Changements de casting

Qu’ils gagnent ou perdent, partent ou reviennent, ils tiennent, après Sarkozy et Fillon, la vedette de cette séquence politique. Et préparent déjà les suivantes.

Borloo l’affranchi

Nicolas Sarkozy a échoué. Quand il a décidé de maintenir François Fillon à Matignon,il s’est fixé une priorité : convaincre Jean-Louis Borloo de rester au gouvernement. Le chef del’Etat comptait sur leurs bonnes relations person-nelles. Personne ne prenait vraiment au sérieux les menaces du centriste (Matignon ou rien).  » Il acceptera un ministère régalien « , pronostiquait un secrétaire d’Etat qui le connaît depuis si longtempsà

Le 13 novembre, en milieu d’après-midi, le ministre de l’Ecologie a choisi de partir. Cet automne, l’ancien maire de Valenciennes aura surpris. En menant si ouvertement campagne pour deve-nir Premier ministre, c’est la première fois qu’il se met autant à découvert ; ce n’est pas dans sa nature. En disant franchement non à Nicolas Sarkozy, il pose un acte clair, lui qui aime tant brouiller les pistes. Depuis longtemps, Jean-Louis Borloo avait anticipé l’enjeu de cette séquence-là.  » Il n’y aura qu’un vrai remaniement, ce sera pour la campagne présidentielle, confiait-il au printemps 2009. Le chef de l’Etat composera une équipe qui lui permettra d’aller chasser sur un autre front.  » Et lui alors ?  » Si le président a un énorme défi, il est pour moi « , répondait-il. Et de conclure, à la troisième personne :  » Il a un côté inoxydable, le pépère.  » Après avoir cru toucher au but, il est tombé, victime des résistances parlementaires et des croche-pieds de François Fillon.

Comment se relever ? Pour conquérir Matignon, l’ancien avocat était allé loin dans les garanties données à Nicolas Sarkozy.  » Il ne faut pas un 21 avril à l’envers, où le candidat de la droite ne serait pas qualifié pour le second tour à cause d’une multiplicité de candidatures dans son camp « , affirmait-il en septembre. Un argument difficilement réversible pour 2012. Le président du Parti radical peut-il vraiment se passionner désormais pour la reconstruction du centre ?  » Quand nous travaillions ensemble, tous les six mois, il me disait : « On va fonder un grand parti et tu seras ma n° 2″, racontait récemment Nathalie Kosciusko-Morizet. Il est velléitaire sur les questions partisanes. Cela l’emmerde. Dès que son cabinet lui organisait un rendez-vous avec des députés, il l’annulait.  » L’imprévisible M. Borloo a désormais rendez-vous avec lui-même : l’annulera-t-il aussi ?

Juppé le résilient

Pendant des années, il n’a pu honorer les invitations de l’Ecole nationale de la magistrature, située à quelques mètres à peine de sa mairie, à Bordeaux. Alain Juppé reste un homme traumatisé. Et lorsque, en septembre, Jacques Chirac lui a laissé un message pour le remercier de sa réaction à l’accord entre l’ancien président et la mairie de Paris dans l’affaire des emplois fictifs ( » Je souhaite qu’il soit bien traité « ), il ne l’a pas rappelé.

Alain Juppé, qui fut non seulement condamné, mais également privé de ses droits civiques, reste un homme blessé. Alors, quand l’une de ses relations lui a glissé l’idée de demander le portefeuille de la Défense, il a songé à Michel Debré, un ex-Premier ministre ayant pris la responsabilité des armées.  » Je ne cherche pas la douleur, je cherche à me protéger, confiait-il récemment, ironique sur lui-même, et aussi lucide. Les fonctionnaires de la Défense font rarement grèveà  »  » Oui, mais il y a maintenant les prises d’otages « , lui rétorqua, provocateur, Nicolas Sarkozy. Entre ces deux-là, que tout oppose et que rien n’apaise, l’histoire a été, est et sera tumultueuse. En août, ils se sont revus pour discuter. Sauf que le président a commencé, dixit Juppé, par  » quinze minutes de soliloque « .  » Tu peux m’écouter cinq minutes ?  » s’est agacé son hôte. Les deux hommes se sont vite mis d’accord. Car il est une chose que le chef de l’Etat comprend généralement assez bien : c’est la tentation du pouvoir. Chez Alain Juppé, elle était devenue d’autant plus forte qu’elle s’assimilait à une revanche autant qu’à une dernière fois.

Copé le fonceur

Jean-François Copé est un homme pressé. Quand il a entendu, le 15 novembre, Xavier Bertrand affirmer sur RTL que la nomination du nouveau secrétaire général de l’UMP interviendrait  » dans quelques jours, pas avant « , il n’a pas aimé. Une heure plus tard, il se trouvait dans le bureau du président de la République pour réclamer un calendrier rapide. Il veut être le gagnant de la séquence. Le 3 novembre, après que François Fillon eut publiquement exprimé son intention de rester à Matignon, il jubilait. Pas de changement de Premier ministre, il constituerait donc la principale nouveauté du casting.

Jean-François Copé est un homme méfiant. Il pense connaître le coupable, celui qui a failli le priver à la dernière minute de ce parti qu’il réclame depuis des mois : Edouard Balladur, qui aurait, selon lui, alerté Nicolas Sarkozy sur les risques de donner les clés de l’UMP à un chiraquien.

Jean-François Copé est un homme confiant. D’abord en lui-même.  » Dans président de groupe, il y a un mot que j’aime bien, c’est président « , plaisante-t-il dans les meetings. Dans secrétaire général, il y a un mot qu’il n’aimera pas : secrétaire. Le poste serait totalement sous tutelle élyséenne ? Là encore, il a trouvé le coupable. Qui s’appelle, cette fois, Xavier Bertrand, responsable à ses yeux d’avoir forgé l’image d’un chef de l’Etat qui décide de tout au sein du parti, et incapable d’être chef, parce que  » dur avec les faibles et flatteur avec les forts « . Jean-François Copé est-il un homme crédible ? La réponse se joue désormais sur la distance qu’il installera avec le chef de l’Etat, après une moitié de quinquennat passée à marquer sa différence.

Kosciusko-Morizet l’ogresse

Elle s’aime « , dit d’elle le chef de l’Etat. Longtemps, Nathalie Kosciusko-Morizet s’est sentie sous-exploitée. Son heure est aujourd’hui venue. En janvier 2009, Jean-Louis Borloo, qui ne supportait plus de travailler avec cette secrétaire d’Etat si ambitieuse sous sa tutelle, obtenait son transfert à la Prospective et à l’Economie numérique. La voilà presque à sa place, à l’Ecologie – sans le titre de ministre d’Etat. Durant tout cet automne, il n’y en eut que pour les quadras de la majorité et leurs ambitions monstrueuses. La voici, elle qui n’a que 37 ans, n° 4 du gouvernement, et devant eux dans l’ordre protocolaire.

A ce propos, quand on lui parle de la rivalité entre Xavier Bertrand et Jean-François Copé, la maire de Longjumeau se hérisse :  » Rien à foutre !  » Le premier lui reprochera d’ailleurs de ne pas suffisamment prendre sa défense à la rentrée, face à l’offensive du patron

des députés UMP, qui veut lui succéder à la tête du parti majoritaire. Lors d’un déjeuner, le second lui expliquera, s’inspirant de la fable de La Fontaine, que les ministres de Nicolas Sarkozy (dont elle) sont des chiens, le collier autour du cou, tandis que lui est un loup. Dès sa sortie de table, elle le taclera :  » Il a une trop haute idée de lui-même pour voir les autres.  » NKM –  » une emmerdeuse « , jugeait Chirac – est sûre de son destin. C’est d’abord elle-même qu’elle voit à l’Elysée.

L.V; E.M.

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