Marie Darrieussecq.

Chapitre 1 : sélection française

L’Avancée de la nuit

Pour payer ses études, Paul travaille comme gardien de nuit dans un hôtel. Aux heures sombres, derrière ses écrans, il est fasciné par l’occupante à l’année de la chambre 313, une certaine Amélia Dehr, silhouette fragile destinée à devenir bientôt son amante éperdue. Un jour, la jeune femme disparaît, partie sur les traces de sa mère, à Sarajevo. Langue inouïe, mystères irrésolus : Jakuta Alikavazovic signe un ovni de roman nocturne et labyrinthique. Son intrigue s’étire comme une longue traversée pleine de fantômes, de séquences et d’apparitions, brouillant le rapport normal à la temporalité. Un rêve étrange et pénétrant… Y. P.

Par Jakuta Alikavazovic, éd. de l’Olivier, 288 p.

Ma reine

Un môme considéré comme un peu attardé vit avec ses parents près de la station-service familiale, dans un patelin rural. Il se fait appeler Shell, parce que c’est ce qui est écrit sur son blouson fétiche, et aime aussi Zorro, et les lentilles. C’est en fuguant pour  » faire la guerre « , et prouver ainsi son statut d’adulte, qu’il rencontre la gamine qui deviendra sa reine, entre jeux d’enfants parfois vachards et éducation sentimentale. Un premier roman de balbutiements amoureux farfelu, élégant et, surtout, très efficace. F. P.

Par Jean-Baptiste Andrea, éd. de L’Iconoclaste, 222 p.

La Fonte des glaces

Charcutier à la retraite, Louis coule des jours placides du côté de Toulon. L’achat d’un manchot empereur sur une brocante vient donner un axe à ses journées, un but à son existence, le transportant dans une autre dimension et accessoirement au pôle Sud.  » C’est un coin très très frisquet.  » Entre coup de patte pachydermique, grenier-banquise et autres glaçons préhistoriques, Louis devient une icône de la cause écologique. Joël Baqué confirme un talent de jazzman truculent – on pense à Oster ou Echenoz ; rien que ça. Et alors, ça groove ? Grave ! F. DE.

Par Joël Baqué, éd. P.O.L, 286 p.

Gabriële

Toutes deux écrivaines, Anne et Claire Berest s’étaient promis de revenir un jour ensemble sur la figure de Gabriële Buffet, leur arrière-grand-mère morte en 1985. L’épicentre d’un tabou, ou au moins d’un grand silence familial. C’est que leur aïeule n’était pas n’importe qui, musicienne et femme libre avant l’heure, obsession amoureuse de Duchamp et d’Apollinaire qui finira par épouser Francis Picabia, tout en refusant toujours farouchement de poser pour lui. Ecrite à quatre mains au féminin pluriel, une traversée du xxe siècle artistique et esthétique sur les traces d’une  » femme au cerveau érotique « . Y. P.

Par Anne et Claire Berest, éd. Stock, 450 p.

Sucre noir

Après le succès du Voyage d’Octavio, Miguel Bonnefoy est attendu par ses adorateurs/trices. Servies sur un plateau, les amours passionnelles et tourmentées de Serena Otero. Dans un décor de carte postale – une plantation de cannes à sucres aux Caraïbes -, les coeurs battent la chamade à la recherche du trésor perdu du capitaine Henry Morgan. La  » voix pleine de dorures « , Bonnefoy fait miroiter opales et rubis, baisers profonds aux couleurs d’or et de miel, odeurs de camphre et d’amandiers. On a creusé mais on est rentré bredouille, échaudé par une sensualité de pacotille. F. DE.

Par Miguel Bonnefoy, éd. Rivages, 208 p.

Le Dossier M

Peut-on encore écrire un roman d’amour, rien que d’amour, en 2017 ? Oui, répond Grégoire Bouillier avec le mastoc (880 pages, tout de même) Dossier M.  » M comme une histoire d’amour. Mais quand on a dit ça, on n’a rien dit. Ou alors, il faut tout dire.  » Revenant sur la passion aliénante et insoluble qui a bouleversé son existence dix ans plus tôt, l’auteur de Rapport sur moi jette un nouveau pavé dans la mare de l’autofiction à la française avec un manuel érudit, cruel et drôle sur l’éternel (fiasco) amoureux. Incroyable mais vrai : à la 880e page, il n’en avait pas encore fini. La suite, Le Dossier M, Livre 2, est à paraître en janvier 2018. Y. P.

Par Grégoire Bouillier, éd. Flammarion, 880 p.

Le Jour d’avant

Multiprimé à la fois pour son activité de journaliste (prix Albert Londres)et de romancier (prix Médicis, Goncourt des Lycéens, pour ne citer qu’eux), Sorj Chalandon a cette fois décidé de ne pas quitter le sol français et de dédier sa plume à une histoire romancée de la dernière grande catastrophe minière de l’Hexagone : celle des mines de Lens à Liévin, en décembre 1974 – 42 mineurs balayés par un coup de grisou. Eminemment sensible, très à charge contre les autorités cyniques ou insouciantes, il signe un puissant roman. F. P.

Par Sorj Chalandon, éd. Grasset, 336 p.

Défense de Prosper Brouillon

Essai déguisé ? Faux roman ? Pamphlet satirique ? Défense de Prosper Brouillon est un peu tout cela à la fois. Sous couvert de rendre justice à un auteur populaire injustement snobé par le microcosme, le narrateur se lance dans un réquisitoire tranchant contre les ratés, les aigris, les méprisants qui peuplent le monde de l’édition et jalousent ce romancier de génie. Et de se lancer ensuite dans une exploration fiévreuse de son oeuvre, citations de plus en plus grotesques (et toutes tirées de romans publiés…) à l’appui. On l’a compris, Eric Chevillard, styliste hors pair, pratique ici l’antiphrase pour confondre avec raffinement ces écrivains à la prose boursouflée dont ce Prosper est en quelque sorte le… Brouillon commun. Piquant et savoureux. L. R.

Par Eric Chevillard, éd. Noir sur Blanc, 104 p.

Zabor

Orphelin de mère, répudié par son père, Zabor grandit à l’écart de son village aux portes du désert. Elevé par une tante célibataire et un grand-père mutique, l’enfant se découvre un don : par son écriture, il repousse la mort et redonne le souffle aux mourants. Après Meursault, contre-enquête, l’écrivain algérien Kamel Daoud célèbre l’insolente nécessité de la fiction et confronte les livres sacrés à la liberté de créer. Parce que l’essentiel est ailleurs que dans la prière ou la désobéissance, une parabole puissante pour tous ceux qui croient aux livres. F. DE.

Par Kamel Daoud, éd. Actes Sud, 336 p.

Notre vie dans les forêts

Epatant parcours que celui de Marie Darrieussecq qui, depuis Truismes en 1996, n’en finit pas de manipuler les sujets et les approches. Son nouveau roman se situe dans le futur. Une psychothérapeute y raconte son entrée en résistance contre une société cyborg, dans laquelle des  » moitiés  » servent de réservoir génétique aux plus nantis, et des  » cliqueurs  » aident les robots à remplacer les hommes. Un roman rapide qui joue, entre révélations abruptes et amusantes distractions, avec les codes de la dystopie. Loufoque et glaçant à la fois, un moment science-fictionnel duquel on ne ressort pas forcément rassuré sur l’avenir. Y. P.

Par Marie Darrieussecq, éd. P.O.L, 192 p.

Sangliers

Dans ce roman d’une étourdissante virtuosité stylistique, l’auteur de Madame Diogène (2014) livre la chronique passionnée d’un patelin perdu entre le Rhône et les Alpes, où les espoirs déçus de professeurs à la dérive viennent se heurter au désoeuvrement d’une jeunesse déclassée, où la méfiance règne entre chasseurs bien bourrins, ecclésiastiques esseulés, nouveaux arrivants issus du monde entier, artistes et  » anciens  » dont plus personne ne semble disposé vraiment à écouter ce que les vieilles bouches racontent. F. P.

Par Aurélien Delsaux, éd. Albin Michel, 554 p.

Un certain Monsieur Piekielny

Le jeune François-Henri Désérable raconte être tombé nez à nez avec le sujet de son deuxième livre en visitant, à Vilnius, la maison d’enfance de Romain Gary. Là où, au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, vivait aussi  » un certain Monsieur Piekielny « , dont Gary faisait une inoubliable figure tragique de la déportation dans La Promesse de l’aube. On a déjà tout écrit sur Gary résistant, diplomate et écrivain, passé maître en mystifications biographiques. François-Henri Désérable parvient toutefois à créer sa propre version du mythe, engageant avec son maître un jeu de miroirs pertinent et émouvant. Y. P.

Par François-Henri Désérable, éd. Gallimard, 272 p.

Ils vont tuer Robert Kennedy

Persuadé que la mort de ses parents est liée à l’assassinat de Robert Kennedy, un professeur d’histoire revisite en parallèle l’histoire des Etats-Unis sixties et le parcours de son père ayant précipitamment quitté la France à la fin des années 1940. Psychanalyse, guerre froide, chasse aux sorcières : Dugain jongle entre enquête journalistique et construction littéraire pour croquer l’échec de la contre-culture en Occident. Un solide roman d’espionnage paranoïaque, entre The Manchurian Candidate (Frankenheimer, 1962/Demme, 2004) et le Ghost Writer de Polanski. F. DE.

Par Marc Dugain, éd. Gallimard, 400 p.

Surface de réparation

Belge originaire de Namur, diplômé du master de création littéraire du Havre, Olivier El Khoury signe un premier roman très enthousiasmant, futé à plus d’un titre et servi par une langue tantôt précieuse, tantôt gouailleuse. C’est l’histoire d’un jeune  » métèque  » dont la courbe des heurs et malheurs, des succès comme des galères amoureuses ou professionnelles est un savant mélange entre celle des résultats du club de foot de Bruges et la sinistre chronique des attentats européens. Une étrangeté gavée d’énergie. F. P.

Par Olivier El Khoury, éd. Notabilia, 152 p.

Survivre

Comment faire quand les mots  » blessés  » et  » morts  » reviennent sans cesse ? Le soir du 13 novembre, l’héroïne comprend qu’une forme inouïe de guerre peut éclater en bas de chez elle. La guerre sur le smartphone, dans la tête, au coin de la rue. Pour dire l’angoisse, la mélancolie, la solitude, un court texte de colère, radical et vibrant. Soit un roman tourné vers le présent, décrivant le contexte anxiogène d’une génération – la nôtre – secouée par les attentats.  » Pour l’instant les livres me protègent. J’y ai placé ma foi.  » F. DE.

Par Frederika Amalia Finkelstein, éd. L’Arpenteur/Gallimard, 140 p.

La Vie sauvage

Fini le vernis ! Dans Manuel de survie à l’usage des incapables, son précédent roman, Thomas Gunzig enjolivait la façade de sa critique sociale en la mâtinant d’anticipation et de thriller. Dans La Vie sauvage – récit d’un gamin blanc qui a vécu dans la jungle africaine mais, repéré par Google Maps, est rendu à la civilisation -, l’écrivain belge donne corps à son roman le plus sombre, le plus méchant, le plus désespéré aussi. Loin de la légèreté de ses chroniques radio, plus proche de ses ambitions d’écrivain. O. V. V.

Par Thomas Gunzig, éd. Au Diable Vauvert, 325 p.

La Serpe

Toujours soucieux, depuis Sulak (2013) et le succès de La Petite Femelle (2015), de braquer le projecteur sur des personnages abîmés par la justice, le système carcéral ou l’opprobre public, le détective sans licence Philippe Jaenada s’est cette fois rivé aux basques d’Henri Girard, aka Georges Arnaud. Biographe exhaustif, il met en branle ses talents gauches et passionnés d’enquêteur pour réhabiliter l’auteur du Salaire de la Peur (1950), propulsé pendant la guerre au coeur d’un triple meurtre atroce. F. P.

Par Philippe Jaenada, éd. Julliard, 644 p.

Mercy, Mary, Patty

Le 4 février 1974, Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse William Randolph Hearst, était enlevée par un groupuscule d’extrême gauche, la SLA. En quelques semaines à peine, et au grand dam de ses parents et de l’Amérique bienpensante, elle allait rallier la cause de ses ravisseurs, jusqu’à participer avec eux à un hold-up. Lavage de cerveau ? Prise de conscience ? Cette affaire aux enjeux moraux complexes, Lola Lafon la dissèque à travers le regard kaléidoscopique de trois sensibilités : une intellectuelle américaine, sa jeune assistante française et la narratrice qui refait le film depuis le présent. Un tour de force narratif entremêlant les points de vue d’où surgit un formidable cri d’amour aux femmes qui sortent du rang. L. R.

Par Lola Lafon, éd. Actes Sud, 240 p.

Le Livre que je ne voulais pas écrire

 » Tu dois partager.  » Cette phrase lâchée à Erwan Larher par une collègue écrivain fut le déclic : il était le seul écrivain présent au Bataclan le 13 novembre 2015 parmi les 1 500 spectateurs du concert de Eagles of Death Metal, dont 90 vont mourir. Alors Erwan Larher a fini par écrire ce  » livre qu’il ne voulait pas écrire « . Un  » objet littéraire  » plus qu’un roman ou un récit. Mais à lire, et d’urgence. O. V. V.

Par Erwan Larher, éd. Quidam, 260 p.

Frappe-toi le coeur

Le petit dernier d’Amélie a beau être plus sobre, il véhicule toujours les mêmes obsessions : la maigreur et le rapport à l’alimentation, la beauté lumineuse, la médiocrité des méprisants et des imposteurs. Comment, dès lors, parvient-elle à maintenir le suspense ? Par une empathie profonde avec ses personnages et la finesse de l’analyse psychologique, catalyseur de révolte contre l’arrogance et l’hypocrisie. Roman classique sublimé par un humour glacé dont la chute, souvent frustrante chez Nothomb, répond merveilleusement à l’assertion de Flaubert que cite l’auteure :  » La bêtise, c’est de conclure.  » M.-D. R.

Par Amélie Nothomb, éd. Albin Michel, 169 p.

La Chambre des époux

Après le magnifique L’Amour et les forêts, Eric Reinhardt revient avec un roman bref, histoire d’un écrivain terrassé par l’annonce du cancer du sein de son épouse, aux prises avec les affres (parfois hilarantes) de l’inspiration et bientôt d’une vraie passion pour une autre femme en phase terminale d’un cancer du sang. Quelques très belles pages sur les atteintes faites au corps par la maladie et sur les fluctuations du désir conjugal laissent entrevoir le roman que Reinhardt aurait pu écrire si son livre ne péchait par son dispositif, ses répétitions et son romantisme parfois outrancier. Pas le meilleur livre de l’auteur de Cendrillon. Y. P.

Par Eric Reinhardt, éd. Gallimard, 176 p.

Summer

On avait adoré Crans-Montana, portrait d’une jeunesse dorée, morbide et clinquante passant ses vacances dans la station de ski au tournant des sixties. Ancienne journaliste aux rubriques people, voici Monica Sabolo de retour en romancière, et de quelle manière ! Lors d’un pique-nique au bord du lac Léman, Summer, 19 ans, disparaît. Vingt-cinq ans plus tard, son frère cadet la rappelle à lui, submergé par le souvenir. Un personnage semblant tout droit sorti du Virgin Suicides de Sofia Coppola, une écriture très sensuelle et pleine de mystères troublants. Y. P.

Par Monica Sabolo, éd. JC Lattès, 320 p.

Souvenirs de la marée basse

Nice, un jour d’orage. Dans l’horizon brouillé, Chantal Thomas (1945) voit resurgir une image du passé : celle de sa mère, nageant le crawl dans la mer furieuse. L’apparition en précipitera d’autres, et c’est bientôt le livre d’une enfance qui s’ouvre par brèves incursions sensorielles soigneusement prélevées dans un flot de souvenirs salés et lointains. Mais aussi le portrait d’une mère  » en nageuse « , avec qui l’auteure, prix Femina pour Les Adieux à la reine en 2002, a entretenu une histoire changeante et incertaine, comme la mer. Une merveille. Y. P.

Par Chantal Thomas, éd. du Seuil, 240 p.

Made in China

L’auteur belge connaît en particulier un joli succès en Asie – point de départ, pour l’hyperactif écrivain, par ailleurs cinéaste et plasticien, à de nombreuses explorations, en Chine notamment. Made in China en est une sorte de récit de voyage, de Pékin à Shanghai, de Guangzhou à Nankin. Une dérivation libre, baignée d’ironie douce, d’élégance mélancolique et d’humour délicieux. Et le portrait de l’amitié  » inaliénable  » qui lie réellement l’auteur de La Salle de bains à son éditeur chinois.  » Mais, même si c’est le réel que je romance, il est indéniable que je romance.  » Délectable. Y. P.

Par Jean-Philippe Toussaint, éd. de Minuit, 192 p.

L’Art de perdre

Alice Zeniter s’était essayée à la chronique d’une famille hongroise dans Sombre Dimanche (2013). C’est désormais à trois générations d’une famille kabyle qu’elle consacre son nouvel ouvrage. Des victimes de l’histoire, rattachées presque par hasard à un camp contre l’autre pendant la guerre d’Algérie, puis embarquées pour un aller simple vers la France, où elles seront dès lors soumises aux regards suspicieux d’interlocuteurs mal renseignés. F. P.

Par Alice Zeniter, éd. Flammarion, 512 p.

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