Chercher le trait le plus approprié

Après plus de quatre ans de travail, le sixième tome du livre de Philippe Goddin Hergé. Chronologie d’une ouvre est enfin en librairie. Il s’agit d’un catalogue richement illustré des ouvres d’Hergé. Il regorge de documents inédits et de matériels redécouverts dans les archives, et fait la part belle aux qualités de dessinateur du père spirituel de Tintin et Milou.  » Ce qui est extraordinaire, c’est que l’on y voit Hergé chercher quel sera le trait le plus approprié et peaufiner ainsi son dessin « , nous dit Goddin.

Philippe Goddin a été pendant des années le secrétaire général de la Fondation Hergé, l’organisme qui, au départ de ses anciens studios de l’avenue Louise à Bruxelles, assure désormais la gestion de l’héritage artistique d’Hergé. Après la mort du dessinateur, Goddin s’est notamment consacré à mettre de l’ordre dans les archives d’Hergé, ce qui a largement contribué au fait qu’il connaît à présent comme sa poche sa vie et son £uvre. Depuis quelques années, il travaille en tant que journaliste free-lance, ce qui lui a permis, concrètement, de publier un nombre considérable de livres sur Hergé. Lignes de vie, paru fin 2007, était la biographie la plus complète qui ait été publiée sur Hergé. Les cinq tomes de Chronologie d’une £uvre nous offrent aujourd’hui une vision impressionnante du parcours artistique de Georges Remi. Dans le sixième tome, qui vient de paraître et couvre la période 1950/1957, on peut suivre de près la genèse d’albums tels que Objectif Lune, On a marché sur la Lune, L’Affaire Tournesol et Coke en stock.

PHILIPPE GODDIN : Chronologie d’une £uvre est né du fait que nous ressentions le besoin de montrer les dessins d’Hergé dans toute leur vigueur. Lorsque nous avons entamé la série et que nous avons réfléchi avec Fanny, la seconde épouse d’Hergé, à la meilleure manière de le faire, nous sommes rapidement arrivés à la conclusion qu’il fallait donner aux livres – nous ne savions pas encore combien il y en aurait – toutes les apparences de livres d’art : grand format, beau papier, illustrations toujours basées sur les planches originales avec autant d’agrandissements que possibleà

Nous avons su dès le départ que nous allions travailler de façon chronologique, de telle sorte que le lecteur puisse suivre, jour après jour, le travail d’Hergé. Cela nous a aussi permis de nous attarder sur le travail qu’Hergé a fourni en dehors de Tintin. Dans les premières années, celles où il n’était pas encore monopolisé par Tintin, il était aussi illustrateur et concevait des affiches. Comme nous avons suivi Hergé au quotidien dans ses activités, nous avons pu faire apparaître les similarités qui existent entre les divers modes d’expression dans lesquels il était actif. Une séquence qui met en scène les Dupont et Dupond dans Tintin présente par exemple des similarités frappantes avec l’affiche dessinée pour une marque de bière.

Nous avons pu éviter que ce soit la stricte chronologie qui nous dicte le contenu de chacun des divers volumes du livre. Une telle structuration de notre ouvrage nous aurait en effet amenés à passer, dans certains cas, d’un volume à l’autre en plein milieu des préparatifs ou de la publication d’un album. Il n’en est pas ainsi : chaque tome de la Chronologie se clôture lorsqu’un album est terminé, pas lorsque l’on arrive à un 31 décembre. Chaque livre traite ainsi de trois à cinq aventures de Tintin, outre les autres travaux qu’effectuait Hergé.Comme nous n’avons pas retrouvé beaucoup de dessins au crayon du début de sa carrière, nous nous sommes focalisés sur les dessins finis. Il en est de même de ses travaux d’illustrateur et de publicitaire qui ont été une découverte pour la plupart des amateurs. Par contre, en ce qui concerne la période que couvre le sixième tome, nous avons conservé de nombreuses esquisses au crayon, les brouillons de son £uvre.

Ce qui est extraordinaire est que cela permet de voir Hergé chercher sur papier quel sera le trait le plus approprié et peaufiner ainsi son dessin. Ensuite viennent les dessins tels qu’ils ont paru dans les albums. Il en est de même de l’utilisation des couleurs : il existe des différences entre les versions parues dans l’hebdomadaire Tintin et celles qui figurent dans les albums. Le matériel qu’il nous est donné de voir évolue et s’enrichit au fil des publications, ce qui modifie aussi le caractère des livres. Il y a beaucoup de matériel qui provient des archives des Studios Hergé, mais je présente aussi des travaux découverts çà et là.

La Chronologie donne l’impression qu’Hergé a conservé lui-même beaucoup de matériel. Au moment où il dessinait Tintin, était-il lui-même conscient de son talent ?

GODDIN : Je ne sais pas s’il en était très conscient à l’origine. Je sais, par contre, qu’il était très insouciant de son archivage et de la bonne conservation de ses planches originales. Lorsque j’ai commencé à bien le connaître, au début des années 1970, il conservait ses originaux dans des armoires qui ne fermaient pas à clé. Quand, longtemps après son décès, j’ai commencé à mettre de l’ordre dans ses archives, on avait déjà mis des serrures sur les armoires. Pour le reste, tout était mélangé et il y avait pas mal d’esquisses dont on pouvait se demander à quel album elles se rapportaient.

Hergé conservait les documents dont il pensait qu’il pourrait encore se servir. Il avait peur de se débarrasser d’originaux dont il faudrait peut-être plus tard réaliser une nouvelle photogravure. Une anecdote fameuse est celle de Numa Sadoul qui, lors d’une interview d’Hergé ici, aux Studios, avait trouvé dans une armoire à côté des toilettes, emballées dans un papier brun, des planches originales de Tintin au pays des Soviets.

On a pourtant conservé pas mal des travaux de jeunesse d’Hergé. Vous avez, par exemple, publié des esquisses et des dessins que le jeune Georges Remi avait réalisés lors d’un camp scout, à Mol.

GODDIN : Il avait conservé un certain nombre de cahiers de croquis de son époque scoute, mais beaucoup de ses dessins ont été dispersés. Il ne s’en préoccupait guère. Après sa mort, il a fallu consacrer beaucoup de temps et d’énergie à chercher des travaux perdus.

Dans Lignes de vie, votre biographie d’Hergé, vous signalez qu’Hergé avait visité l’atelier du peintre Jakob Smits pendant un de ses camps scouts, à Mol.

GODDIN : Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus à ce sujet. Je sais qu’il est allé chez Smits, mais je ne sais rien d’autre. Sa visite se trouve mentionnée dans le journal du camp, dans lequel les scouts notaient, photos à l’appui, ce qu’ils faisaient de leurs journées. On n’y trouve pas de photos de la visite à l’atelier de Smits, ni d’ailleurs aucune autre information à ce propos. Le père Helsen, fondateur et dirigeant de la troupe scoute du Collège Saint-Boniface à Bruxelles, où Hergé a fait ses études, était originaire de Mol. Il était issu d’une famille d’industriels qui exerçaient leurs activités dans les domaines de la verrerie et des carrières de sable. Il connaissait bien la région et arrivait ainsi à réaliser des choses qui n’étaient pas à la portée de n’importe qui. C’est la raison pour laquelle beaucoup de camps scouts se déroulaient dans la région de Mol et étaient fréquemment ponctués par des visites de curiosités de la région. Comme l’atelier de Smits.

Dans votre Chronologie d’une £uvre, vous parlez de l’£uvre d’Hergé comme de celle d’un artiste. A quel moment de sa carrière Hergé est-il devenu conscient des qualités artistiques de son travail ?

GODDIN : Hergé était d’un naturel modeste mais, à un certain moment, son succès est devenu tellement évident qu’il pouvait difficilement l’ignorer. Sans doute avait-il en effet déjà réalisé quelque chose d’extraordinaire, mais il n’a jamais eu la grosse tête, si j’ose m’exprimer ainsi. Il n’était pas dans la nature d’Hergé de vouloir être mieux que les autres.

A Saint-Boniface, il avait suivi quelques cours de dessin et il avait même publié quelques croquis dans des journaux scouts. Mais il s’était limité à cela pendant sa jeunesse. Comme son père ne voulait pas qu’il entame des études supérieures, il avait été travailler à 18 ans au journal Le Vingtième Siècle, mais pas du tout en tant que dessinateur ou illustrateur. Ce n’est qu’après qu’il ait terminé son service militaire qu’il essaya d’obtenir au même journal un poste d’illustrateur. Un illustrateur modeste qui aidait à remplir les pages et exécutait ce qu’on lui demandait.

Lorsque l’abbé Wallez, rédacteur en chef du journal, lança un supplément destiné aux enfants, il demanda à Hergé de collaborer avec lui, puisqu’il avait déjà travaillé pour les journaux scouts. Hergé fit ce qu’on lui demandait. C’est la seule raison pour laquelle il a créé Tintin. Il ne pouvait imaginer en aucune manière que ce petit personnage allait devenir ce qu’il est aujourd’hui ! A tel point que l’idée, à la fin du premier récit, de faire arriver Tintin (joué par un figurant) en train à Bruxelles n’est même pas de lui mais d’un autre membre de la rédaction. Wallez y croyait, Hergé pas.  » ça n’intéressera personne « , disait-il.

Même après qu’il ait déjà publié diverses histoires de Tintin, il continua à accepter d’autres travaux. Il concevait des affiches et fonda l’Atelier Hergé-Publicité où il créait des campagnes de publicité avec un excellent dessinateur de ses amis, dessinait des couvertures de livres et faisait des illustrations. Si cela peut éclairer votre lanterne, il est bien possible qu’Hergé n’ait personnellement jamais imaginé que Tintin puisse avoir un avenir à long terme. Il ne semblait apparemment pas croire lui-même que le succès durerait et il est resté longtemps actif dans plusieurs domaines. Ce n’est que bien plus tard qu’il allait se consacrer entièrement à Tintin.

Dans le premier tome de votre Chronologie, les affiches et le travail publicitaire d’Hergé sont très présents. Où avec-vous trouvé ces documents ?

GODDIN : J’ai trouvé une douzaine d’affiches dans les armoires des Studios Hergé. Il ne m’a pas été possible, à ce moment, de les situer de façon précise dans le temps. Il était impossible de déterminer si une affiche datait de 1931 ou 1934. Dans la plupart des cas, elles n’étaient pas datées et il s’agissait souvent de sujets généraux ou d’événements qu’il était impossible de dater. D’autres dessins de cette époque – des projets, des gouaches, etc. – se trouvaient dans les archives d’Hergé.Les choses allaient fortement progresser à dater du jour où, alors que j’étais le secrétaire général de la Fondation Hergé, je reçus un coup de téléphone d’une dame qui possédait encore du matériel relatif à Hergé. Son père avait connu Hergé. Lorsqu’elle me donna son nom, je sus immédiatement de qui il s’agissait : le partenaire en affaires d’Hergé, au temps de l’Atelier Hergé-Publicité. Son père était décédé mais elle détenait encore une bonne partie de ses archives.

A un certain moment, alors que Tintin atteignait le sommet de sa gloire, Hergé s’est soudain mis à peindre.

GODDIN : Après la guerre, Hergé devint très rapidement un personnage connu. Il luttait contre une dépression et en avait assez de Tintin. Il s’est dès lors mis à peindre (nous sommes au début des années 1960) car il était devenu collectionneur d’art moderne et voulait lui-même s’essayer à un autre mode d’expression.

Il n’a pas remporté un grand succès et il a rapidement changé son fusil d’épaule.

GODDIN : Je ne dirais pas cela aussi brutalement. Il n’entrait pas dans ses intentions de vendre ses tableaux. A ses yeux, il s’agissait d’une forme d’expression, d’une façon de s’extérioriser. Hergé a parlé une fois de ses £uvres mais il ne les a jamais montrées. Il prétendait qu’il avait tout détruit, mais ce n’est pas vrai. Fanny a retrouvé dans un grenier toutes les peintures d’Hergé, soigneusement emballées. Fanny et Hergé avaient déménagé deux fois depuis qu’il avait réalisé ces tableaux, ce qui signifie clairement qu’il n’avait aucune intention de les détruire. Il trouvait donc ces travaux intéressants. Deux de ces toiles ont fait l’objet d’un échange avec le galeriste Marcel Stal qui appréciait beaucoup le travail d’Hergé et l’avait convaincu de signer ces toiles du nom d’Hergé et non de Georges Remi. Aucune des autres toiles n’est signée.

Certaines des toiles d’Hergé sont plutôt figuratives alors que d’autres sont abstraites. Comme si Hergé, en cours de travail, cherchait son propre mode d’expression et voulait tenter d’emprunter plusieurs directions à la fois. Ce qui m’a frappé aussitôt – et je n’étais pas le seul – c’est qu’il s’agissait réellement de peintures. Ce n’était pas l’£uvre d’un auteur de BD qui se mettait à peindre comme l’ont fait d’autres, avec des résultats mitigés. Dans ses toiles, Hergé se débat avec des problèmes qui sont le propre de l’art pictural : tension, équilibre, couleur, relief, dynamiqueà Je considère que ce sont de bonnes toiles. Hergé n’a pas poursuivi dans cette voie – j’estime qu’il a peint pendant deux ans maximum – mais ce n’était pas parce que ses toiles étaient de qualité médiocre. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas parce qu’Hergé a dit qu’il ne voulait pas qu’on les montre qu’il faut les garder sous le manteau. J’espère même que quelqu’un les montrera un jour, car elles sont très intéressantes.

Vous venez d’évoquer sa collection d’£uvres d’art. A quel moment de sa vie l’a-t-il entamée ?

GODDIN : Assez tôt. Dans les années 1930, il avait un peu d’argent et il s’est acheté une gravure de Picasso, un tirage limité de Valerius De Saedeleer, une £uvre de Magritteà Ce n’était pas encore une collection, il n’en avait pas les moyens. Ce n’est que plus tard qu’il a réellement connu le succès, très progressivement, à l’époque du journal Tintin et des éditions internationales de ses albums.A mesure que son succès croissait, il a voulu s’entourer toujours plus d’£uvres d’art. A la fin des années 1950, lors de la création des Studios Hergé, il disposait de nombreux murs qu’il voulait habiller. Il n’exposait pratiquement pas d’£uvres personnelles à ses murs. Je crois qu’il n’y a que le bureau de Bob De Moor qui était décoré de la couverture du Lotus bleu. Pour le reste, il achetait des tableaux. Uniquement de l’art contemporain et abstrait. Ses goûts continuaient à évoluer. Lorsque l’on voit les photos de son bureau qui ont été prises au cours des années, on voit quelle est l’évolution. Les tableaux changent souventàIl est devenu progressivement un véritable collectionneur, d’abord à son domicile privé, puis ici. Il se sentait proche de certains artistes. C’est peut-être cela qui l’a incité à se mettre à peindre. Sait-on jamais ?

Ce qui est curieux, c’est que le travail d’Hergé est aujourd’hui estimé à des valeurs supérieures à celles de beaucoup des artistes dont il collectionnait les £uvres !

GODDIN : Il se trouve en tout cas à un niveau identique. Certains sont naturellement plus réputés encore qu’Hergé, mais il figure dans le peloton de tête.

N’est-ce pas une ironie du sort que ce soit précisément avec ses bandes dessinées qu’il ait acquis une place de choix dans l’histoire de l’art ?

GODDIN : Hergé disait à ce propos :  » Cordonnier, pas plus haut que la chaussure.  » C’était sa philosophie, même quand il peignait. C’est peut-être la raison pour laquelle il a arrêté si tôt, même s’il l’a peut-être regretté. Pendant toute sa vie, il a cultivé une grande modestie. Ce qui ne l’a pas empêché de se montrer parfois intransigeant dans son propre métier, la bande dessinée. Quand Raymond Leblanc, directeur de l’hebdomadaire Tintin, prenait des initiatives qu’il n’approuvait pas, il mettait vraiment tout en £uvre pour défendre son point de vue. Il partait du principe qu’il était un expert en matière de dessins et de livres pour enfants. De plus, il avait, au cours des années, développé un mode de travail qui lui était propre, un style fondé sur la clarté et le caractère compréhensible du récit. Il trouvait que, lorsqu’il considérait que le travail d’un autre dessinateur lui paraissait trop faiblard, il avait le droit de s’exprimer à ce propos. Ce qui ne signifie pas qu’il souhaitait que tout le monde dessine comme lui. Il admirait les gens qui avaient développé un style qui leur était personnel. Il adulait le travail d’Hugo Pratt, aimait beaucoup les dessins de Charles M. Schulz et son Peanuts et était un admirateur inconditionnel de Franquin.

Il a pourtant fallu que des gens comme Willy Vandersteen ou Tibet adaptent leurs créations avant publication dans l’hebdomadaire Tintin.

GODDIN : C’est vrai. Mais je voudrais ajouter que quand on voit la première génération de dessinateurs qui a collaboré à l’hebdomadaire Tintin, on ne peut pas dire qu’ils travaillaient tous dans son style. Hergé ne demandait qu’une seule chose : la qualité. Pensez par exemple aux dessins de Fred et Liliane Funcken, qui étaient réalisés dans un style très différent. Ou à Cuvelier : un tout autre style que celui d’Hergé. Jacques Martin et Bob De Moor étaient par contre dans la ligne de son style. Et puis, il y a Vandersteen, dont le travail fait pour Tintin était très proche de celui d’Hergé. Les remarques qu’Hergé a émises à propos du travail de Tibet et Vandersteen n’avaient pour objectif que de rehausser leur niveau qualitatif et de les inciter à avoir plus de classe. Hergé trouvait que Vandersteen avait un côté un peu vulgaire, un peu plat. Il a essayé de canaliser tout cela. Et Tibet a suivi plus ou moins la même voie.

Aujourd’hui, Tibet dit lui-même :  » Hergé avait raison. « 

GODDIN : En effet.

Le cas Vandersteen était différent. Il avait opté pour la quantité bien plus que pour la qualité. Et il a mis un terme à sa collaboration avec l’hebdomadaire Tintin.

GODDIN : Hergé avait son propre studio, et Vandersteen le sien. Mais ils fonctionnaient tout à fait différemment. Il est évident qu’Hergé est toujours resté lui-même le créateur alors que j’ai cru comprendre que Vandersteen a toujours fait faire une grande partie du travail par ses collaborateurs.

Jusqu’à quel point un assistant comme Bob De Moor a-t-il exercé une influence sur le travail d’Hergé ?

GODDIN : Leur rencontre s’est passée très naturellement. Bob De Moor a été présenté à Hergé sur le conseil de Raymond Leblanc. Il s’était rendu compte qu’Hergé était souvent malade ou déprimé, et disparaissait alors pour quelques semaines ou quelques mois. Comme cela lui causait bien des soucis, il a proposé à Hergé de se faire entourer d’assistants. Non pas pour le remplacer, mais pour l’aider dans son travail. Il fallait donc trouver quelqu’un dont le style de dessin soit aussi proche que possible de celui d’Hergé. C’est le cas de De Moor. C’est aussi le cas de Jacques Martin, qui a rejoint l’équipe plus tard, avec pour première mission de dessiner les chromos de la collection de livres Voir et Savoir.

On a dit que pendant les vingt dernières années de sa carrière, Hergé agissait plus comme un chef de bureau que comme un véritable créateur.

GODDIN : Je ne suis pas d’accord. Dans le sixième tome de Chronologie, celui qui vient de paraître, on voit très bien que la part la plus importante de la création était toujours entre les mains d’Hergé. C’est un peu dommage pour les autres qui devaient exécuter des travaux bien plus modestes, mais 90 % du travail créatif était fait par Hergé.Dans le livre, nous montrons de nombreuses esquisses au crayon faites par Hergé. Avant d’entamer ce livre, j’avais un peu peur de devoir rejeter une partie du matériel parce qu’il aurait été l’£uvre de collaborateurs et n’aurait donc pas sa place dans la Chronologie. J’ai par exemple repris des croquis au crayon de la période de création de L’Affaire Tournesol et Coke en stock. Les assistants d’Hergé intervenaient dans ces croquis. Mais, sur les dessins, on voit aussitôt ce qu’Hergé a fait lui-même et ce qui a été confié à d’autres. Les assistants donnaient sa forme définitive à un immeuble, finissaient une voitureà Leur trait est tout à fait différent et on le distingue aisément, bien que tout se trouve sur le même document.

Cela dit, il n’en a pas toujours été ainsi. Après un certain temps, Hergé est devenu une espèce de star et ses collaborateurs ne touchaient plus à ses croquis. Ils n’intervenaient plus dans ses dessins, à un point tel que les compléments, les détails et les décors qu’ils ajoutaient étaient dessinés sur une autre feuille de papier. En résumé, on pourrait dire que les idées venaient d’Hergé. C’est la raison pour laquelle il n’a pas édité un plus grand nombre d’albums. Il n’a jamais voulu que quelqu’un prenne sa place. Tintin restait son £uvre. Il est d’ailleurs arrivé que ses collaborateurs perdent patience. Le studio est certainement venu en aide à Hergé mais, à d’autres moments, il avait le sentiment qu’il lui rendait la vie un peu difficile. Car il fallait aussi qu’il alimente ses collaborateurs en travail.

Le sixième tome de la Chronologie est à présent paru. Encore un volume, et vous aurez terminé votre projet ?

GODDIN : Je me demande à présent si un huitième volume ne va pas s’imposer. Nous nous trouvons actuellement dans une période extrêmement riche en croquis au crayon. C’est un matériel brillant, fabuleux, que nous ne pouvons manquer de publier. Il reste encore quatre albums de Tintin, plus quelques projets inachevés qui ont donné lieu à de très beaux dessins. Je crains que le septième tome ne suffise pas à montrer convenablement tout cela. S’il y a un huitième tome, il nous permettra en outre de montrer ce que nous avons découvert en chemin. Nous pensons par exemple aux fresques récemment mises à jour sur les murs de Saint-Boniface. Nous pensons aussi à des réactions de lecteurs à propos de la rubrique Signes de pistes et avis de recherche qui apparaît dans les livres et dans laquelle je donne des indications sur des travaux dont nous n’ignorons pas l’existence mais que nous n’avons pas été à même de découvrir. Des travaux qui font l’objet d’une facture, par exemple. Bien sûr, nous n’avons pas tout résolu. Il y a encore des travaux dont nous n’avons pas trouvé trace. Et je joue volontiers avec l’idée de finir la série – ce fameux huitième tome donc – par un survol photographique de la vie d’Hergé. Jusqu’ici, ce sont surtout des dessins que nous avons présentés dans nos livres.

Philippe Goddin, Chronologie d’une £uvre: 1950-1957, Editions Moulinsart, 420 PAGES, 105 euroS.

par T. HORSTEN

 » Je ne pense pas qu’Hergé, dans ses dernières années, soit devenu un chef de bureau. Dans Chronologie, vous voyez clairement qu’il était essentiel pour lui de continuer à créer. « 

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