Claude Carrère : l’heure de la sortie

Le tribunal de commerce de Bobigny a récemment placé en liquidation judiciaire Carrère Group, le deuxième plus gros fournisseur français de téléfilms, de reportages et d’émissions clés sur portes en prime time. Retour sur le parcours d’un homme qui, dans l’ombre des étoiles, est devenu l’un des plus puissants acteurs du paysage audiovisuel français.

Il est parti de rien, quittant son Auvergne natale à 15 ans pour  » monter  » à Paris. Il tente bien de se lancer dans le cinéma puis dans la chanson, mais le succès n’est pas au rendez-vous. Bien décidé toutefois à s’incruster dans le métier, il s’improvise agent artistique et se met à la recherche de graines de stars. C’est ainsi qu’à l’automne 1962 il craque en entendant Annie Chancel, une jeune rouquine qui n’a pas encore 16 ans, chanter Chariot de Petula Clark sur les planches du Golf Drouot à Paris. Convaincu du talent et du potentiel de cette jeune fille, il fait habilement signer à ses parents un contrat qui fera très vite de lui un homme d’autant plus riche que sa protégée – qu’il a rebaptisée Sheila – connaîtra un immense succès. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon nos confrères de Challenges, l’interprète de L’école est finie et des Rois mages a vendu à ce jour plus de 70 millions de disques et occupe toujours la deuxième place du classement français des meilleures ventes cumulées de disques, juste derrière Johnny Halliday. Cela donne une petite idée du pactole qu’a pu engranger son mentor et ce d’autant plus qu’il cumulait dans les années 1960 et 1970 les casquettes de producteur de l’artiste et d’auteur (ou de coauteur) de la majeure partie de ses chansons. Habile et près de ses sous, l’homme ne versait pas dans la flamboyance. En véritable entrepreneur, il a réinvesti une grande part de ses bénéfices dans diverses activités connexes.

Toujours plus !

Quittant progressivement le giron de Philips, Claude Carrère crée d’abord son label puis sa société de distribution de disques. Ainsi, outre sa protégée, il éditera et/ou distribuera aussi tour à tour des artistes comme Claude François, Sacha Distel, Boney M, Dalida et Adamo. Il découvre et/ou produit des nouveaux talents, tels Ringo, Julie Piétry, Art Sullivan, Karen Cheryl, Noam, Shake, Linda De Suza, Christian Delagrange et même… Stéphanie de Monaco ! Ce n’est pas tout, histoire de conforter la notoriété de  » ses  » artistes auprès des jeunes, Carrère a compris qu’il lui serait plus facile de disposer de ses supports médiatiques. Il reprend alors à son compte Girl, Hit Magazine et, surtout, Podium… La mécanique semble suffisamment bien huilée pour investir aussi dans le développement du titre 30 millions d’amis. Le succès fut, là aussi, au rendez-vous. Dans l’édition, il réalise quelques superbes coups commerciaux avec Michel Lafon, dont La Valise en carton, de Linda De Suza et les recettes de médecine naturelle de Rika Zaraï. Bref, tout ce qu’il touche semble se transformer en or. Il continue sa diversification en se lançant dans le tout nouveau business des cassettes vidéo, tout en continuant à suivre – et à façonner – la carrière de celle par qui tout est arrivé. Sheila devient une star européenne du disco avant que le groupe Chic ne s’intéresse à elle et ne lui offre sur un plateau d’argent l’album Spacer qui fera le tour du monde… et aussi rentrer pas mal d’argent dans les caisses.

Un rebond sur le petit écran

Boulimique, Claude Carrère s’intéresse de plus en plus au monde de la télévision. Avec la privatisation de TF 1 (1987), la création de M6 (1987) et la professionnalisation croissante du secteur, il se met en tête de fournir du contenu aux chaînes. Il entame son ascension dans ce milieu en s’intéressant de près aux émissions de divertissement. Tombent tour à tour dans son escarcelle Intervilles (Guy Lux), Avis de recherche (Patrick Sabatier), La Roue de la fortune ou encore Succès fous.

En 1991, Claude Carrère cède ses activités musicales à Time Warner. La transaction ne doit rien au hasard : la plantureuse plus-value financière dégagée dans ce cadre lui vient bien à point pour booster ses investissements télévisuels. En 1994, il se lance dans l’animation, rachète les droits de Poil de Carotte (Jules Renard) et coproduit avec TF 1 et les éditions Dupuis une série de 26 épisodes de dessins animés qui sera distribuée ensuite dans le monde entier. Il est également derrière les succès commerciaux de Flash Gordon. Bien inspiré, Carrère rachète aussi une société spécialisée dans le développement de produits dérivés.

Début des années 2000, Claude Carrère répond au chant des sirènes du palais Brongniart et introduit sa société à la Bourse de Paris, le forçant par la même occasion à quelque peu sortir de l’ombre dans laquelle il se complaît tant. Ses affaires continuent à se développer, fédérant habilement autour de lui nombre de producteurs, comme Benjamin Castaldi, Karl Zero, Guillaume Durand, Pascale Breugnot ou Flavie Flament. Son arme de séduction a toujours été la même : racheter 51 % du capital de leur société de production, les décharger de toutes les tâches  » non artistiques  » pour qu’ils se consacrent à fond à leur core business et les intéresser aux résultats. Carrère Group reprend tour à tour Dune (producteur de Maigret pour France 2), l’agence Comiti (réalisateur d’environ 40 % des reportages de Zone interdite sur M6, quasi tous ceux du Droit de savoir sur TF 1 et coproducteur de Destins pour M6) et s’impose de plus en plus comme fournisseur attitré de reportages clés en mains, notamment pour Envoyé spécial ou Des racines et des ailes. Le groupe Carrère reprend aussi PM Holding, connue pour ses fictions de prime time telles que le Commissaire Moulin avec Yves Rénier, Frank Riva avec Alain Delon, Le Juge avec Francis Huster, Une villa pour deux avec Pierre Arditi ou A trois c’est mieux avec Mimi Mathy. Dans l’escarcelle du groupe figure aussi Scarlett Production à qui on doit la série à succès Clara Sheller

La croissance du groupe Carrère est fulgurante. Entre 2004 et 2006, le chiffre d’affaires passe de 71 à 141 millions d’euros et les bénéfices de 8,4 à 15,1 millions d’euros. Reste que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. L’ampleur de l’endettement du groupe inquiète et la compression des marges n’arrange rien. Fin 2008, victime collatérale de la crise sévissant dans le secteur des médias, le groupe se retrouve en cessation de paiement et une procédure de redressement judiciaire est ouverte. Depuis, banques, investisseurs et Claude Carrère lui-même ont négocié un plan de redéploiement. Représentant 12,5 % du capital de Carrère Group, Déminor, la société de défense des petits actionnaires, est aussi entrée dans la danse, accusant les dirigeants du groupe de publication d’informations mensongères et trompeuses. Voici quelques jours, le couperet est tombé : le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la liquidation judiciaire pure et simple de Carrère Group, fermant ainsi le livre d’une aventure entrepreneuriale hors du commun…

JEAN-MARC DAMRY

Tout ce que touchait Claude Carrère se transformait en or !

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