Climato-sceptiques Les souffleurs de froid

Qui sont les opposants à la thèse du réchauffement climatique ? D’où viennent-ils et comment opèrent-ils ? Le journaliste Stéphane Foucart a enquêté

sur ces semeurs de doute de plus en plus médiatiques. Extraits de son livre choc.

C’est une som-me. Mais aussi et surtout un passionnant document d’investigation. Dans son livre Le Populisme climatique (1), paru le 28 octobre, Stéphane Foucart, journaliste au quotidien Le Monde, jette une lumière crue sur les procédés d’une gent scientifique – les climato-sceptiques – dont l’écho va grandissant. Au point qu’il en sera question lors de la prochaine Conférence mondiale de l’ONU sur le climat, du 29 novembre au 10 décembre à Cancun (Mexique).

Comment ces  » empêcheurs de réchauffer en rond  » avancent-ils leurs pions ? Stéphane Foucart décrit une véritable  » machine à nier  » dont la raison d’être  » est de forger et de disséminer des arguments  » qui font mouche sur le Net, dans les médias et dans la société. Ils n’hésitent pas à détourner les études de spécialistes reconnus pour servir leur thèse, en ne retenant que les données favorables à leur argumentation, et font aussi des  » coups « . On se souvient du  » climategate  » de l’hiver dernier : des courriels de chercheurs britanniques associés au Giec – le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – avaient été piratés par des hackers à la veille de Copenhague. Informations efficacement relayées par des instituts américains. Car c’est aux Etats-Unis, au sein des think tanks ultralibéraux, qu’est née cette fronde aux méthodes contestables. En Europe, les climato-sceptiques ont commencé à marquer des points avec la tribune de l’ancien ministre français Claude Allègre parue dans L’Express le 21 septembre 2006,  » Neiges du Kilimandjaro « . Celui qui était alors chroniqueur contestait, pour la première fois dans un média grand public, le rôle de l’homme dans le réchauffement climatique, peu de temps avant que son confrère de l’Institut de physique du globe de Paris, Vincent Courtillot, ne publie des travaux allant dans le même sens. Pure stratégie, analyse Frédéric Foucart, qui montre combien, partout, le camp des  » climato-sceptiques  » est désormais très bien organisé.

(1) Le Populisme climatique. Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science. Denoël, 320 p.

Qui tire les ficelles ?

En 1989, un an à peine après la création du Giec, des industriels opposés à toute mesure de réduction des émissions de gaz à effet de serre – en particulier Exxon, Shell, Texaco, General Motors, BP, Daimler-Chrysler ou encore Ford et Esso – se regroupent dans une organisation, la Global Climate Coalition (GCC), qui va activement promouvoir l’idée que le réchauffement est exagéré, que la science est trop incertaine pour imposer des contraintes à l’économie, etc. [à] Malgré la dissolution de la GCC [NDLR : en 2002], ces man£uvres n’ont pas cessé. Elles s’appuient aujourd’hui sur un réseau de plusieurs dizaines d’organisations  » non partisanes et à but non lucratif  » – think tanks, cercles de réflexion et autres associations professionnelles – financées par les industries polluantes ou par des fondations elles-mêmes affiliées à ces groupes industriels. De tels think tanks s’appuient sur les services d’un petit groupe de scientifiques, dont certains £uvraient déjà en faveur des industriels du tabac dans les années 1980. [à] Dans sa grande majorité, le public français n’a jamais entendu parler de l’American Enterprise Institute (AEI), du Cato Institute, du Competitive Enterprise Institute (CEI), du George C. Marshall Institute, du Heartland Institute, du Science and Environmental Policy Project (SEPP), de l’Alexis de Tocqueville Institution (AdTI), de l’American Petroleum Institute (API), de The Advancement of Sound Science Coalition (TASSC), du Frontiers of Freedom Institute ou du Media Institute. Mais, si l’opinion ne connaît guère ces organisations, ce sont bien elles qui, outre-Atlantique, propagent dans les médias et sur le Net la désinformation et les manipulations sur la question climatique. [à] Ces organisations ont en commun d’être toutes très proches du monde des affaires et des milieux libertariens ou néoconservateurs américains. Des personnalités qui ont tenu des rôles importants dans les administrations Reagan puis Bush père et fils, comme Richard Perle ou Dick Cheney par exemple, ont été – ou sont toujours – membres de plusieurs de ces  » instituts « . [à] Toutes sont, ou ont été, financées en partie par le géant américain du pétrole ExxonMobil.

Les dollars du lobby pétrolier

En avril 1998, le pétrolier américain crée, avec l’autre géant du pétrole Chevron, la Southern Company, et plusieurs think tanks – [à] une organisation informelle du nom de Global Climate Science Communication Team (GCSCT). Le mémo fondateur de ce groupe de pression [NDLR : révélé fin avril 1998 par le New York Times] est susceptible de donner une  » conspirationnite  » aiguë à quiconque en prend connaissance. Il présente en détail un plan d’action coordonné et budgété pour créer et propager le doute dans l’opinion. Il suggère d’offrir un  » soutien moral et matériel  » aux  » dissidents de la science climatique  » – c’est-à-dire aux climato-sceptiques – il appelle à la mobilisation d’un budget de 5 millions de dollars sur deux ans pour  » maximiser l’impact des vues scientifiques cohérentes avec les nôtres au Congrès, dans les médias et d’autres publics clés « . [à] En 2006, la place prépondérante d’ExxonMobil dans le financement du climato-scepticisme a conduit l’Académie des sciences britannique à sermonner officiellement le pétrolier américain. C’était la première fois qu’elle protestait officiellement contre l’attitude d’une entreprise – qui plus est une entreprise américaine. [à] Sans interrompre son soutien à certains de ces groupes, ExxonMobil a, depuis 2007, revu largement à la baisse ses investissements dans ces think tanks. Le relais a été pris par un autre géant des fossiles, beaucoup moins connu qu’ExxonMobil mais lui aussi très puissant : il s’agit de Koch Industries, un énorme conglomérat industriel basé à Wichita (Kansas), placé en 2008 par le magazine Forbes à la deuxième place des sociétés américaines non cotées.

La science, ennemie du marché

L’historienne des sciences Naomi Oreskes décrivait en ces termes, dans un entretien à La Recherche, les chercheurs, souvent âgés, engagés dans la croisade contre le Giec :  » [à] L’affaire prend en réalité naissance à la fin de la guerre froide, avec la constitution d’un groupe de physiciens, souvent issus du projet Manhattan, regroupés précisément autour de Frederick Seitz. [à] Tous ces scientifiques, très anticommunistes et conservateurs, se considéraient comme des soldats de la liberté et se sont en quelque sorte retrouvés « sans ennemi » avec la chute du mur de Berlin. Ils ont perçu la montée des préoccupations environnementales et la tendance à une plus grande réglementation qui en découlait comme un recyclage de l’idéologie communiste, une menace pour le marché libre. Pour eux, les écologistes étaient des cryptocommunistes : des « rouges repeints en vert », selon leur expression.  » Une expression dont un avatar,  » khmers verts « , revient systématiquement dans la bouche des climato-sceptiques français. [à] En France, de petits think tanks libéraux comme l’Institut Turgot, l’Institut économique Molinari, ou l’Institut Hayek, basé à Bruxelles, bien plus modestes que leurs aînés d’outre-Atlantique, sont depuis peu très actifs dans la propagation du déni de changement climatique anthropique. En particulier, Vincent Bénard, analyste à l’Institut Turgot et directeur de l’Institut Hayek, a mis une remarquable énergie à relayer sur le Net, en langue française, les arguments par ailleurs diffusés outre-Atlantique par la machine à nier.

Fausses vérités

Le grand carnivore [NDLR : l’ours polaire] dérivant sur un morceau de banquise isolé est l’une des illustrations utilisées à outrance par les médias pour donner à voir le réchauffement global – à tort ou à raison. Il faut donc, d’une manière ou d’une autre, briser cette icône. Comment faire ? En publiant dans une revue à comité de lecture une  » étude  » montrant qu’ Ursus maritimus n’est pas réellement menacé par le réchauffement. La nécessité de briser ce symbole est si cardinale que c’est cette fois une manière d’union sacrée qui se met en branle : ExxonMobil, l’American Petroleum Institute et la Charles G. Koch Charitable Foundation vont financer des  » travaux  » de chercheurs, dont les noms deviennent familiers : on retrouve l’astrophysicien Willie Soon, £uvrant à nouveau au côté de Sallie Baliunas, le géologue canadien Tim Ball, et quelques autres. Les auteurs veulent notamment démontrer que d’autres facteurs que le changement climatique sont responsables du déclin des populations d’ours polaires dans la baie d’Hudson.

Le problème est que leurs  » travaux  » ne trouvent aucune revue scientifique qui accepte de les publier, les rapports d’experts étant négatifs. En définitive, leur article sera malgré tout publié dans Ecological Complexity, mais en tant que  » point de vue « , c’est-à-dire non comme un travail normalement soumis à l’expertise du peer review [NDLR : révision par ses pairs]. Cependant, il faut un £il exercé et une connaissance pointue du fonctionnement des revues scientifiques pour faire la part des choses entre un  » point de vue  » et un article de recherche dûment revu et acceptéà Il faut aussi lire minutieusement l’article en question pour découvrir ses sources de financement [à]. Les auteurs du  » point de vue  » remercient à la fin de leur texte le biologiste Andrew Derocher, professeur à l’université de l’Alberta [Canada], l’un des meilleurs connaisseurs de l’écologie de régions arctiques.  » Nous sommes reconnaissants à [à] Andrew Derocher pour les commentaires constructifs apportés à une version précédente du manuscrit « , écrivent les auteurs à la fin de leur texte [à]. Que pense Andrew Derocher de ces remerciements ? [à]  » Je n’étais pas d’accord et je ne suis toujours pas d’accord, en aucune manière, avec le contenu de cet article. [à] C’est le travail scientifique le moins crédible qu’il m’ait été donné de lire.  »

Certes, une réfutation en bonne et due forme sera publiée (Andrew Derocher en sera d’ailleurs coauteur) mais presque un an plus tard. Le temps des revues scientifiques n’est pas celui des médias classiques : quel journaliste ayant couvert la publication du  » point de vue  » de Willie Soon, Sallie Baliunas et leurs collaborateurs aura été averti, un an plus tard, que leurs  » résultats  » avaient été invalidés ?

Richard de Vendeuil

 » Un plan d’action coordonné et budgété pour créer et propager le doute dans l’opinion « 

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