Confessions de traders

Licenciements massifs, bonus en berne et pluie de critiques : le métier des enfants gâtés de la finance n’est plus ce qu’il était. Repentis, rentrés dans le rang ou toujours en activité, ils témoignent.

Les temps sont durs pour les traders. Voilà quelques semaines encore, ils étaient les maîtres de l’univers, accumulant avec la même désinvolture vorace voitures de sport, conquêtes féminines et millions de dollars. Mais il aura suffi d’une poussière, les prêts subprimes, pour que le carrosse de l’économie mondiale se transforme en citrouille. Le 15 septembre 2008, c’est en larmes, et emportant pour tout bagage de simples cartons, que les jolis garçons de Lehman Brothers quittaient la banque, déclarée en faillite.

Depuis lors, les traders sont aussi déraisonnablement voués aux gémonies qu’ils ont été portés aux nues. Accusés d’avoir joué – et perdu – l’argent du contribuable au grand casino des marchés financiers. Cibles de critiques et moqueries en tous genres : des publicitaires qui les parodient en alcooliques anonymes, incapables de contrôler leurs pulsions spéculatives, aux étudiants réclamant  » moins de traders et plus de chercheurs « , jusqu’au Journal de Mickey : dans une récente aventure de Donald, Onc’ Picsou, en colère contre son neveu, se met à l’invectiver :  » Espèce de déséquilibré, sabordeurà trader !  »

Mais les ennuis des golden boys ne se limitent pas à ces jets de tomates. Le rapport de force avec leurs employeurs, qui leur était jusque-là extrêmement favorable, s’est inversé à la vitesse de l’éclair. En quelques mois, ce sont plus de 500 000 emplois qui ont été sabrés, à New York, Londres et Paris, dans le secteur de la finance. Le marché de l’emploi est totalement gelé. Quant à ceux qui ont gardé leur job, ils vivent souvent dans la terreur de la sonnerie du téléphone, qui peut les avertir à tout moment qu’ils vont à leur tour devoir faire leurs cartons.

 » Aujourd’hui, le bonus, c’est de conserver son emploi.  » Dans les salles de marché, la formule revient en boucle dans les conversations.  » Compte tenu des circonstances, la plupart sont prêts à comprendre que leurs primes soient en forte baisse « , confirme Eugène Burghardt, responsable d’activités de marché. Pour 2008, les parts variables sont, selon l’Agefi, en chute de 50 à 60 % par rapport à l’année précédente. De quoi réfrigérer l’ambiance déjà bien fraîche des salles de marché.  » D’autant que beaucoup ont cru que les bonus mirobolants étaient éternels, témoigne un trader. Du coup, ils se sont mis de gros crédits sur le dos, qu’ils ont aujourd’hui le plus grand mal à rembourser.  » Pour la première fois depuis un siècle, un prêteur sur gages a même fait son apparition dans la City le mois dernier, qui récupère les Rolex et les Breitling des traders en manque de liquidités.

La potion est d’autant plus amère que, dans la panique qui a suivi l’effondrement des marchés, les versements de bonus ont donné lieu à moult acrobaties, sans grand rapport avec l’objectif initial de récompenser la performance. Ce fut, par exemple, le cas chez Merrill Lynch, reprise l’an passé par Bank of America après avoir affiché 27 milliards de dollars de pertes. Cet épisode n’a pas empêché John Thain, l’ancien PDG de la banque d’affaires, de verser secrètement 3,6 milliards de bonus à ses hauts cadres, alors que ceux de Bank of America ont dû se serrer la ceinture.

Les traders sortent groggy de ces huit mois de tempête financière.  » Pour beaucoup, la période est d’autant plus violente qu’ils n’avaient jamais eu l’occasion de se remettre en question « , témoigne Bénédicte Haubold, fondatrice d’Artelie Conseil, engagée en urgence par deux banques françaises pour conseiller des managers dépassés par les conséquences de la crise sur la psyché de leurs troupes.  » Les traders qui restent sont dans des scénarios de survie, ajoute-t-elle. Ils ont recours à des mécanismes de défense très archaïques et brutaux.  » En clair : chacun pour soi. Et si certains font le gros dos en attendant de voir une hypothétique lumière au bout du tunnel, l’heure, pour beaucoup, est à la remise en cause. Ceux qui ont déjà constitué leur pelote bifurquent souvent vers des secteurs de la finance moins stressants, comme la gestion d’actifs. Certains s’envolent vers le Moyen-Orient ou l’Asie, où quelques recrutements ont encore lieu. D’autres, enfin, plus rares, en profitent pour se lancer dans une activité considérée comme plus constructive, plus créative ou plus utile. Tel ce trader parti rejoindre une ONG au Kenya. Pour tous ceux-là, les bonus ne font définitivement plus partie du paysageà

benjamin masse-stamberger

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