Thierry Fiorilli

Citoyen souverain

Thierry Fiorilli Journaliste

Le peuple.  » Un terme employé et distillé de façon exponentielle au fur et à mesure que se forment de nouveaux mouvements de contestation populaires. Difficile à définir, pourtant, au propre comme au figuré.

 » Le peuple…  » Une communauté d’individus. Mais reliés par quoi ? La nationalité, le territoire, les lois, la culture, la langue, le niveau de vie ? A opposer à des échelons supérieurs, socio-économiques, intellectuels, de pouvoir ? A distinguer de  » la nation  » ? A rapprocher de  » la plèbe  » ? Synonyme du  » monde ordinaire  » ? Et pourquoi cette évolution, selon les périodes ou les circonstances ?  » Le peuple « ,  » les foules « ,  » les masses « ,  » les citoyens « …

Très vieux débat. Qui demande d’infinies nuances. Mais à nouveau très fort d’actualité : c’est  » le peuple  » qui endosse un gilet jaune ; le  » peuple des ronds-points  » qui manifeste sa colère ;  » le peuple  » algérien qui fait dégager Bouteflika ;  » au peuple  » qu’on s’attaque avec les mesures injustes ;  » le peuple  » qu’ont entendu les gouvernants ;  » le peuple  » que défendent les opposants ;  » le peuple  » qui a le droit de ;  » avec le peuple, par le peuple et pour le peuple  » que toute bonne politique devrait désormais se concevoir et se mener…

La Belgique n’y échappe pas, elle qui s’est dotée il y a bientôt deux cents ans d’une monarchie parlementaire où c’est  » le peuple qui est souverain « , et pas le roi, limité, lui, à régner, les élus ne l’étant que par le suffrage universel – autrement dit, par la volonté  » du peuple « . Mais on y parvient à éviter cette appellation fourre-tout : il y est plutôt question de communautés (les Flamands, les francophones, les germanophones), de Régions (flamande, bruxelloise, wallonne), de manifestants (pour la planète, contre telle mesure, pour telle revendication), de collectifs (de citoyens), d’organisations (patronales, syndicales), de secteurs (marchand, non marchand), de catégories (les jeunes, les étudiants, les travailleurs, les femmes…). Autant de preuves qu’un peuple est constitué d’une multitude d’autres, très différents entre eux. Et qu’une démocratie consiste à faire exister cette multitude sans que l’une ou plusieurs de ses composantes soi(en)t lésée(s) ou privilégiée(s). Et avec la possibilité pour elle(s) d’exprimer librement ses/leurs désaccords et ses/leurs préférences, dans la rue comme dans les urnes, sur les réseaux sociaux comme sur les calicots.

Ce qui démontre bien que, chez nous comme dans les pays similaires, malgré l’installation grandissante de cette expression opposant en somme une classe à une autre ( » les élites  » et  » les vraies gens « ) et en dépit de l’accession au pouvoir de mouvements populistes (qui misent eux aussi sur cette distinction  » élites  » –  » vraies gens « ), ce n’est pas une crise de la démocratie que nous vivons. C’est une crise de la représentation. Les gouvernants sont remis en cause par une part plus ou moins importante de ceux-là mêmes qui les ont choisis : les citoyens. Parce que, explique le philosophe Gérard Bras dans son dernier ouvrage, Les Voies du peuple. Eléments d’une histoire conceptuelle (éd. Amsterdam, 2018), les élus font réapparaître et grandir, dans leurs actes et leurs discours, la déchirure entre deux… peuples : celui de la représentation et celui de la participation.

Or, c’est toujours le second qui détient véritablement les clés du pouvoir. Les élections du 26 mai, dans un mois, vont le rappeler à tout le monde.

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