" J'ai découvert qu'on avait une vie intérieure, que la solidarité était indispensable à la survie. " © PABLO GARRIGOS/BELGAIMAGE

Confinement : voir le positif

J’ai 74 ans et vis mon deuxième confinement. J’avais 15 ans, l’âge de mes petits- enfants, lorsque nous fûmes  » assiégés  » par les troupes de l’ONU au Shaba (province du Congo). Nous étions deux familles à la maison ; dès que l’on mettait le nez dehors, des snipers nous tiraient dessus. Notre voisin a d’ailleurs été tué. Comment passions-nous notre temps ? Nous n’avions ni télé, ni smartphone, ni portable, ni Internet… Au début, mon frère et moi avons mis de l’ordre dans notre chambre et dans nos cours, lavé les carreaux et reçu les félicitations de nos parents. Un autre point positif, c’est que j’ai revu mes cours en lisant mes livres scolaires et j’ai enfin compris la physique et la géométrie qui m’étaient jusqu’alors totalement hermétiques. Heureusement, il y avait les livres et un ami m’a appris à souligner les réflexions, les pensées qui donnaient sens à la vie, à les apprendre par coeur. Cela m’a donné l’idée d’écrire un journal intime que j’ai perdu, hélas, au cours d’un des nombreux déménagements qui ont jalonné ma vie. Après une dizaine de jours, nous avons été envahis et pillés par les soldats. Grâce à un lieutenant érythréen, nous pûmes nous échapper et nous réfugier chez une autre famille, où s’en trouvaient déjà deux autres. Les quinze jours suivants furent plus faciles pour nous car nous étions plusieurs ados. Nous jouions au Monopoly, aux cartes, nous échangions nos pensées… Ce sont les parents qui se débrouillaient pour l’intendance – les hommes rampaient la nuit dans les maisons abandonnées pour trouver des vivres, les mamans se creusaient la cervelle pour faire la cuisine. Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression d’être isolée. J’ai des enfants qui me téléphonent, des voisins qui proposent de faire mes courses, un ordinateur qui me permet de voir des vidéos, d’échanger avec mes petits-enfants qui sont tellement éloignés, des amis disséminés un peu partout en Europe. Alors, j’ai de la chance. Mes deux confinements m’auront beaucoup apporté : j’ai découvert qu’on a une vie intérieure, que la solidarité est indispensable à la survie, qu’il y a autant d’avis que d’individus. Et je suis devenue un peu plus tolérante. Je vous souhaite de pouvoir trouver, vous aussi, ce qui peut être positif dans cette épreuve.

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