thierry bellefroid © hatim kaghat

Cher Pierre de Coubertin,

Vous qui avez bien connu toutes les nations – et en particulier celle des bords du Léman où vous avez fini vos jours -, dites-moi : la Suisse n’était-elle pas un pays neutre ? Je vous demande ça parce que je suis un peu étonné d’apprendre que l’équipe de football de la Confédération est en réalité proalbanaise. C’est du moins ce que prétend la fédération serbe, qui a décidé de déposer une plainte à la Fifa. L’affaire remonte aux matchs d’accession aux huitièmes de finale du Mondial russe. Menée 1-0 après six minutes face aux Serbes, l’équipe alpestre a renversé la vapeur, grâce aux buts de deux attaquants d’origine kosovare, Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri. Bien qu’helvètes, les deux joueurs n’ont pas oublié leur public albanophone : ils ont mimé l’aigle de leur drapeau avec les mains devant la poitrine pour saluer leur but. C’est vrai, ce n’était pas des plus élégants face à des joueurs serbes dont le pays n’a jamais reconnu l’indépendance autoproclamée du Kosovo en 2008. Pour la fédération de football de Serbie, c’est carrément une provocation inacceptable ! Déjà que l’arbitre avait, selon elle, le tort d’être allemand, ce qui le rendait potentiellement favorable à l’équipe suisse – vous pensez bien, dans la Confédération, vous avez une chance sur trois de vous trouver en face d’un germanophone. A ce train-là, il ne faudrait pas qu’un arbitre allemand soit désigné dans un des matchs des Diables Rouges. On pourrait le soupçonner de sympathie avec les tenants d’une de nos trois langues nationales !

Pierre de Coubertin (1863-1937)          Pédagogue français, sportif accompli, convaincu de l'importance  de l'éducation physique, c'est lui qui,  en 1894, lors d'une conférence réunissant quatorze nations, proposa de ressusciter les Jeux olympiques. Deux ans plus tard, il créait le Comité olympique international dont il fut  le président jusqu'en 1925.
Pierre de Coubertin (1863-1937) Pédagogue français, sportif accompli, convaincu de l’importance de l’éducation physique, c’est lui qui, en 1894, lors d’une conférence réunissant quatorze nations, proposa de ressusciter les Jeux olympiques. Deux ans plus tard, il créait le Comité olympique international dont il fut le président jusqu’en 1925.© belgaimage

Bon, je comprends que ce ne soit pas agréable de voir un de ses joueurs ceinturé devant un but sans obtenir de penalty. Mais, n’aviez-vous pas dit, un jour, que l’essentiel n’était pas de gagner, cher Pierre ? Certes, vous parliez de JO, pas de la Coupe du monde de football. Tout de même, on est loin, parfois, dans ces compétitions sportives, de votre célèbre :  » L’important, c’est de participer.  » Prenez l’équipe suédoise de football. Elle aussi a connu des jours meilleurs.  » Maudit étranger « ,  » poseur de bombes « , voilà quelques-unes des insultes qu’a dû essuyer l’un de ses joueurs au lendemain d’un match perdu contre l’Allemagne. Jimmy Durmaz, l’attaquant d’origine turque visé par ces injures, avait juste eu le tort de provoquer la faute qui avait valu aux Allemands de marquer sur coup franc. Avouez que, là encore, on est loin de votre idéal d’élévation par le sport, mon cher Pierre. Est-ce à dire que notre monde n’est pas mûr pour faire se rencontrer les grandes nations autour d’un ballon rond dans un esprit de fête ? Allez savoir s’il l’a jamais été. Même vos Jeux, restaurés à la fin du xixe siècle dans un pur esprit hellénique, ont connu des jours difficiles. Un an avant votre mort, les JO de 1936 à Berlin, véritable vitrine du nazisme, ont dû vous valoir une sacrée chair de poule ! Et on ne parle pas des scandales de corruption qui les ont entachés ces dernières années. Ah, qu’il est difficile de mener un idéal jusqu’à son terme dans un monde qui ne demande qu’une chose : céder aux forces centrifuges lorsque tout voudrait qu’il soit centripète…

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