Comment contrer les bandes blacks ?

Encore un jeune Black poignardé à mort dans un règlement de comptes. Malgré a répression, les bandes urbaines sont toujours aussi violentes, à Bruxelles. Place désormais à la prévention. Un projet pilote vient enfin de voir le jour dans trois communes clés.

Jonathan Luzimadio, 19 ans, s’est vidé de son sang, le 15 septembre, sur le pavé de la place Bara, à Anderlecht. Ce membre des Black Pit Hot Boys a reçu un coup de couteau fatal dans l’artère jugulaire. De la part d’un membre de la même bande, arrêté le lendemain. Pour une banale histoire de fille. Sur le blog brigade11k. skyrock.com (11K pour 1140, du nom d’une bande d’Evere), on aperçoit une photo de Jonathan, surnommé Cartouche. Le regard encore innocent sous son chapeau hip-hop, même s’il était en décrochage scolaire et trafiquait du cannabis. Un vrai gâchis.

Au mois de mars, une confrontation entre membres des Black Demolition et des 1140, à la sortie d’une boîte de nuit bruxelloise, tournait à la tragédie. Des coups de couteau, encore. Un  » 1140  » tué. En juillet 2008, place Anneessens, Lufusu Fikilini, le chef présumé des Versailles de Laeken, était massacré par quatre  » 1140  » à coups de pied et de bouteilles, avant de succomber à un coup de couteau.

Les bandes urbaines défraient régulièrement la chronique pour leur inquiétante sauvagerie. Le phénomène se cantonne quasi exclusivement à Bruxelles. Actuellement, 25 bandes actives sont recensées sur l’arrondissement judiciaire, dont 11 rien que pour la zone de Bruxelles-Capitale-Ixelles (Polbru). Une bande compte en moyenne 20 à 30 membres, 70 à 80 pour les plus grosses comme les 1140 d’Evere ou les Black Wolves du quartier Matonge.

Dans la grande majorité des cas, il s’agit de jeunes originaires d’Afrique sub-saharienne, en particulier de la République démocratique du Congo. D’où le nom de certaines bandes : Black Wolf, Black Demolition, Black Pit, Black Staff, Black Face… Deux bandes seulement comptent des Nord-Africains d’origine : la RDA (Révolution des Arabes) et les Versailles N-A (pour Nord-Africains). Les 11K-Whites, une bande d’Evere, créée en réaction aux 1140, rassemble, comme son nom l’indique, des Belgo-Belges.

Selon la banque de données du Carrefour d’information d’arrondissement (CIA) de Bruxelles, la plupart des faits attribués à ces bandes sont des vols (90 %), avec effraction, avec violence, rackets de commerçants, etc. Le reste constitue des dégradations (2 %), tags, bris de vitres de voiture, feux de poubelle…, des faits de m£urs (1,5 %), notamment des viols collectifs, et du trafic de stupéfiants (1,5 %), essentiellement du cannabis. Mais c’est surtout la violence entre elles qui rend la criminalité des bandes urbaines particulière.

Inspirées par les gangs américains des années 1970, les bandes défendent un territoire sanctuaire. Leurs noms sont d’ailleurs souvent liés à un quartier de Bruxelles : les 1140, les Stuyvenberg, les 1210 Bagdad, les Versailles, les Simonis, les Anneessens… Les affrontements entre gangs, parfois pour un simple regard, se terminent régulièrement en bain de sang. Les armes blanches sont les plus prisées : couteaux de cuisine, tournevis et scies pliantes, en vente dans tous les magasins de bricolage. Parfois aussi des marteaux. Des scies pliantes ont déjà servi à couper des mains.

Une autre arme utilisée en guise de représailles est le viol collectif de la copine d’un membre d’une bande adverse.  » Mais il ne s’agit pas toujours de vengeance, précise Fabienne Ledure, substitut au parquet jeunesse de Bruxelles, spécialisée dans les bandes urbaines. On constate beaucoup de misogynie parmi ces jeunes. Ils considèrent les filles comme des objets qu’on peut partager avec ses copains. Il est très difficile de leur faire prendre conscience des dégâts psychologiques énormes qu’ils causent à leurs victimes.  » Ces derniers temps, les viols collectifs semblent avoir diminué. La répression est impitoyable.  » Tous les auteurs sont arrêtés, le taux de résolution est de 100 % « , affirme le commissaire divisionnaire Frédéric Moreels, de la zone Polbru. Et les peines sont lourdes, de 5 à 7 ans de prison.

Idem pour les homicides. Leur taux de résolution est également très élevé. Il faut dire que, depuis quelques années, le parquet de Bruxelles a pris à bras-le-corps le problème des bandes urbaines ou, des BU, dans le jargon policier. Avec des moyens importants : magistrats et sections policières spécialisés (la section BU de Polbru compte dix personnes), banque de données constamment mise à jour, priorité de la politique criminelle dans plusieurs zones de police bruxelloises… Un  » statut BU  » spécifique permet de mieux suivre les criminels associés aux bandes. Un individu répondant au  » statut BU  » – lequel est accordé par un magistrat du parquet et revu tous les quatorze mois – peut faire l’objet de fouilles systématiques en rue. En règle normale, pour un quidam, de telles fouilles sont exceptionnelles.  » L’objectif est, lors d’un contrôle, de chercher des armes dont le port est illégal « , justifie Fabienne Ledure.

Malgré cet arsenal judiciaire, les bandes urbaines ne disparaissent pas. Elles semblent même plus nombreuses qu’il y a quelques années. Un phénomène en expansion ? En tout cas, il ne diminue pas, constate-t-on tant du côté policier que du parquet. Lorsqu’une bande est décapitée, le chef est aussitôt remplacé par son lieutenant le plus proche. Lorsqu’un  » soldat  » sort d’IPPJ ou de prison, il revient vers la bande comme un boomerang. Son enfermement est même valorisant, aux yeux de ses congénères. Cela lui permet de prendre du galon.

Pourquoi un attachement aussi viscéral à la bande ?  » Elle leur permet de faire des coups qui rapportent, mais, avant tout, c’est leur deuxième famille, constate l’inspecteur Maurice Nlandu de Polbru ( lire l’encadré ci-dessous). Souvent les membres d’une même bande se connaissent depuis la tendre enfance, certains sont frères, cousins, ils fréquentent la même école, la même église pentecôtiste. Ils sont enrôlés de plus en plus jeunes, à 13 ans parfois.  »

Ils vivent aussi une crise identitaire entre leur famille africaine et la société occidentale.  » Dans les années 1990, quand les bandes de Blacks sont apparues, beaucoup de leurs membres étaient des enfants placés parce que battus par leurs parents, continue Nlandu. La culture africaine admet les corrections physiques, souvent plus dures qu’une simple baffe. Pas la loi belge. Les gosses l’ont vite compris. Les parents, eux, se sont retrouvés dépourvus de leur autorité. « 

Cette crise se vérifie dans la culture développée par les bandes blacks.  » C’est la culture du « Black is beautiful ! » explique Rachel Vanderhaegen, fonctionnaire de prévention à Evere. On peut parler de blackism. Il y a un aspect communautaire, outre le social. D’ailleurs, les membres de bande ne viennent pas tous de milieux sociaux vulnérables et ne sont pas tous en décrochage scolaire. Certains réussissent même à l’université.  »

Mais les bandes ne peuvent être une fatalité. Si la répression ne suffit pas, il faut développer la prévention. Un projet pilote, financé par le fédéral, impliquant trois communes concernées par les BU (Evere, Saint-Josse et Bruxelles-Ville) a démarré ce 1er octobre. L’objectif : convaincre les jeunes accrochés aux bandes qu’ils peuvent faire d’autres choix dans la vie.  » Cela fait plusieurs années que nous travaillons avec ces jeunes, mais le projet pilote nous permettra de les coacher individuellement pour leur offrir de réelles perspectives, entre autres en matière d’emploi et de logement « , se réjouit Rachel Vanderhaegen. Trois assistants sociaux ont été engagés à temps plein pendant un an.

Même les policiers réclament du préventif.  » Le vrai défi est de raccrocher le travail judiciaire à celui des acteurs de prévention « , dit Frédéric Dauphin, commissaire à la zone Polbruno. Les anciennes mamas africaines du métro de l’ASBL Carrefour des Jeunes africains, qui ne sont plus subsidiées par la Stib, patrouillent désormais dans les rues d’Evere, où sévissent les 1140 ( lire l’encadré). Elles ont une réelle influence sur les jeunes Blacks.  » Ces jeunes manquent de place pour leurs activités, déplore Mama Mwadi, à la tête de l’ASBL. Ils aiment faire du rap, du hip-hop, il faut leur donner les moyens de s’exprimer.  » L’installation d’un studio de musique semi-professionnel est prévu pour 2010, à Evere.

Le volet préventif est d’autant plus important que le phénomène des bandes de Blacks a tendance à déteindre sur l’ensemble des jeunes Noirs de Bruxelles.  » On les met tous dans la même casserole et cette stigmatisation est dangereuse « , prévient Mama Mwadi. La majorité de ces jeunes ne veulent pas être associés aux bandes urbaines. Ils déplorent l’image désastreuse qu’elles véhiculent.

THIERRY DENOËL

la bande est comme leur deuxième famille

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