COMMUNES WALLONNES

Au pain sec et à l’eau, les communes sont-elles les dindons de la farce fédérale? En Wallonie, leur ministre de tutelle, Charles Michel, promet des réformes. Les résistances ne manquent pas

L’expression du malaise est variable. Dans telle commune, on insiste sur la dèche du CPAS. Dans telle autre, étourdie par la conjonction de facteurs défavorables, le budget 2001 n’a même pas encore été bouclé (« mais il sera difficile de camoufler le dérapage financier, c’est sûr »). Ici, on peste sur les véhicules de police, poussifs, dont personne n’envisage de financer le remplacement, malgré les 200 000 kilomètres attestés au compteur. Là-bas, on pleure l’impossible investissement dans le domaine social ou culturel – pourtant crucial – « pour donner un peu de vie à la cité et éviter que les jeunes traînent dans la rue ». Ailleurs encore, les mandataires communaux sont bien obligés d’augmenter les taxes ou les impôts. Une chose est certaine: « Cela fait quinze ou vingt ans que la situation financière des communes n’avait plus été aussi préoccupante », admet un ministre wallon, résumant le sentiment général. Pour exprimer leur profond désarroi, plusieurs dizaines de bourgmestres sont même descendus dans la rue. C’était en février, à Namur. Une première en Belgique…

Noir sur blanc, les indicateurs financiers ne peuvent mentir. Créé pour chiffrer les difficultés et tenter d’y répondre, le nouvel « observatoire wallon des finances communales », pluraliste et indépendant, estime que la situation est très sérieuse. Les analystes de Dexia (ex-Crédit communal) sont plus alarmistes encore. A politique inchangée, un rapport de la banque des communes prévoit un déficit global de 40 milliards de francs, d’ici à 2006, pour l’ensemble des communes wallonnes. Du reste, les autres régions n’échappent pas à la sinistrose ambiante. Des maïeurs bruxellois raniment le spectre des années de galère. A Anvers, un plan d’économies vient d’être décrété dans l’urgence, histoire de faire mentir les mauvais augures: sans cela, la Métropole semblait promise à un déficit de 10 milliards dans les cinq ans! En Wallonie, le ministre de tutelle Charles Michel, en charge des Affaires intérieures, ne minimise pas le danger. Pour la seule année 2001, le jeune libéral annonce un déficit total de 2,5 milliards pour les 262 communes wallonnes et actionne lui-même le signal d’alarme.

Quelles sont les raisons de cette brusque dégradation des finances locales? L’exercice 2001 semble être celui de toutes les ruptures. Au même moment interviennent le tassement des recettes, le gonflement des dépenses et le niveau de vie trop élevé de certaines communes (un phénomène classique au lendemain d’élections). Les taux d’intérêt ne sont plus ce qu’ils étaient (en hausse, donc), les coûts de l’énergie ont flambé et les bénéfices tirés lors du rapprochement entre le Crédit communal et le Crédit local de France n’ont eu qu’un doux effet conjoncturel, déjà oublié. Plus sérieux, encore: les communes wallonnes font les frais de décisions prises en amont, à d’autres niveaux de pouvoir (fédéral, surtout). Leurs moyens financiers stagnent, mais leurs missions ne cessent de s’étendre. Il en va ainsi de l’accueil des réfugiés, par exemple: sur simple décision administrative, les Centres publics d’aide sociale (CPAS) des communes sont contraints de subvenir aux besoins d’un nombre croissant de candidats réfugiés. Si un logement peut leur être offert, l’opération est totalement financée par l’Etat fédéral. Sinon, l’indemnisation ne dépasse pas les 50 %. D’autres coûts cachés sont redoutés suite à la réforme des polices, tandis que les communes continuent à payer la générosité d’une « révision générale des barèmes » qui a permis aux agents locaux wallons de figurer parmi les fonctionnaires les mieux payés du royaume! Dans la même veine, les communes découvrent le revers de la médaille d’une (nécessaire) revalorisation financière de leurs mandataires. Depuis le 1er janvier, le pouvoir fédéral a décidé de revoir à la hausse les rémunérations des bourgmestres et des échevins, principalement dans les petites entités, où les élus s’échinaient parfois pour une bouchée de pain. Résultat de ce noble geste: des dépenses dites « ordinaires » alourdies de 3 à 4 % dans les communes de moins de 5 000 habitants. Tout cela sans compter les prochains épouvantails des échevins des Finances: la baisse d’impôts prévue dans le cadre de la réforme fiscale du ministre fédéral Didier Reynders limitera forcément les recettes des communes (une part de l’impôt fédéral leur revient) et la prochaine libéralisation du marché de l’électricité devrait réduire sensiblement les dividendes payés aux communes par les intercommunales (leur part de marché risque d’être écornée par l’arrivée de partenaires privés). De quoi nourrir la colère des maïeurs wallons, qui s’estiment pressés comme des citrons (lire l’encadré ci-contre)

Pour faire face aux déficits, qui menacent de devenir chroniques, le ministre Michel a pris son bâton de pèlerin. Tant au niveau fédéral que régional, il s’est mis en quête des milliards requis pour éponger l’ardoise. Dans un premier temps, les budgets déficitaires seront passés au peigne fin, y compris par des experts universitaires. Des villes ou des communes sont suspectées de légèreté. Avant les élections, une ville hennuyère aurait exécuté d’importants travaux d’embellissement des écoles… sans disposer de la ligne budgétaire adéquate. Une commune riche du Brabant wallon aurait été gérée à la petite semaine. Des bourgmestres n’ont pas hésité à gonfler leurs cabinets et à utiliser le personnel communal à des fins clientélistes. Etc. Toutes ces entités subiront les foudres d’un audit. Pas question, semble-t-il, d’aider sans discernement les canards boiteux et de pénaliser les bons gestionnaires. Dans les prochaines semaines, le gouvernement wallon devrait ensuite dégager une enveloppe d’aide exceptionnelle. En cours d’exécution, dit-on à Namur, le budget 2001 de la Région wallonne dégagerait une marge financière de 2,5 milliards de francs, à répartir entre les différents départements ministériels (Emploi, Economie, Environnement, Travaux publics, etc.). S’il obtient 1 milliard pour les communes en difficulté, Charles Michel devrait être satisfait.

L’autre intervention d’urgence est espérée au niveau fédéral. Une discrète négociation est engagée au « comité de concertation », où les ministres fédéraux, régionaux et communautaires tentent habituellement de déminer leurs conflits de compétences. Les « régionaux » espèrent faire céder les « fédéraux » sur l’un ou l’autre point en discussion depuis plusieurs mois, relatifs à la collecte des impôts. Traditionnellement, l’Etat fédéral organise lui-même la perception de l’impôt sur les revenus, qu’il redistribue partiellement aux autres niveaux de pouvoir. Dans le cas des communes, cette redistribution se fait tardivement et à un coût jugé exorbitant par les bourgmestres: le fédéral s’octroie une commission de 3 % de l’écot redistribué, à titre de frais administratifs. Comme son collègue flamand Johan Sauwens (Volksunie), Charles Michel donne raison aux communes. Si cette « taxe » de 3 % était supprimée, les communes wallonnes seraient soulagées d’une dépense globale d’environ 600 à 700 millions. Si la redistribution de l’impôt était accélérée, de nombreux problèmes de trésorerie seraient résolus. Une double piste à suivre…

A long terme, bien sûr, cela ne suffira pas à assurer la survie financière des pouvoirs locaux. D’autres solutions sont donc à l’étude. Dans la ligne de mire, notamment: le Fonds des communes, qui assure le transfert annuel d’environ 33 milliards de francs de la Région wallonne aux pouvoirs locaux. Aujourd’hui, ce montant est jugé insuffisant. A raison de 1,5 milliard additionnel chaque année, le ministre Charles Michel espère l’augmenter de 4,5 milliards en trois ans (à partir de 2002). De même, la clé de répartition des dotations n’a jamais cessé d’alimenter la polémique. Les critères retenus sont les chiffres de population, le nombre de chômeurs, le rendement de l’impôt, les dépenses d’enseignement, le nombre de kilomètres de voirie, etc. Des critères contestables. « D’une certaine manière, cela n’incite pas les communes à lutter réellement contre le chômage, par exemple », explique un bourgmestre. « Le décret « Cools » de 1989 a particulièrement soigné les communes dont les dirigeants étaient proches du pouvoir », confie-t-on dans les rangs libéraux. La réforme du Fonds des communes sera donc une oeuvre particulièrement délicate. Elle risque de faire des mécontents, notamment dans les grandes villes. De manière mécanique, Liège et Charleroi ont l’habitude de se partager 32 % de la manne financière, suscitant de nombreuses jalousies. Charles Michel souhaite « mieux objectiver » la distribution de ces dotations, « tout en faisant en sorte que chacun y gagne ».

Mission impossible? « Les bourgmestres sont les vassaux de la Région wallonne. Et, au-delà du discours ambiant, celle-ci risque bien de maintenir cette relation de dépendance, estime André Antoine, chef de l’opposition PSC au Parlement wallon et bourgmestre de Perwez (Brabant wallon). En matière de travaux subsidiés, de sport, de logement…, les crédits régionaux sont distribués de manière totalement arbitraire. A la tête d’une coalition PSC-Ecolo, à Perwez, je suis bien placé pour en parler. Cette répartition aléatoire complique la planification des projets et investissements. »

Dans les prochains mois, donc, le ministre Michel risque d’être exposé à des vents contraires, sur des terrains minés. Son attitude résolue l’obligera à quelques conflits ponctuels, là où les déficits avancés sont le fruit d’une gestion douteuse. Déjà, un cartel des grandes villes semble organiser la résistance, essentiellement socialiste (lire l’encadré ci-contre). Soucieux de limiter le rôle des provinces, dont il veut amputer les moyens financiers… au profit des communes, le fils de Louis Michel s’attaque également à un lobby aussi discret que bien organisé, surtout en Hainaut. Animé d’une réelle volonté de réforme – un mérite en soi, à ce poste jadis occupé par André Cools, Guy Mathot ou encore Alain Van der Biest -, le jeune ministre s’est donné une méthode scientifique pour imposer le projet qui le tient le plus à coeur: revoir en profondeur le rôle des communes, des provinces et des intercommunales (pour déterminer qui fait quoi et comment). Le contexte est porteur, puisque le Parlement fédéral pourrait prochainement voter la régionalisation de la loi communale et provinciale. Suite à une vaste enquête auprès des mandataires locaux, le gouvernement wallon pourrait ensuite adopter un « code de la démocratie et de la décentralisation locales », inspiré d’une récente charte européenne relative au même sujet. Les matières à réflexion ne manquent pas de piquant. Est-il logique qu’un collège échevinal ne puisse pas être renversé par le conseil communal? Les bourgmestres doivent-ils être élus directement par la population? Faut-il abandonner le mode de scrutin proportionnel au profit d’un système majoritaire ou mixte? Peut-on préciser par contrat les compétences des provinces? Et remettre de l’ordre dans les 140 intercommunales que compte la Région wallonne?

Philippe Engels

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