Le Parti socialiste est passé, en quelques années, d'une position de plein pouvoir sous François Hollande à celle d'un score minime à la présidentielle. © GETTY IMAGES

Présidentielle française: « La gauche s’est perdue dans les débats sur les questions de minorités »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Rouen et coauteur d’une Histoire globale des socialismes, Jean-Numa Ducange estime que la gauche française, obnubilée par les questions liées aux minorités, a perdu le socle social unifiant qui faisait son attrait.

En quoi le socialisme est-il victime d’une crise d’identité, comme vous l’écrivez dans Histoire globale des socialismes, XIXe-XXIe siècle (1)?

Il y a une vingtaine d’années, la plupart des pays de l’Union européenne étaient gouvernés par des sociaux-démocrates ou par des socialistes. Après la chute du système soviétique, la social-démocratie montrait son efficacité. A la suite d’expériences gouvernementales malheureuses, les sociaux-démocrates eux-mêmes sont entrés profondément en crise. A partir de ce moment-là, le champ politique classique s’est délité. Les partis sociaux-démocrates ont éclaté, avec des ailes gauches qui ont rejoint la gauche radicale et des ailes plus à droite qui se sont ralliées aux courants libéraux. Cela a été le cas en France.

Le social-libéralisme pratiqué par François Hollande et son gouvernement a-t-il nui au socialisme en France?

Oui. On a assisté à un fait unique dans l’histoire de la Ve République. En l’espace de quelques années, un parti qui avait le pouvoir ou la majorité à l’ Assemblée nationale, au Sénat – une première -, à la présidence de la république, dans beaucoup de régions et de municipalités, a quasiment tout perdu et menace de se retrouver avec un score infime à l’élection présidentielle de 2022. Il ne faut pas personnaliser ce constat en rejetant la faute sur le seul François Hollande parce qu’après tout, beaucoup l’ont suivi dans sa politique. Il est clair que l’absence d’identification de François Hollande à un projet et sa volonté de rompre avec l’héritage du socialisme ont joué un rôle dans cet échec. En agissant ainsi, vous ne gagnez pas d’électeurs à droite parce que vous gardez malgré tout une image de gauche mais, vous en perdez beaucoup à gauche parce que vous donnez le sentiment d’assumer la tâche d’une droite modérée.

L’absence d’identification de François Hollande à un projet et sa volonté de rompre avec l’héritage du socialisme ont joué un rôle dans l’échec actuel de la gauche. »

JEAN-NUMA DUCANGE, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Rouen.

Vous rappelez la centralité de la question sociale dans le socialisme. A-t-elle été oubliée par la gauche ces dernières décennies?

Oui. La gauche française est agitée aujourd’hui par beaucoup de débats sur la culture woke, sur le postcolonialisme, sur les questions « raciales »… Ces dossiers occupent la scène médiatique de manière très importante. La presse de droite s’en délecte, avec, d’ailleurs, des arguments qui ne sont pas idiots, loin de là. Par conséquent, pour beaucoup de citoyens qui pourraient hésiter entre la gauche et la droite, la première n’apparaît plus nécessairement comme le camp politique qui défend la question sociale. Elle apparaît plutôt comme celui qui défend la cause de telle ou telle minorité. De ce fait, le socle unifiant dont pouvait se prévaloir la gauche à une certaine époque a disparu. Je pense que beaucoup de personnes se sont détournées du Parti socialiste à cause de cette évolution. La gauche s’est perdue dans les débats sur les questions de minorités alors que la priorité des électeurs reste le pouvoir d’achat.

Jean-Numa Ducange, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Rouen.
Jean-Numa Ducange, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Rouen.© Bruno ARBESU

La question sociale prioritaire d’aujourd’hui n’est-elle pas l’enjeu écologique?

Si le socialisme a eu du succès à une époque, c’est parce qu’au-delà des décisions concrètes, il défendait l’idée que l’avenir pouvait être meilleur, par la répartition des richesses, par l’accès à l’éducation, à la culture. Des associations, syndicales, parasyndicales, sportives… étaient animées par ces idées. Elles formaient un collectif vivant, très présent. Vu le monde dans lequel on vit avec les réseaux sociaux et ces périodes de confinement qui ont eu tendance à nous isoler les uns des autres, la question principale, pour moi, aujourd’hui est « comment recrée-t-on du commun dans une société capitaliste pour lutter contre les inégalités? ». La réalisation de cet objectif peut passer par la question écologique, mais pas uniquement par elle. Je ne crois pas que le capitalisme soit absolument incapable de résoudre la problématique environnementale. Il a montré par le passé que quand il était confronté à des défis redoutables, il pouvait les surmonter. Il faudra aller plus loin.

Pourquoi la gauche n’a-t-elle pas réussi à tirer idéologiquement profit de la crise financière et sociale de 2008, qui a fortement mis en cause le système économique libéral?

Après 2008, la crise économico-financière a plutôt favorisé l’élection de François Hollande lors de la présidentielle de 2012. Elle a aussi suscité un regain d’intérêt idéologique pour les écrits de Marx. C’est la période où émergent, en Europe occidentale, les populistes de gauche. Jean-Luc Mélenchon fonde le Parti de gauche en France. Les Indignés se font entendre en Espagne. On ne peut pas affirmer que rien ne se soit passé. La crise a donné lieu à un regain ponctuel de la gauche mais pas au point d’atteindre des majorités qui auraient permis de changer radicalement le système économique. D’autres crises économiques ont eu lieu dans le passé, révélant les failles ou les contradictions du capitalisme. On a vu qu’elles favorisaient aussi le repli sur soi, et donc le nationalisme. Pour preuve, les conséquences de la crise de 1929. En l’occurrence, à la crise financière de 2008 ont succédé rapidement la guerre en Syrie, la crise migratoire… qui ont fait en sorte que ce sont les mouvements très à droite qui ont profité de ce contexte.

(1) Histoire globale des socialismes, XIXe-XXIesiècle, sous la direction de Jean-Numa Ducange, Razmig Keucheyan et Stéphanie Roza, PUF, 1 146 p.

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