Chacun cherche son soi

Sept ans après le prix Rossel, Ariane Le Fort revient avec une valse des sentiments ambivalents. Un damier, où se jouent les inadvertances et les turbulences amoureuses. L’air de ne pas y toucher, elle met le doigt sur des choses essentielles.

Ariane Le Fort nous donne rendez-vous à L’âne fou, un café schaerbeekois situé à deux pas de l’endroit où elle enseigne la technique d’écriture à de futurs communicants et assistantes sociales. Il y règne une ambiance enfumée et conviviale. Lunettes rouges sur le nez, l’auteure s’installe au fond pour parler des émotions qui rythment son nouveau roman. Des vacances à Dakar y servent de décor à la rencontre de trois héros. Irène, une Belge effacée, Gabriella, une femme flamboyante, et Vincent qui ne peut que craquer pour cette dernière. Ils se retrouvent à Bruxelles et tissent une amitié tâtonnante. Au fil du temps, ces personnalités – a priori opposées – révèlent des désirs et des aspects chancelants. Comment assumer ce qu’on ressent et ce qu’on est ? La simplicité apparente de l’histoire laisse entrevoir la complexité de la vie et de l’amour. Un art qu’Ariane Le Fort arbore par mille détours subtils.

Le Vif/L’Express : Ecrire, est-ce combattre le silence, omniprésent dans vos romans ?

Ariane Le Fort : Non, c’est plutôt ouvrir des pistes, essayer de comprendre comment les autres et moi-même fonctionnons, ce que nous ressentons. Ça me travaille même quand je n’écris pas. J’écris peu, or il suffit d’un élément déclencheur pour que je sois partie. Il y a toujours un moment où j’ai besoin de me sauver, parce que ça déborde. Mes romans ne veulent pas rompre le silence, ils posent des questions. L’écriture m’aide à dire ma vérité et à traquer les faux-semblants.

Comment décririez-vous ce ton distant qui vous caractérise ?

Mes romans abordent souvent des sujets graves : les amours déçues, la jalousie, la frustration, la maladie ou la place qu’on n’arrive pas à occuper dans la vie. Au lieu de m’appesantir, je préfère qu’on les vive. Ce ton clinique évite le pathos et se passe de fioritures. Je raconte les choses telles que je les vois. Au plus près d’une certaine vérité, elles résonnent chez les autres.

L’amour est le fil rouge de vos livres, pourquoi ?

A part ça, qu’est-ce qui est important ? Le reste n’est que remplissage ! L’amour et le désir me touchent. Ils nous dépassent, alors qu’on croyait avoir notre vie sous contrôle. Ce sentiment est passionnant, parce qu’il est aussi évanescent que puissant. Il s’agit d’une quête impossible et infinie. Une fois qu’on est dedans, on ne peut pas revenir en arrière. Cette folie justifie parfois une vie ! L’amour triangulaire m’intrigue, parce qu’on ignore qui tire les ficelles, qui pense quoi, où se situe la place de chacun. Tous les héros se déplacent et se cherchent dans ce roman.

Désarmants, vos héros luttent-ils contre leurs sentiments ?

Mieux vaut essayer de les vivre, sinon ils nous rattrapent. J’admire ceux qui assument ce basculement, qui fait qu’on est prêt à mourir pour quelque chose. C’est là qu’on voit la magie de la vie. Je ne demande que cette surprise, au risque de me perdre. Stefan Zweig me fascine car il m’aide à comprendre ce voyage intérieur. Il y a une telle tension dans ses histoires qu’un choix infime suffit pour tout changer. Nous sommes tous pétris de trouille. Aussi est-ce intéressant d’explorer ce qui se trame derrière la façade. Mes écrits rassurent et permettent aux lecteurs de s’ouvrir à leurs propres failles. Quel plaisir de regarder, décortiquer et traduire ce que je ressens chez les autres. Le trio de ce roman se compose de trois solitudes, qui ne parlent ni aux autres ni à eux-mêmes. Leurs liens reposent sur beaucoup de mensonges, mais il y a malgré tout des pépites qui justifient le reste.

Quelles barrières désirent-ils franchir ?

L’amour permet d’en franchir des tas car il nous révèle à nous-mêmes. Tous trois tentent d’aller au plus loin dans leur relation, mais tant qu’ils ne trouvent pas leur place, ils ne peuvent pas se sentir bien. Plus j’avance, plus je me rapproche de celle que je suis. Le bonheur, c’est être en harmonie avec soi et avec les autres.

On ne va pas se quitter comme ça ?, par Ariane Le Fort, Seuil, 237 p.

KERENN ELKAïM

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