Ci-gît le soldat wallon de la tour de l’Yser…

Dans la crypte de ce haut lieu du Mouvement flamand repose un sans-grade hennuyer, aux côtés de deux frères flamands, morts en 1917  » pour la Flandre « … Une erreur de casting imparfaitement réparée.

Cherchez l’intrus, il repose en paix sous la première pierre tombale, à la droite des quelques marches qui mènent à la crypte de la première tour de l’Yser, dynamitée en 1946. Amé Fievez : seule la consonance du nom gravé au bas de la vieille pierre surmontée de la croix celtique frappée des lettres AVV – VVK trahit vaguement des origines wallonnes. C’est presque par contraste avec l’identité commune aux deux disparus ensevelis avec lui : Edward et Frans Van Raemdonck, sergents au 24e de Ligne nés à Tamise, et morts à la guerre à Steenstraete, le 26 mars 1917. Feu Amé Fievez, lui, a juste droit à une date que l’on suppose être celle de sa naissance. Il faut décrypter la petite plaquette fichée en terre au pied de la tombe pour en savoir un peu plus sur ce mystérieux troisième homme. En néerlandais dans le texte :  » Edward et Frans Van Raemdonck, selon la légende, morts serrés dans les bras l’un de l’autre en 1917. Enterrés dans un cercueil avec le soldat wallon Amé Fiévez.  » Mais qu’est donc venu faire ce sans-grade wallon en pareille compagnie, parmi un cercle de huit sépultures disposées autour d’une croix blanche ? Avec pour oraison funèbre un vers en néerlandais emprunté au poète frontiste Cyriel Verschaeve, qui finira condamné à mort pour collaboration avec les nazis :  » Ci-gisent leurs corps tels des grains dans le sable, espoir d’une récolte. Oh, pays de Flandre.  » Amé Fievez serait bien en peine d’afficher un brevet de flamingantisme comparable à ceux de ses infortunés compagnons d’armes. Comme Frans, qui annonçait à ses camarades de tranchée qu’il allait mourir  » pour l’idéal de la Flandre « . Ou Renaat, dont les dernières paroles furent :  » Alles voor Vlaanderen, Vlaanderen voor Christus !  » Impossible pour Amé de soutenir la comparaison avec celui dont il partage la dernière demeure :  » Et si je tombe, alors pour la Flandre « , avait lancé Frans Van Raemdonck. On ne saura jamais quelles pensées habitaient Amé Fievez, ni quel cri est sorti de sa bouche à l’heure de succomber sur le front de l’Yser, en mars 1917. Mais on sait que sa présence insolite dans le haut lieu du Mouvement flamand relève d’une histoire belge comme seule peut en sécréter notre passé communautaire.

Lorsque, trois semaines après leur disparition, on retrouve dans le no man’s land les corps des Van Raemdonck, le Mouvement flamand en pleine ébullition croit tenir deux héros de son combat : ils sont frères, proches du mouvement frontiste. La légende force le trait : ils seraient morts dans les bras l’un de l’autre. C’était sans compter sans la découverte d’un troisième corps retrouvé sur les lieux, celui d’un caporal identifié comme venant du Hainaut, et nommé Fievez. C’est lui qui était enlacé avec le sergent Frans Van Raemdonck, que son frère Edward recherchait quand il a aussi été tué. Un soldat wallon mort dans les bras d’un sous-officier flamand : voilà qui faisait mauvais genre. Mais nécessité de la cause flamingante fait loi : en 1932, les restes des trois militaires, rassemblés dans un seul cercueil, sont transférés en grande pompe dans la crypte de la tour de l’Yser, avec six autres héros de l’Yser. Après la Seconde Guerre mondiale, la famille du défunt wallon portera vainement plainte contre cette inhumation. La Flandre en a fait le symbole de la fraternité universelle, par-delà les peuples. Ce qui ne l’a pas empêchée de nier longtemps la présence du soldat wallon en refusant de mentionner jusqu’à son nom ailleurs que sur la pierre tombale. Il aura fallu attendre… 1996 pour qu’un ouvrage sur la question, écrit par le bourgmestre CD&V de Tamise, Luc De Ryck, finisse par contribuer à réparer ce déni. En toute discrétion. Amé Fievez, Wallon mort pour la Flandre, bien malgré lui.

P. Hx

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