© HATIM KAGHAT

Cher Alexandre Jacob,

Beaucoup ont oublié votre existence. Vous avez pourtant été l’Ennemi public n°1, une sorte d’équivalent du Géant qui occupe régulièrement la Une de nos journaux ces dernières semaines. Si ce n’est qu’à la différence du Géant, non seulement on connaissait votre identité, mais, en plus, vous assumiez pleinement vos actes : vous avez comparu devant vos juges pour une impressionnante quantité de casses dont le butin était redistribué aux plus pauvres, vous en avez même profité pour en faire un procès politique. En cela, vous ressembliez plus à une sorte de Robin des Bois moderne qu’à n’importe quel Géant tiraillé par le remords au moment de tirer sa révérence. Ajoutons que votre bande avait un nom bien plus sympathique que les Tueurs du Brabant, puisqu’on vous surnommait Les Travailleurs de la nuit. A la faveur des zones d’ombre, vous visitiez les demeures des notables et les églises où l’art sacré se ramassait au kilo.

Cher Alexandre, si vous viviez aujourd’hui, vous n’auriez plus grand-chose à piller dans les sacristies ou les églises : quand elles ne sont pas fermées à double tour, elles sont le plus souvent dépourvues de leurs plus belles oeuvres d’art – d’autres sont passés après vous. Et comme les vocations ne se bousculent pas, l’opulence n’y est plus trop au goût du jour, sauf si vous jetez votre dévolu sur le Vatican. En revanche, si vous agissiez aujourd’hui à la tête du même gang de travailleurs nocturnes, vous disposeriez d’un précieux bottin. Car pour cela aussi, le monde a changé. Ce n’est plus le notable du coin – médecin, pharmacien ou, mieux encore, notaire – qu’il faut nuitamment visiter. C’est le fraudeur du fisc. Vous avez entendu parler des Panama Papers et, plus récemment, des Paradise Papers ? C’est l’annuaire des plus grands fraudeurs du siècle. Et croyez-moi, vous dont le mot d’ordre était  » La propriété, c’est le vol !  » vous n’aurez aucun scrupule à les dépouiller.

Alexandre Marius Jacob(1879 - 1954)           Anarchiste français, il a écumé la France entre 1900 et 1903 avec sa bande des Travailleurs de la nuit, commettant quelque 150 cambriolages où l'audace le disputait à l'humour. Il aurait inspiré Maurice Leblanc pour le personnage d'Arsène Lupin. Finalement arrêté, il sera jugé en 1905 et passera dix-huit ans au bagne de Cayenne. Il finira sa vie comme marchand ambulant, avant de se donner la mort, avec panache.
Alexandre Marius Jacob(1879 – 1954) Anarchiste français, il a écumé la France entre 1900 et 1903 avec sa bande des Travailleurs de la nuit, commettant quelque 150 cambriolages où l’audace le disputait à l’humour. Il aurait inspiré Maurice Leblanc pour le personnage d’Arsène Lupin. Finalement arrêté, il sera jugé en 1905 et passera dix-huit ans au bagne de Cayenne. Il finira sa vie comme marchand ambulant, avant de se donner la mort, avec panache.© BELGAIMAGE

Rendez-vous compte, cher Alexandre Jacob, on parle d’un casse de 28 milliards d’euros par an, rien qu’en Belgique, comme le clame Michel Claise, le juge d’instruction spécialisé dans la lutte contre la criminalité en col blanc. 28 milliards d’euros ! Avec vos cinq cents petits cambriolages chez des particuliers et des curés, même au taux actuel de l’euro, vous ne seriez pas arrivé à une somme pareille, c’est sûr ! Vous me direz que ces gens-là ont volé l’Etat et que ça vous les rend plutôt sympathiques. C’est vrai que vos convictions anarchistes vous ont poussé à déclarer la guerre à la République, qui vous l’a bien rendu. Mais il n’y a aucune conviction politique chez les habitants du Panama et du Paradis. Eux, mon bon Alexandre, ils ne redistribuent rien. Mais alors, rien du tout ! S’il vous prenait l’envie de revenir, je ne doute pas qu’ils seraient donc les premiers sur votre liste.

Mais d’ailleurs, je me demandais : êtes-vous tout à fait mort ? De quelqu’un qui a survécu à vingt ans de bagne à Cayenne, on peut s’attendre à tout. Peut-être dirigez-vous un nouveau gang depuis votre retraite dans l’Indre ? Vous afficheriez une sacrée santé, à pas loin de 140 ans ! Moi, je dis qu’il y a des indices qui ne trompent pas. Ces trente coffre-forts repêchés dans les étangs d’Ixelles, là, ce n’était pas vous ? Sûr ? Ah bon.

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