Chemin de croix

C’est un tout petit village niché au c£ur des Ardennes. Un village sans histoires, l’endroit idéal pour des réunions confidentielles. Ainsi en avait décidé Wilfried Martens. Poupehan allait accueillir pendant plusieurs semaines, dans la plus grande discrétion et au nez et à la barbe de l’ensemble du milieu politique de l’époque, le Premier ministre entouré d’un trio issu de la mouvance démocrate-chrétienne flamande : le cabinettard Fons Verplaetse, le patron de la CSC Jef Houthuys, le banquier Hubert Detremmerie, des fils de paysan, de fabricant de fourrage, de tailleur, tous mobilisés pour la survie économique de notre petit royaume. Des hommes de confiance, déterminés, soudés dans l’adversité. La légende veut qu’au début de chaque réunion Houthuys esquissait un signe de croix furtif. Histoire d’appeler le ciel à la rescousse ? De fait, l’heure était grave :  » l’homme malade « , le statut désormais attribué par l’Europe à la Belgique, allait mal, très mal. Et le quatuor de lui administrer un traitement de choc : pouvoirs spéciaux, dévaluation du franc, blocage des prix. Plus que de la rigueur, de véritables sacrifices. La coalition sociale-chrétienne-libérale des années 1980 frappait fort. Soutenue par un Jef Houthuys qui n’hésiterait pas à briser le sacro-saint front syndical avec la FGTB.

Aux grands maux les grands remèdes. Dix ans plus tard, c’était en 1992, un autre CVP, Jean-Luc Dehaene, plongerait avec la même ardeur les mains dans le cambouis, avec la complicité du socialiste Philippe Moureaux. Plan global de sauvetage de l’emploi et de la compétitivité, blocage des salaires, instauration de l’index-santé, privatisation des entreprises publiques, liaison du franc au Deutsche Mark : la Belgique, malgré les déficits, devait respecter les critères de Maastricht. Fons Verplaetse avait à nouveau été réquisitionné. Opération réussie certes, mais dans la douleur. Il n’empêche, la coalition sociale-chrétienne-socialiste a tenu bon.

Deux hommes forts, deux CVP, devenus aujourd’hui CD&V, à la man£uvre. Le même sérail dont est issu, ironie du sort, Herman Van Rompuy confronté à une situation tout aussi minée et explosive. Mais les temps ont changé, bien changé. Le fédéralisme est passé par là. Si, autrefois, les hommes forts du pays pouvaient être rassemblés en un seul gouvernement, les voilà éparpillés dans une myriade de niveaux de pouvoir. Sans parler de la pléthore de partis aux sensibilités très différentes, si difficiles à convaincre. Autour d’un budget exsangue et de matières radicalement rabotées par l’évolution institutionnelle. Or le temps presse.  » Il faut aller vite mais sans précipitation « , déclare, cette semaine dans nos colonnes, Van Rompuy. Qui rêve, lui aussi, de discussions feutrées, dans l’ombre peut-être de lieux secrets.  » Etaler les débats sur la place publique serait mortel « , nous a-t-il confirmé. Mais a-t-il les moyens de ses ambitions ? Si quelques CD&V et Open VLD appellent mezza voce à une mobilisation générale, toutes entités fédérales confondues, pour sortir le pays de la dèche, le leader de la N-VA, Bart De Wever, l’allié privilégié du parti du Premier ministre dans le nord du pays, refuse obstinément que la Flandre mette la main à la poche pour le fédéral. La croisade de Van Rompuy s’annonce fiévreuse.  » La Bible ne m’est d’aucune aide pour résoudre BHV ou les difficultés budgétaires « , nous avouait-il la semaine dernière (lire notre édition du 4 septembre). Et un petit signe de croix discret ?

La croisade de Van Rompuy s’annonce fiévreuse

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