Nico Walker : entré junkie en prison, il en ressortira écrivain en 2020. © dr

Cherry, cerise du polar carcéral

L’Américain Nico Walker raconte la guerre en Irak et l’épidémie d’opioïdes aux Etats-Unis depuis la cellule où il purge une peine de onze ans pour braquage. La naissance d’un écrivain, dernière sensation en date d’un véritable genre en soi.

 » A un moment donné, je suis tombé là-dedans et je suis devenu accro. Une chose en entraîne une autre, qui en entraîne une autre. Ça va mieux, ça empire. Et un beau jour, tu te retrouves complètement coincé avant même de t’être rendu compte que c’était si grave. Et si ça se trouve, tu es fou, et si ça se trouve, tu as un flingue, mais même à ce moment-là, ce n’est habituellement pas très grave.  » Grave, ce le sera l’instant d’après, quand Nico Walker, à l’image de son personnage principal et narrateur de Cherry (1), entamera son onzième braquage de banque en moins de quatre mois pour se payer son héroïne, et se fera choper. C’était en avril 2011, moins de cinq ans après son retour du front irakien. Depuis, Nico Walker purge sa peine dans une prison fédérale du Kentucky.

pour l’instant j’appelle plus des journalistes que ma famille.

Mais tout aura changé à sa libération, en novembre 2020 : entré junkie, il en sortira écrivain. Son premier roman, une fiction (très) autobiographique, a été écrit derrière les barreaux et a d’ores et déjà mis une claque à tout ceux qui l’ont lu ; Cherry est en effet un phénomène, tant aux Etats-Unis qu’en France. On n’avait jamais décrit la guerre, l’héroïne et les passages à l’acte d’un petit Redneck paumé de manière aussi honnête, aussi authentique, et sans l’once du moindre autoapitoiement – soit tout ce qui fait le sel d’un (bon) polar carcéral quand il est réussi, un genre en soi rempli de pépites malgré le spectaculaire, parfois un peu gênant, et parfois surexploité, de la posture d’écrivain-taulard. Des pépites, et désormais une cerise, ce Cherry, comme on surnomme les jeunes recrues à l’armée.  » Mais je ne sais pas si je peux déjà vous dire que la prison a été une chance, nous répond-il. Je dois vraiment y réfléchir ! C’est l’enfer, la prison, mais je serais sans doute mort aujourd’hui, comme des centaines d’autres le sont, si je n’avais pas été arrêté et incarcéré. Aujourd’hui, je me concentre surtout sur la sortie et la vie d’après ; j’ai envie de prendre très au sérieux ce métier d’écrivain. J’ai un autre livre déjà en cours. Et beaucoup de choses à écrire.  »

Depuis quelques années, les écrivains-taulards rencontrent le succès, avec des récits-vérité.
Depuis quelques années, les écrivains-taulards rencontrent le succès, avec des récits-vérité.© Andrew Aitchison/getty images

Promotion en prison

L’interview de Nico Walker, et la promotion de son Cherry, ne ressemble évidemment à aucune autre : c’est lui qui appelle depuis le téléphone mural situé en bas de sa coursive, et à 6 h du matin heure locale, avant que ses centaines de codétenus ne foncent à la douche ou au petit déjeuner –  » la seule manière d’être à peu près tranquille, confie-t-il. J’ai droit à 300 minutes par mois exactement, j’essaie de ne pas les gâcher, mais pour l’instant j’appelle plus des journalistes que ma famille « . La conversation s’achèvera brutalement et sans prévenir, après qu’une voix métallique nous a répété par deux fois que la conversation se faisait depuis une prison fédérale – comme si Walker pouvait l’oublier.  » Mais pour l’instant, je suis OK. Dans six mois, je devrais être transféré dans une prison plus cool, en attendant ma libération. Par contre, je ne sais presque rien des échos du roman, même si je suis touché par la réception dont on me parle quand j’appelle : ici, on a droit à une boîte mail, pas à Internet.  »

De fait, si Nico Walker a eu écho des 40 000 ventes dès sa sortie aux Etats-Unis l’année dernière, et du, dit-on, million de dollars que les frères Russo (réalisateurs de plusieurs films Avengers ) auraient mis sur la table pour en acquérir les droits d’adaptation ciné (et qui serviront essentiellement à l’auteur pour indemniser les banques qu’il a braquées), l’auteur perçoit encore mal l’onde de choc que Cherry provoque à sa lecture : dans une écriture faussement simple, organique et immédiate, basée sur les dialogues et les descriptions concises –  » à moins que vous y ayez déjà mis les pieds, vous n’avez jamais entendu parler de l’endroit où nous étions, donc ça n’a pas d’importance  » – Walker brosse avec cette autobiographie romancée un portrait sans fard aucun des pires maux de l’Amérique moderne.

(1) Cherry, de Nico Walker, éd. Equinox/Les Arènes, traduit de l'anglais (Etats-Unis), 432 p.
(1) Cherry, de Nico Walker, éd. Equinox/Les Arènes, traduit de l’anglais (Etats-Unis), 432 p.

Ennui et effroi

Il y a d’abord cette guerre en Irak dans laquelle le narrateur s’engage à 19 ans après une déception amoureuse, et où il restera un an comme assistant médical  » sans rien connaitre de la médecine « . Une expérience qui le marquera évidemment à vie, et qu’il raconte comme jamais, de la motivation à y être dans les premiers jours –  » Les gars de l’infanterie étaient chauds comme la braise, ils avaient hâte de commencer à tuer. Ils avaient tellement envie de tuer. Il y avait une confiance extravagante dans notre puissance de feu.  » – à l’ennui qui s’installe :  » C’est là que je me suis rendu compte que nous n’étions pas là pour faire quoi que ce soit. Nous étions là pour nous faire défoncer-ou-tuer-par-des-bombes, nous étions là pour perdre-notre-putain-de-temps-chaque-jour, mais personne ne nous croyait capable de véritablement combattre, quelle que soit la signification qu’on donne à ce terme.  » Un ennui juste entrecoupé par des éclairs d’horreur :  » J’ai regardé le corps du canonnier. Il était cramé, des fragments de gilet pare-balles collés à son torse, jambes repliées, fémurs, tibias et péronés avec du tissu noir, les bras fondus, le corps éviscéré, étendu sur ses tripes, plus de visage, un crâne à la place de la tête. L’odeur, c’est quelque chose que tu connais déjà. C’est encodé dans ton sang. La fumée pénètre dans chaque pore, dans chaque glande, tu en as plein la bouche, comme si tu en mangeais.  »

Au retour, le narrateur de Cherry souffre évidemment de stress post-traumatique, ce fameux « PTSD  » qui ne sera ni diagnostiqué, ni soigné, le jetant cette fois dans les bras du second fléau de l’Amérique moderne : une véritable épidémie d’opioïdes, nommée comme telle, et qui a fait en dix ans deux millions de dépendants à l’héroïne et aux antidouleurs opiacés (Oxycodone, Percocet) sous une double conjoncture funeste : l’arrivée sur le marché US à la fois d’une héroïne très bon marché, et de nouveaux médicaments dérivés de l’opium et de la morphine qui ont fait l’objet d’intenses campagnes marketing typiquement ricaines au moment de leur commercialisation. Le narrateur de Cherry et son grand amour n’y échapperont pas, plongeant dans le crime pour se payer leurs doses.  » Mais le roman ne s’achève pas comme dans la vie, tient à préciser Nico Walker de son accent traînant. La rédemption n’est pas une possibilité pour tous, et je voulais quand même marquer des différences avec ma propre vie. Parce que je crois et je veux que l’histoire dépasse le personnage. Que ce soit à propos de la consommation de drogue ou la guerre en Irak, la plupart des films et des livres qui en parlent racontent beaucoup de mensonges. Moi, je les ai montrées comme je les voulais : en étant aussi honnête que possible.  » Une honnêteté qui frappe à chaque page, et qui n’a rien de paradoxal en regard de son statut de criminel : la littérature carcérale, vieux classique des lettres et souvent du polar, pousse visiblement au dépouillement et à la vérité crue.

Cherry, cerise du polar carcéral

Écrits derrière les barreaux

Cellule 2455 couloir de la mort – Caryl Chessman (1954)

Né en 1921 et mort dans la chambre à gaz de la prison de San Quentin en 1960, l’Américain Caryl Chessman a utilisé ses douze années de combat judiciaire, perdu, contre sa condamnation à mort pour écrire quatre livres, devenus des classiques du polar carcéral, premiers du genre écrits de ce côté-là des barreaux. Cellule 2455 fut publié en français, en 1973, aux Presses de la Cité.

Cherry, cerise du polar carcéral

L’Astragale – Albertine Sarrazin (1965)

Albertine Sarrazin, née de parents inconnus en 1937, à Alger, a vécu une vie particulièrement tragique, jusqu’à son terme : elle avait à peine goûté au succès de ses récits, première femme à raconter son existence de délinquante et de prostituée, mais aussi la réalité des prisons pour femmes, qu’elle décédait accidentellement en 1967, à 29 ans. Ses livres se sont vendus depuis à près de trois millions d’exemplaires, et sont régulièrement réédités, tel L’Astragale ou ses Nouvelles de prison (éd. du Chemin de Fer).

Cherry, cerise du polar carcéral

Aucune bête aussi féroce – Edward Bunker (1973)

Ecrit en 1973 lors d’un des nombreux séjours en prison de son auteur Edward Bunker, Aucune bête aussi féroce fut publié en 1992 par Rivages, devenant immédiatement un classique : braqueur devenu scénariste, écrivain et parfois acteur (il était le Mister Blue du Reservoir Dogs de Quentin Tarantino), Bunker a décrit comme personne l’inéluctabilité des trajectoires criminelles, l’impossibilité de la réinsertion et la férocité du système carcéral et judiciaire américain. Il est décédé en 2005.

Cherry, cerise du polar carcéral

Dans le ventre de la bête – Jack Henry Abbott (1980)

Abandonné à 4 ans, incarcéré à 12 ans, meurtrier à 21 ans, Jack Henry Abbott se qualifiait lui-même de bête enragée. Mais il découvre les livres en prison et entame une correspondance avec Norman Mailer sur les réelles conditions de vie des pires prisons américaines. Les lettres deviendront un roman, Dans le ventre de la bête, dont le style unique et le succès lui vaudront le soutien de tout l’intelligentsia hollywoodienne. Abbott est libéré en 1981 ; un mois plus tard, en discothèque, il poignarde à mort un jeune homme et retourne en prison pour ne plus la quitter. Il s’y pendra en 2002. Son premier roman (sur seulement deux), toujours considéré comme un chef-d’oeuvre, a récemment été réédité chez Ring.

Cherry, cerise du polar carcéral

Prisons – Ludovic-Hermann Wanda (2018)

Ludovic-Hermann Wanda, dandy black aussi atypique que son style littéraire, a marqué les esprits de la dernière rentrée littéraire avec Prisons, récit en miroir de Frédéric, petit délinquant des banlieues qui en sortira par le haut, et depuis la prison, en découvrant que  » la lecture est une arme « . Le jeune auteur y manie autant l’argot des rues qu’un français très chatié, se jouant pour une fois des clichés du genre.

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