CINÉMA

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Nanni Moretti aborde le plus déchirant des sujets dans le sobre et bouleversant La Chambre du fils, Palme d’or à Cannes

Dans le merveilleux Caro Diario ( Journal intime, 1993), Nanni Moretti évoquait, entre autres, le cancer dont il avait souffert et qu’il avait vaincu. La perspective de la mort s’introduisait sur la pointe des pieds dans l’univers plutôt souriant jusque-là du cinéaste italien. La chose se voyait d’ailleurs traitée sur un mode finalement assez comique, bien dans le ton d’un auteur pour lequel dérision et introspection font une rime féconde.

Il n’empêche que cette mort, à laquelle sa maladie lui avait fait penser, Moretti sentait le besoin de s’y confronter dans un film tout entier consacré à ce thème. Il songea au pire des scénarios: la mort d’un enfant et ses répercussions sur l’univers d’une famille. Son script avançait bon train lorsque, fin 1995, la grossesse de sa femme Silvia lui fit lâcher la plume. Ecrire sur la mort d’un enfant alors que le sien n’était pas encore né lui semblait impossible. Le scénario de La Chambre du fils prit la direction d’un tiroir dont il n’allait sortir que quelques années plus tard. Pour l’achever, Moretti fit appel à deux collaboratrices, l’une scénariste (Heidrun Schleef) et l’autre écrivain (Linda Ferri). Il savait déjà qu’il allait lui-même interpréter le rôle du père, un psychanalyste qui fait métier d’aider les autres, et que le soudain décès de son fils verra se découvrir impuissant face à son propre désarroi et à celui des siens…

Le film démarre sur des images de Giovanni (Nanni Moretti) faisant un jogging dans les rues d’Ancône. On le voit ensuite s’arrêter dans un bistrot pour boire un café, tout comme dans la dernière scène de Caro Diario. L’impression de familiarité s’accentue avec les images de Giovanni au travail, recevant ses patients et leurs problèmes (tantôt légers, tantôt graves) avec un détachement de surface et une compassion sincère qui rappellent non sans drôlerie certaines scènes des films précédents de Moretti. Mais le ton va rapidement changer…

Soudain, la tragédie

La famille de Giovanni mène une existence harmonieuse. Le père, la mère, le fils (Andrea) et la fille semblent s’entendre à merveille, dans une atmosphère de douce complicité que ne vient même pas troubler l’accusation de vol portée contre Andrea par un de ses camarades d’école. Le fils nie, la famille fait front, montrant son unité. Peu après, tout va s’effondrer d’un coup. L’appel à l’aide, un dimanche matin, d’un patient de Giovanni, va empêcher ce dernier d’aller courir avec Andrea, qui accompagnera donc plutôt ses copains pour une plongée en mer… dont il ne reviendra pas. Dévasté, tout comme son épouse et leur fille, le père va repenser au concours de circonstances qui l’a éloigné de son fils, lequel ne serait pas mort s’ils avaient été ensemble. Loin du lieu commun selon lequel la douleur rassemble les êtres proches, le deuil qui frappe la famille va la plonger dans une crise dont il ne sera pas facile d’émerger. Nous suivons cette évolution de scène en scène, de mots en regards, d’autant plus émus que Moretti se refuse à tout effet facile. La mise à nu de la souffrance n’est chez lui que le pendant naturel de la confession amusée dont il avait fait de nous les spectateurs complices dans nombre de ses films précédents. La réalisation, d’une exemplaire simplicité, laisse le sentiment vrai prendre sa juste place.

Sur le logo de sa compagnie de production, Sacher Film, Nanni Moretti s’était représenté en dessin sur un scooter, de dos. Depuis la naissance de son fils, il a fait ajouter un petit bonhomme assis derrière lui. Le gamin se porte bien, le père se sent mieux d’avoir comme exorcisé à l’écran son angoisse de géniteur. Pour méritée qu’elle soit, la Palme d’or, ainsi que le succès qu’elle amènera sûrement, n’est que bien peu de chose en regard de cette harmonie intime.

Louis Danvers

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