Comment Ayrault s’est préparé

Durant les six mois précédant l’élection présidentielle, le maire de Nantes a multiplié les contacts discrets. Pour être prêt à enfiler le costume de Premier ministre.

Le 16 mai, dans l’après-midi, Jean-Marc Ayrault appelle ceux qui vont devenir ministres. A 17 h 15, c’est au tour de Geneviève Fioraso. La députée socialiste de l’Isère a suivi le dossier de l’innovation pour François Hollande pendant la présidentielle. Elle est peu connue du grand public. Ministre ? L’intéressée n’y songe pas une seconde. Assise à son bureau, elle guette à la télévision l’annonce officielle sur le perron de l’Elysée – à titre personnel, elle aspirait à une mission interministérielle après les législatives et l’avait fait savoir. Quand la voix du Premier ministre résonne au bout du fil, elle sursaute :  » Je suis avec le président de la République et nous avons pensé à toi pour le poste de ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.  » Prise de court, la parlementaire balbutie une réponse :  » Euh, je suis très honorée, mais pensez-vous vraiment que je serai à la hauteur ?  » Ayrault rassure la députée qu’il a connue comme président du groupe PS à l’Assemblée nationale :  » Tu es une bosseuse, tu l’as montré, je te fais confiance.  » Avant d’ajouter :  » Ce gouvernement sera collégial, sans effet d’annonce, c’est le travail qui comptera avant tout. « 

Jean-Marc Ayrault est bien placé pour vanter les vertus de la discrétion. Une méthode qui lui a souri.  » Il a compris très tôt qu’il pouvait devenir Premier ministre de François Hollande « , explique un proche. Mais tant que rien n’était fait, il ne s’est pas découvert :  » Quand mon nom circule, je ne bronche pas « , esquivait-il, pour ne pas alimenter la rumeur. Ce qui ne l’a pas empêché de se préparer en coulisses. Ces derniers mois, et surtout depuis la fin de la cession parlementaire en mars, le président du groupe PS à l’Assemblée a reçu en toute discrétion une multitude d’interlocuteurs.

Une cellule discrète à l’Assemblée nationale

C’est avec les partenaires sociaux que Jean-Marc Ayrault a poussé le plus loin le travail de bachotage. Il s’est rendu au meeting de la CGT au Zénith de Paris, en janvier. Hors caméras, il a rencontré aussi bien la présidente du Medef, Laurence Parisot (le 18 avril, à quatre jours du premier tour de la présidentielle), qu’une multitude de représentants des syndicats. Avait-il en ligne de mire la conférence salariale promise par le candidat Hollande ? Entre les deux tours, il effectue aussi une visite à Florange, symbole de la lutte contre la désindustrialisation et lieu phare de la campagne. Un ouvrier l’interpelle :  » On sait qu’il va falloir faire un effort, mais on veut au moins que ce soit juste. « 

Depuis février, les rendez-vous internationaux s’enchaînent : avec le leader du SPD, Sigmar Gabriel, avec son homologue président du groupe SPD au Bundestag, Frank-Walter Steinmeier, avec le Premier ministre belge, Elio Di Rupo. Démocratie sociale, ouverture sur l’Europe : les priorités que portera Jean-Marc Ayrault à Matignon se dessinent déjà en filigrane.

Quand on se prépare à l’épreuve du pouvoir, on mesure le risque de l’impopularité qui en découle – mais jusqu’à quel point réussit-on à l’appréhender ?  » Nous avons une mission, lâchait le futur chef du gouvernement en privé, dans le courant de mars. Si nous ne sommes là que pour gérer ce qui fonctionne, à quoi servons-nous ? Le redressement est possible. Notre engagement est que cela se fera dans la justice.  » Beaucoup de gouvernements peinent face à la crise. Il ajoutait alors, comme pour se donner du c£ur à l’ouvrage :  » Il ne faudra pas se laisser intimider, sinon aucune réforme ne pourra être entreprise. « 

MARCELO WESFREID

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