Chacun sa route

La scission de la Ligue vélocipédique belge en deux ailes linguistiques sera effective dès le 1er décembre

Apparemment, on n’y verra pas grand-chose. Au 49 de l’avenue du Globe, à Forest (Bruxelles), siège de la LVB (Ligue vélocipédique belge), le grand bi, avec son énorme roue avant, apparaîtra toujours en vitrine. Ailleurs, dans le vaste hall d’entrée, un antique et curieux tandem, à deux selles placées côte à côte et à pédalier unique, pourrait symboliser la longue randonnée menée en commun. Les armoiries multicolores, frappées de l’année 1882, rappelleront en effet, à tout jamais, que la vieille institutions avait presque 120 ans avant d’être vidée d’une part importante de sa substance: comme beaucoup d’autres fédérations déjà, la scission de la LVB en deux ailes linguistiques sera effective le 1er décembre prochain.

Désormais, la FCWB (Fédération cycliste Wallonie-Bruxelles) occupera le rez-de-chaussée du bâtiment, l’effectif de la coupole nationale siégera au premier étage et le WBV (Wielerbond Vlaanderen) prendra place au deuxième. La cohabitation des trois instances dans le même immeuble, pour une durée de trois ans au moins, afin de continuer à exploiter du matériel acquis en commun et d’accueillir en un même lieu central des interlocuteurs en majorité identiques, témoigne du bon esprit dans lequel s’opère ce changement, pourtant fondamental. En effet, la loi du 4 juin 1971 instituant l’autonomie culturelle a divisé le ministère chargé du sport en deux ailes linguistiques. Depuis trente ans, les plus grandes fédérations, surtout celles représentant les sports collectifs, se sont toujours opposées à cette ingérence politique. Ainsi, l’Union belge de football, qui réunit à elle seule autant d’adhérents que tous les autres groupements sportifs réunis, est toujours unitaire.

Mais les ministres du Sport supportent mal de voir échapper à leur pouvoir les fédérations les plus importantes du pays. Ils ont dès lors eu recours à des moyens de pression toujours plus contraignants. Dès le départ, la communautarisation des subsides attribués aux activités sportives a obligé les fédérations les moins bien loties sur le plan financier à se scinder pour bénéficier de cet argent. L’année 2001 représente une étape importante dans ce mouvement. Outre la LVB, les fédérations de golf et d’équitation se sont également scindées et le partage de la fédération de basket est en cours.

Il n’y a pas de mystère: c’est la volonté des dirigeants flamands qu’a lancé puis accéléré le processus de séparation. Celle-ci a été votée, en mars dernier, sur la base de la majorité statutaire qu’ils possèdent au sein de la LVB. Les Flamands étaient, en effet, redevables d’une dette envers leur Communauté. Celle-ci avait entre autres octroyé, en octobre 1999, un montant de 150 millions de francs (3,70 millions d’euros) aux animateurs du circuit de Zolder pour qu’ils obtiennent l’organisation des prochains championnats du monde cyclistes 2002, année mythique pour la Flandre, à condition que la scission devienne réalité.

Cette dernière se déroule néanmoins de façon correcte. D’abord, elle s’effectue sur la base structurelle existante au sein de la LVB. Ainsi, le rapport de représentation au sein de la coupole centrale (LVB) a été maintenu à 25 néerlandophones pour 15 francophones et le comité directeur est désormais constitué de 5 Flamands pour 4 Wallons, alors que les premiers pourraient revendiquer davantage. En effet, à la fois sur le plan des adhérents et sur celui des organisations de courses, la Flandre représente environ 80 % de l’activité cycliste dans le pays.

Le plus délicat de la restructuration a sans doute résidé dans la création de trois comptabilités indépendantes, sans dépouiller exagérément la caisse commune – le budget annuel de la LVB s’élevait à environ 170 millions de francs (4,21 millions d’euros) -, mais cela s’est réalisé sans réelle frustration pour l’une des parties. Dans l’aventure, la FCWB a obtenu ce qu’elle souhaitait: 8 millions de francs (200 000 euros), plus 12 autres millions (300 000 euros), dont la moitié doit être remboursée, sans intérêt, en cinq ans, à partir de 2003.

En fait, chacun avait finalement de bonnes raisons de procéder à cette opération, par ailleurs inéluctable à long terme. D’abord, il fallait bien se mettre, un jour, en conformité avec la structure fédérale du pays. A l’image des autres fédérations sportives, de plus en plus souvent, la LVB se trouvait confrontée à des interlocuteurs raisonnant et agissant au niveau communautaire et non plus national. « La fédération cycliste se trouvait d’autant plus concernée que, par définition, ses activités se déroulent sur la voie publique, rappelle Tom Van Damme, directeur de la communication à la LVB. Ce qui la rendait forcément plus vulnérable devant les pouvoirs publics. »

Thierry Maréchal et Jean Brebels, deux enseignants de formation, respectivement les premiers présidents de la FCWB et du WBV, tiennent le même langage: « Sans scission, pas d’argent. Or celui-ci nous permettra de mieux réaliser des objectifs essentiels, comme l’écolage des jeunes et la promotion de notre sport. » A ce propos, au terme d’une bataille d’une quinzaine d’années, les dirigeants cyclistes ont enfin obtenu une victoire précieuse: l’amendement de décrets francophone et flamand fixant l’âge requis pour participer à la compétition cycliste à 15 ans, alors qu’il est nettement moins élevé pour d’autres sports. Les mandataires politiques ont, cette fois, reconnu le caractère discriminatoire de cette législation, ainsi que les bienfaits de la pratique du vélo, pour revoir leur position: désormais, les épreuves sous surveillance et après écolage sont autorisées à partir de 8 ans et la compétition à partir de 12 ans.

La répercussion sociale a été respectée. La scission ne provoquera pas de licenciements au sein de la LVB, seulement des glissements et, à terme, des mises à la retraite sans remplacement. Le personnel des nouvelles ailes a donc été prioritairement recruté au sein de l’organisme faîtier existant. Mais aussi en dehors. Ainsi, sous la direction de Véronique Ganty (ex-LVB), la FCWB recherche encore deux personnes pour compléter son staff administratif, limité à trois employés à temps plein. Le WBV, qui regroupe pratiquement 80 % de l’effectif belge, fonctionnera, lui, avec 7 personnes. Son budget prévisionnel pour 2002 s’élèvera à 81 millions de francs (2 millions d’euros). Hors LVB, il a engagé un responsable administratif et un coordinateur sportif. Ce dernier est Fred Vandervennet, l’ancien champion de marathon.

L’aile flamande a également recruté quelques anciens coachs de la LVB. Parmi eux Carlo Bomans (route juniors), Michel Vaarten (piste) et Eric De Vlaeminck (cyclo-cross). La double casquette n’est toutefois pas interdite. Désormais rémunérés par le WBV, ces conseillers techniques pourront toujours exercer, ponctuellement, leur fonction au profit de la LVB, qui, dans ce cas, louera leurs services et dédommagera financièrement le WBV. Car, sous la direction de José De Cauwer, coach principal, la LVB continuera bien sûr à assurer son rôle primordial en matière d’organisation et de représentation du cyclisme belge. Ce sera toujours elle qui établira les calendriers, national et international, qui gérera les équipes nationales, toutes catégories d’âge et disciplines confondues, ainsi que tout ce qui concerne le cyclisme professionnel, la véritable vitrine d’un sport. Or, en cyclisme, il se déroule, chaque année, des championnats du monde et d’Europe sur route, sur piste, en VTT et en cyclo-cross, tant pour les hommes que pour les femmes, et ceci pour diverses tranches d’âge. Comparées aux activités laissées à la coupole centrale dans d’autres sports, celles dévolues à la LVB apparaissent donc loin d’être limitées.

En réalité, la mission des ligues régionales consistera prioritairement dans la gestion du cyclisme pour jeunes, amateur et récréatif. « En cette matière, notre philosophie est claire, affirme Maréchal: davantage que la fabrication de champions, nous viserons l’épanouissement du jeune grâce au sport cycliste. » Si Maréchal a accepté la présidence de la FCWB, c’est à la condition expresse de pouvoir oeuvrer à la réforme du cyclisme wallon. Dans ce but, le président, 45 ans, est animé d’une dynamique résolument moderne. Ainsi, il fait largement appel à l’informatique, à la jeunesse, ainsi qu’à la gent féminine. « Le cyclisme en Wallonie a besoin d’être dépoussiéré », affirme le Liégeois. Première mesure en ce sens: le comité exécutif de la FCWB, composé de 7 personnes, comprend désormais deux élus de moins de 30 ans et trois seulement affichent plus de 50 ans. Cela représente un monde de différence avec un milieu dirigeant où, jusqu’à présent, les sexagénaires étaient majoritaires.

Mais c’est au départ d' »Assises du cyclisme wallon », qu’il mettra sur pied en février prochain à Rochefort, que le nouveau président veut construire sa réforme. Ouvertes à tous, ces assises devront permettre la mise en place de groupes de travail, qui seront ensuite actifs dans les divers secteurs définis. « Je me donne trois ans pour réussir », affirme le président wallon. Le cyclisme flamand, en meilleure santé, ne nécessite pas de tels changements fondamentaux. En revanche, Brebels s’attellera à y rétablir l’application de l’indemnité de formation en cas de transfert, supprimée par le parlement flamand, et à obtenir un meilleur statut pour le bénévolat. Actuellement, ces deux situations freinent le bon fonctionnement des clubs formateurs de jeunes.

Menée en douceur et en harmonie, la scission de la LVB ne semble dès lors pas devoir entraîner de dissensions notables, comme on en observe dans d’autres sports scindés, surtout collectifs, mais aussi individuels, tel le judo. En effet, le cyclisme ne se pratique pas sur un tatami, une pelouse ou dans une salle. Le champion cycliste, d’où qu’il vienne, devra toujours être un homme de tous les terrains, à la fois entraîné au coude-à-coude sur les pavés et les courtes escalades de Flandre, ainsi qu’à la répétition des efforts plus soutenus sur les longues côtes de l’Ardenne. Bref, un produit typiquement belge qui se cultive tous horizons.

Emile Carlier

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