Autrefois catholique, Kinshasa est en train de virer sa cuti sous l’influence des prédicateurs, plutôt en verve, du mouvement pentecôtiste. « Culte miracle », dimanche à Matonge

« O peuple ardent, par le labeur, nous bâtirons un pays plus beau dans la paix »: la bonne parole est inscrite sur les uniformes hauts en couleur des « serviteurs de Dieu ». Les autres fidèles, en tenue occidentale ou en « libaya » (robe traditionnelle), sont quelque 2 000 à se presser dans l’amphithéâtre de l' »Armée de l’Eternel », une des 700 Eglises du réveil officiellement répertoriées à Kinshasa.

11 heures. Le deuxième des trois services dominicaux commence. Sur scène, trois chanteurs et autant de musiciens, à la batterie, à la guitare électrique et au clavier. Ça démarre sur des rythmes africains mâtinés de rock. L’assemblée chauffée à blanc, le premier prédicateur peut débouler. Exhortés à la prière, les fidèles se lèvent, chantent en lingala (langue des Kinois) ponctué d’alléluias et d’hosannas, puis s’adressent bruyamment à Dieu, les yeux fermés ou les bras levés vers le ciel, dans des sabirs inintelligibles. La capacité de parler dans de « nouvelles langues » constitue, avec l’imposition des mains aux malades et la chasse des démons « au nom de Jésus », l’une des trois caractéristiques empruntées par les Eglises congolaises du réveil au mouvement pentecôtiste de tradition nord-américaine.

Midi. A l’invitation du prédicateur, les fidèles se serrent la main en signe de bienvenue. Ensuite, le premier prêche démarre: « Que les femmes se taisent dans les assemblées (…), qu’elles soient soumises, comme le dit aussi la loi » (épître aux Corinthiens). En lingala ou en français, le prédicateur prend un malin plaisir à commenter quelques-uns des versets les plus misogynes de la Bible. Autre morceau choisi: « La femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l’autorité dont elle dépend » (épître aux Corinthiens). Après ce plaidoyer pour la soumission féminine, place à la « chorale des mamans », toutes voilées comme il se doit et sous la direction d’un mâle. D’émotion, l’une des choristes en perd une partie de son double pagne.

12 h 45. En l’absence du général Sony Kafuta Rockman, véritable star de l' »Armée de l’Eternel », en déplacement à l’étranger, le pasteur Moïse se lance, en duo, avec son interprète en lingala, dans une paraphrase du livre de Job, qui « avait attrapé une maladie pire que le sida », avant d’enchaîner avec la fuite en Egypte et la guérison de l’aveugle. Tels des frères jumeaux, chemise immaculée, cravate grise et gilet noir, le tandem se livre à un grand numéro théâtral, entre le conte africain et la pantomime. Tout y passe, des anges déchus « qui ont adhéré au parti politique de Lucifer », aux sorciers et à la malédiction, en passant par un « Dieu de compétition ».

Nouvelles prières psalmodiées en « langues nouvelles », nouveaux serrements de mains, succession d’applaudissements nourris, d’intermèdes musicaux tonitruants, sous l’oeil infatigable de caméras qui retransmettent l’office en direct sur la radiotélévision de l' »Armée de l’Eternel » (RTAE), l’une des cinq chaînes religieuses animées, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, par les Eglises du réveil.

14 heures. Pour le « moment le plus important de la vie », le pasteur Moïse s’avance près des gradins, rejoint par un « serviteur de Dieu » portant un sac de toile d’une capacité de quelque… 100 litres. « Chacun va donner selon sa foi », mais, d’abord, en devises étrangères. Ceux qui possèdent des dollars et des euros sont invités les premiers à venir déposer leur offrande, avec ostentation, au pied de l’autel. Pour la « dîme en francs congolais », le prédicateur procède comme à une vente aux enchères à l’envers: « 1 000 francs congolais (3,6 euros), tonne-t-il, 800 francs… » Il s’arrête à 200 francs. La file des donateurs commence alors à s’allonger.

Mais ce n’est pas tout: on collecte ensuite pour « les frères et les soeurs de Goma », victimes de l’éruption volcanique dans le nord-est du Congo, puis pour l’achèvement de l’amphithéâtre kinois en construction. On termine par la vente de bibles. Précision: le pasteur Moïse ne fait pas crédit.

14 h 30. Après une dernière salve d’applaudissements, de prières et d’empoignades, le culte est dit. Quelques enfants se sont endormis sur les genoux de leur mère. Journaliste en congé de maladie, Joseph-Christophe est sous le charme: « Les prêtres catholiques nous disaient que la sorcellerie n’existe pas, alors que nous autres, Africains, nous l’expérimentons tous les jours! Les pasteurs, eux, nous aident à combattre les forces du mal par la prière. »

Dans un pays ruiné par les combats, les exactions et la corruption, les Eglises du réveil n’ont aucune difficulté à s’épanouir. Le pasteur Moïse estime qu’elles touchent actuellement quelque 60 % des Kinois. La percée remonte aux années 1960. Mais le phénomène a pris toute son ampleur, deux décennies plus tard, quand l’Etat a renoncé à poursuivre des prédicateurs faisant figure de martyrs et a demandé au mouvement pentecôtiste de se structurer. Depuis, à Kinshasa, une ligue protestante rassemble les Eglises du réveil, fondées par des Congolais et indépendantes de leurs « soeurs » nord-américaines.

Le pasteur Moïse en est le secrétaire général. Sa vocation tient de l’histoire de famille. Son grand-père était déjà pasteur, mais de l’Eglise presbytérienne; son père était évêque pentecôtiste. Titulaire d’une licence d’anglais et d’une autre en culture africaine de l’université du Zaïre, le pasteur Moïse a en outre étudié deux ans, en Zambie, dans une école biblique, puis neuf mois à Singapour, dans un institut américain de formation de leaders chrétiens pour le tiers-monde.

« Tous les jours, nous sommes près des gens, au coeur des quartiers avec les veuves, les orphelins, les prostituées et autres indigents », ajoute encore le pasteur Moïse. Et de terminer par une pique bien ciblée: « Nous, nous ne nous enfermons pas dans des couvents. » Pas très fair-play de la part de l’Esprit saint?

Dorothée Klein

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