Chèques-repas : drôle de stratégie au fisc

Plusieurs administrations wallonnes ont donné à leur personnel des chèques-repas en guise de primes de fin d’année. Aujourd’hui, le fisc réclame son dû directement aux agents communaux. Ce n’était pas prévu. A Charleroi, le bourgmestre fait de la résistance.

Thierry Denoël

Mais quelle mouche a donc piqué le fisc ? Dans l’affaire des chèques-repas accordés par 52 communes et intercommunales wallonnes à leur personnel en lieu et place de primes de fin d’année, l’administration fiscale a décidé de frapper les salariés. Environ 16 000 agents auront bientôt reçu un avis rectificatif des contributions les invitant à payer quelques centaines ou milliers d’euros : soit l’impôt éludé grâce aux chèques-repas (sur lesquels l’employeur ne paie ni cotisation sociale ni précompte professionnel). Avant d’essaimer à Namur, Mons ou Verviers, l’astuce fiscale avait été mise au point à la ville de Charleroi, en 1989, lorsque Jean-Claude Van Cauwenberghe (PS) était bourgmestre (Le Vif/L’Express du 26 février).

Selon nos informations, l’Inspection spéciale des impôts (ISI) et les contributions directes s’étaient mises d’accord pour ne cibler que les administrations communales et intercommunales, soupçonnées de fraude, et non les salariés, finalement victimes du système. Mais Carlos Six, qui dirige l’ensemble des administrations fiscales, en a décidé autrement. Etiqueté CD&V (dans sa mouvance radicale), ce néerlandophone a enjoint aux directeurs régionaux des contributions directes de réclamer l’impôt directement aux agents et anciens agents wallons qui ont bénéficié de cette forme de rémunération entre 2005 et 2009.

Ingérable

Une curieuse décision… La situation risque de devenir rapidement ingérable pour les contrôleurs fiscaux. La tâche est gigantesque. Ils seront vraisemblablement confrontés à de multiples recours. En outre, certains des agents ciblés par le fisc ne travaillent plus à l’administration : soit ils ont été pensionnés, soit ils ont changé de carrière. Certains sont décédés.

Première visée, Charleroi a annoncé la couleur. En accord avec les syndicats, l’actuel bourgmestre Jean-Jacques Viseur (CDH) a d’emblée conseillé à ses agents – dont 4 000 seraient concernés par l’affaire – de ne rien payer au fisc et d’introduire d’office un recours. Ceux-ci peuvent prendre contact avec la cellule fiscale mise sur pied par l’administration communale. Les frais de justice seront pris en charge par la Ville pour autant que celle-ci soit mandatée. Ce qui signifie que le cabinet d’avocat de Marc Uyttendaele, qui défend déjà la Ville face à l’ISI, s’occupera aussi des multiples recours.

Question : vu l’ampleur prévisible de ces réclamations, ne serait-il pas judicieux de prévoir une adjudication publique pour choisir un cabinet d’avocat ? Autre question : si les salariés sont défendus par le même avocat que celui de leur employeur, pourront-ils encore se retourner contre ce dernier s’ils n’obtiennent pas gain de cause ? Le bourgmestre Viseur a certes promis que la Ville réglerait tous les montants réclamés par le fisc. Mais qu’est-ce qui le garantit ?  » Pour l’heure, c’est une parole politique, reconnaît Alain Laforêt de la CGSP. Et nous savons très bien que Charleroi est exsangue. Raison pour laquelle nous voulons fédérer tous les dossiers au niveau wallon pour obliger les autorités régionales à trouver une solution. « 

De son côté, Jean-Jacques Viseur est persuadé de son bon droit. Pour lui, payer les primes de fin d’année avec des chèques-repas n’a rien d’illégal. Il a obtenu gain de cause devant l’auditeur du travail qui a classé le dossier. Reste l’enquête administrative. Celle-ci est toujours en cours. L’ISI et l’ONSS sont convaincus qu’il y a bien eu intention frauduleuse dans le chef des autorités communales au début des années 1990. Le dossier est loin d’être clos.

THIERRY DENOëL

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire