Comment va gouverner Obama

Pas de temps à perdre : le président élu choisit ses hommes et prépare ses premières mesures. Il est résolu à imprimer sa marque, mais sait aussi que, malgré sa large victoire, le pays reste ancré au centre droit.

Il fallait, au soir du 4 novembre, avoir le c£ur un peu sec ou une âme d’idéologue pour ne pas admirer l’épopée américaine. Même George W. Bush, cruellement désavoué par cette présidentielle, a cru bon d’évoquer  » la fierté des Américains « . Dans un pays où, tout de même, 46 % des électeurs ont préféré le républicain John McCain, rares sont ceux qui contemplaient avec regret les débris d’un tabou racial, brisé par un président noir de 47 ans nommé Barack Hussein Obama.

Pourtant, malgré la force du symbole et l’explosion de joie, l’humeur était redevenue grave, au matin. Comme pour rappeler que les Etats-Unis, en butte à deux guerres et à une crise économique profonde, avaient moins succombé à une mythologie qu’opté pour un meilleur gouvernement. Avec pragmatisme et nuance.

Fort de 52 % des suffrages, Barack Obama dépasse le score de George W. Bush à son apogée, en 2004. Son avantage de 6 points face à John McCain lui confère un mandat et une légitimité indéniables, mais sa victoire ne constitue pas un raz de marée électoral comparable à ceux de Ronald Reagan en 1984 ou du sauveur Franklin Delano Roosevelt en 1932. Ni une assurance pour l’avenir. Bill Clinton l’avait emporté avec la même marge en 1992, deux ans avant de se retrouver assiégé à la Maison-Blanche par une nouvelle majorité hostile au Capitole.

Ce 4 novembre, les républicains ont perdu non seulement la présidence, mais aussi 20 sièges à la Chambre des représentants et 5 au Sénat. Certes, ils sont battus, mais nullement anéantis. Malgré leur colère contre le parti de George W. Bush, les électeurs se sont gardés d’accorder à ses détracteurs démocrates une majorité absolue de 60 sièges au Sénat, qui leur aurait permis de légiférer à leur guise, sans avoir à nouer de compromis avec les républicains. Le signe d’une exigence d’un compromis de centre droit, sur fond de persistante  » guerre culturelle  » américaine.

En Californie et en Floride, les mêmes électeurs qui votaient en masse pour Obama choisissaient de répondre non à des référendums sur la légalisation du mariage homosexuel. Dans le Dakota du Sud, une autre proposition visant carrément à interdire l’avortement a été rejetée, mais par une faible majorité de 10 points… Malgré ses efforts, Obama a été devancé de 18 points par McCain dans les petites villes et les zones rurales, conservatrices. Les deux tiers de l’électorat évangélique n’ont vu en Obama qu’un dangereux promoteur de l’avortement.

Pourtant, on ne peut pas ne pas déceler, dans les résultats du 4 novembre, des frémissements prometteurs pour la société américaine et des progrès patents. Seuls 43 % des électeurs blancs ont voté pour lui, mais le score de ce candidat noir est le meilleur qu’ait jamais obtenu un démocrate au sein d’un électorat aussi conservateur. Autre surprise : la carte électorale américaine a subi des retouches spectaculaires, dans le Sud, surtout, où ce Noir du Nord a remporté la Virginie – un Etat qui n’avait plus voté démocrate depuis 1964 et Lyndon B. Johnson – et conquis l’imprenable Caroline du Nord.

Obama a gagné moins en séduisant les conservateurs qu’en rassemblant l’électorat démocrate potentiel mieux que tout autre candidat depuis Clinton. Si les Noirs l’ont suivi en masse, les Latinos, d’ordinaire religieux et partagés face à la gauche, lui ont accordé 66 % de leurs voix. Frappées par la crise immobilière et le chômage, les banlieues résidentielles sont revenues dans le giron démocrate. Comme – surprise ! – les Américains (en général, les plus éduqués) dotés de confortables revenus annuels de plus de 200 000 dollars, pourtant visés par les prochaines augmentations d’impôts. Quant aux jeunes électeurs, ils ont littéralement plébiscité Obama en lui accordant un avantage sans précédent de 34 points, le double de celui qui avait été obtenu par Clinton en 1992.

Avant de devenir le président de la nouvelle génération, Barack Obama doit pourtant affronter un présent aux allures de crise majeure qui l’oblige à démontrer d’ores et déjà sa crédibilité de gouvernant alors qu’il n’entre en fonctions que dans dix semaines. Consciente du tour de force que requiert la situation, son équipe chargée de préparer la transition veut à tout prix éviter les erreurs de recrutement, les hésitations et les revirements qui avaient terni l’image du gouvernement de Bill Clinton avant même son entrée en fonctions, en 1993.

Le choix de Rahm Emanuel, 48 ans, ancien conseiller politique de Clinton et l’un des dirigeants les plus en vue du Parti démocrate à la Chambre des représentants, comme secré-taire général de la Maison-Blanche, suggère déjà une stratégie. Ce dur à cuire est censé maintenir discipline et cohésion au sein de l’administration, ainsi que dans les rangs démocrates du Congrès, afin de garantir, dès janvier, le démarrage en trombe de la nouvelle présidence par un programme qui pourrait exiger autant de compromis avec les républicains que de passages en force.

Un plan de relance économique en chantier

Obama semble tenté de garder Robert Gates, secrétaire à la Défense de George W. Bush, et négocie avec ce dernier le coup d’envoi d’un plan de relance économique dans les prochaines semaines. Mais le prochain chef de l’Etat est déjà décidé à annuler certains des décrets les plus extrémistes de Bush, en particulier l’interdiction du financement public de la recherche sur les cellules souches et l’autorisation de forages pétroliers dans les réserves naturelles fédérales de l’Utah.  » Les présidents qui réussissent sont ceux qui arrivent à se démarquer de leurs prédécesseurs, commente Hank Scheinkopf, un consultant démocrate. Mais Obama n’oublie pas non plus qu’il a été élu par un pays toujours ancré au centre droit.  » Et qui attend avec impatience de le voir à l’£uvre. l

De notre correspondant; Philippe Coste

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