieletto mêle intimement les deux histoires (qui n’ont en commun, à un siècle de distance, que les thèmes de la colère et de la rancoeur sanglante) en faisant paraître certains solistes du premier opéra dans le second, et inversement. Au détour d’une ruelle, la nuit, le public découvre ainsi dans Cav, bien avant leurs rôles, les amoureux coupables de Pag ; plus tard, il y retrouve deux héroïnes de Cav, Lucia (joliment interprétée par Elena Zilio), la mère de Turiddu, et Santuzza, sa compagne délaissée (Eva-Maria Westbroek et Alex Penda, en alternance), mimant une possible réconciliation autour d’une probable grossesse – fragile note d’espoir, au milieu du tragique absolu de ces contes cruels ordinaires.

En coulisse ou au coeur même des rixes, les choeurs, sous la baguette impétueuse d’Evelino Pidò, sont eux aussi à la fête, même si elle tourne au désastre. Car, masculines ou féminines, ces passions brutes incontrôlables conduisent inexorablement à des meurtres prémédités. Crue comme les miches qui s’apprêtent à cuire dans le four incandescent, la souffrance des partenaires cocufiés contraste magnifiquement avec la joie paysanne. Le souffle court, on guette l’issue de ces fureurs en roue libre, en espérant que l’une, ou l’autre, échappera au destin. En vain. Maudites Pâques, va !

Cavalleria rusticana, de Mascagni, et Pagliacci, de Leoncavallo, à La Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 22 mars. www.lamonnaie.be

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