Comment abuser des malades psychiatriques

Apollo, une Maison de soins psychiatriques bruxelloise, a été fermée dans l’urgence. Ses résidents y vivaient dans des conditions lamentables. Récit d’une dérive, presque légale.

Apollo se présentait comme une Maison de soins psychiatriques (MSP). Quand la police, l’Inami, l’ONSS, les services sociaux et le CPAS de la commune d’Anderlecht y ont pénétré, le vendredi 15 octobre, ils n’ont pas été déçus. Ils ont découvert des chambres de 6 personnes avec des matelas par terre, sans draps, plus de linge propre pour les 33 résidents, plus de chauffage, une seule salle de bains (sale !) pour tous, des dossiers sociaux et médicaux incomplets, des problèmes dans les prises de médicaments, du courrier qui s’amoncelle et plus aucune facture envoyée depuis des mois. Les deux seules femmes de ménage qui  » s’occupaient  » des pensionnaires n’étaient plus payées. Elles sont à l’origine de la dénonciation qui a mené à la décision de fermeture prise par le bourgmestre Gaétan Van Goidsenhoven. Le directeur, infirmier de formation, a été inculpé de faux en écriture et d’escroquerie. L’enquête se poursuit.

13 000 malades psychiatriques chroniques en Belgique

Apollo, la faute aux négligences des autorités de contrôle qui auraient failli à leur tâche ? Même pas ! Car cette maison, qui n’avait demandé aucune reconnaissance ni aucun subside, échappait de ce fait à tout contrôle officiel. En toute légalité. Comme Apollo, d’autres établissements non reconnus abritent donc des malades psychiatriques dont personne ne veut ou qui n’ont trouvé de place nulle part ailleurs. Ils souffrent, généralement, de schizophrénie ou de psychoses diverses. Ils sont parfois borderline ou prisonniers d’une dépression profonde. Il arrive aussi qu’ils subissent les conséquences d’assuétudes à l’alcool, à des médicaments ou à des drogues. Certains souffrent en plus d’un handicap mental.

Selon le Centre d’expertise fédéral des soins de santé, on compte 13 000 malades psychiatriques chroniques en Belgique. Parmi eux, 40 % vivent depuis plus d’un an dans une structure psychiatrique hospitalière. Et les autres, ceux dont l’état est stabilisé, qui ne requièrent plus de coûteux soins hospitaliers, mais ne peuvent s’assumer seuls ?  » Certains retrouvent leurs familles, remarque le Pr Paul Lievens, psychiatre et président de l’association Similes. La cohabitation, très lourde à vivre, n’est cependant pas toujours possible ou pas forcément souhaitée par les proches.  » A côté de certaines structures d’accueil de jour ou de nuit (et parfois des deux), la loi a prévu deux sortes de lieu de vie pour ces malades chroniques : les habitations protégées, avec un contrôle extérieur limité, et les Maisons de soins psychiatriques (MSP).  » Ces dernières abritent des patients qui ont encore besoin d’un encadrement permanent « , assure Linda Van Roy, infirmière sociale et coordinatrice de la MSP Schweitzer, à Bruxelles.

Bruxelles est censée proposer 619 places en MSP. Elle n’en compte que 202 au sein d’établissements contrôlés. En effet, légalement, pour ouvrir un lit en MSP, il faut en fermer un autre en hôpital psychiatrique. Dans la capitale – où subsistent seulement 800 de ces lits – cela s’avère impossible ou rarissime.  » C’est le n£ud du problème « , déplorent tous les interlocuteurs sociaux. Mais, plutôt que de s’y attaquer, le pouvoir fédéral tolère la présence d’établissements non reconnus… et non contrôlés. Les Régions, et les bourgmestres, ont hérité de cette situation.

 » Huit des résidents d’Apollo ont été placés ici en urgence, raconte Marc Vanhoutvin, directeur adjoint de la résidence Schweitzer, une Maison de repos et de soins moderne et chaleureuse. Le repas du soir prévoyait une assiette de plusieurs fromages. L’un des arrivants a demandé s’il avait le droit d’en manger plus d’un seul. Un autre a confirmé qu’avec une seule des tranches proposées on aurait fait quatre rations chez Apollo.  » Aujourd’hui, regroupés au même étage, ils devisent tranquillement ou lisent le journal. L’un d’eux se lève parfois pour aller pédaler quelques minutes sur un des vélos d’appartement mis à leur disposition.  » On est passé de l’enfer au paradis « , confient certains.

A quelques mètres de là, une MSP reconnue abrite 46 résidents. Ils ont de 36 à 76 ans.  » Faute de place, nous n’aurions pu accueillir aucun des pensionnaires d’Apollo « , remarque Linda Van Roy. Sur la liste d’attente de cet établissement, le premier inscrit patientera peut-être trois semaines… mais peut-être un an ou plus !

Ici, un grand nombre de résidents souffrent de schizophrénie. Un pharmacien, un avocat, un architecte, un ingénieur, un professeur de latin, un traducteur, un employé de banque ont atterri entre ces murs. Certains ne sont jamais parvenus à surmonter la mort d’un enfant ou la fin d’une relation amoureuse. Le psychiatre, présent trois fois par semaine, peut être appelé au téléphone jour et nuit. Et c’est par la parole que le personnel soignant tente de désamorcer les tensions qui naissent, parfois, entre les résidents.

 » Le médecin qui visitait les malades n’a pas donné l’alerte « 

 » Ils sont tous libres d’aller et de venir à l’extérieur comme bon leur semble et nous leur proposons aussi toutes sortes d’activités régulières, ici ou dehors, poursuit Linda Van Roy. Tous, ils aimeraient tellement vivre « comme les autres » ! Mais ils sont fragiles, vulnérables, blessés. Il est facile d’abuser d’eux !  » Assis à la table de la salle à manger, Alain, un grand brun massif, marmonne :  » Je me suis désintégré. « 

Dans cette MSP, 50 % des résidents sont des personnes isolées. Souvent, des administrateurs de biens sont légalement chargés de veiller au bien-être des pensionnaires.  » En vingt-huit ans de métier, je n’ai jamais vu la moitié de ces derniers « , remarque Linda Van Roy. Parmi les résidents d’Apollo,  » une vingtaine étaient sous tutelle « , constate Marc Bernard, coordinateur du volet psychosocial du plan catastrophe à la commune d’Anderlecht. Aucun de ces administrateurs n’a tiré la sonnette d’alarme. Pas plus que le médecin qui visitait les malades.

Dans les jours qui ont suivi la fermeture de la maison d’Anderlecht, Benoît Cerexhe, ministre bruxellois de la Santé, a assuré que la Région allait combler le vide juridique qui autorise l’installation de MSP  » sauvages « .  » Ce qu’il faut, surtout, c’est ouvrir de nouveaux lits officiels, afin de proposer une vraie solution à ces malades « , remarque Marc Bernard. Et éviter ainsi de nouveaux Apollo.

Pascale Gruber

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