Ces  » papys » qui font la Belgique

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Davignon, Moureaux, Dehaene, Danneels, van Ypersele. La Belgique politique, financière, académique, ecclésiastique et culturelle ne manque pas de grands formats restés en activité ou influents après l’âge de la retraite. Quel rôle jouent-ils ? La présence de ces  » papys  » freine-t-elle le renouvellement des idées ? Enquête.

Le psychodrame du 2 décembre dernier au Heysel a fait une  » victime  » de marque : Etienne Davignon. Le rejet, par les actionnaires belges de Fortis, de sa candidature à la présidence du holding est apparu, quelques semaines après la mise à l’écart de l’ancien président, son ami Maurice Lippens, comme la fin du  » capitalisme de papa « . L’ex-patron de la Société générale de Belgique et ancien vice-président de la Commission européenne n’a pas renoncé pour autant à tous ses mandats et fonctions. Il reste président ou membre de sociétés, conseils d’administration, associations, think tanksà  » Cet échec est une contrariété, a lâché le vicomte, pas la fin de ma vie.  »

A 76 ans, l’ancien chef de cabinet de Paul-Henri Spaak et de Pierre Harmel ne s’efface donc pas complètement. Il n’est pas le seul dirigeant belge à jouer les prolongations à un âge où l’écrasante majorité de ses concitoyens ont quitté depuis longtemps le monde du travail. Jean-Luc Dehaene, 68 ans, deux fois Premier ministre dans les années 1990, député européen, administrateur de sociétés, se retrouve propulsé, depuis octobre, au poste de président du groupe Dexia. Philippe Moureaux (PS), 70 ans en avril prochain, déjà ministre en 1980, occupe toujours l’avant-scène politique. De même, de nombreux bourgmestres semblent immuables. A Louvain, Louis Tobback (SP. A), 70 ans, reste un maïeur à la vie bien remplie et aux propos enflammés. Le bouillant François van Hoobrouck d’Aspre, 74 ans, bourgmestre non nommé de Wezembeek-Oppem, s’est profilé comme chef de file du combat francophone en périphérie bruxelloiseà

 » Un tel tableau fait un peu penser à l’ancienne gérontocratie soviétique et à la curie romaine ! s’exclame le Pr Sergio Perelman, spécialiste du papyboom à l’université de Liège. Certaines figures du pays paraissent, il est vrai, dominer longtemps les secteurs politique, économique ou scientifique. Chez nous, on est politicien professionnel à vie, alors que, dans d’autres pays, le renouvellement et la mobilité des élites sont plus rapides.  »

Perelman estime surtout qu’il convient de distinguer les  » privilégiés  » du reste de la population :  » A 65 ans, âge officiel de la pension, 90 % des travailleurs sont déjà hors du circuit du travail En revanche, bon nombre de ceux qui ont exercé une activité intellectuelle restent actifs dans la société jusqu’à un âge avancé.  » Michel Loriaux, démographe à l’UCL, assure que la présence de nombreux  » papys  » dans les cercles dirigeants n’a rien à voir avec le vieillissement de la population.  » C’est plutôt une question de pouvoir : ceux qui y ont été habitués ne lâchent pas facilement les rênes. « 

Faut-il s’en inquiéter ?  » Le pouvoir peut user, admet le Pr Loriaux. Les politiques devraient néanmoins réserver davantage de postes électifs aux retraités, vu le poids démographique croissant des personnes âgées et la nécessité de les représenter.  » La présence de ces papys freine-t-elle le renouvellement des idées ?  » On peut être très créatif à 70 ans passés, assure Perelman. A cet âge, les capacités cognitives diminuent surtout chez des personnes ayant effectué pendant des années des tâches répétitives. Nos sociétés européennes devraient être plus flexibles, au lieu de mettre des chefs de laboratoire et autres scientifiques sur la touche à 60 ou 65 ans, les poussant à partir travailler aux Etats-Unis, pépinière de Prix Nobel de tous âges. « 

Que dire des membres du clergé, dont la moyenne d’âge frôle, en moyenne, les 70 ans ? Archevêque de Malines-Bruxelles depuis vingt-huit ans, Mgr Danneels n’a pu, à 75 ans, prendre sa retraite, comme le veut la coutume : le pape a demandé au cardinal de rester en place deux ans encore. La succession à la tête de l’Eglise n’est pas une affaire simple en ces temps de tensions communautaires et de clivages entre courants conservateur et modéré au sein de la hiérarchie catholique belge.

Pas facile non plus de trouver un successeur au général August Van Daele,  » patron  » de l’armée, qui a atteint la limite d’âge. Ces derniers temps, il était question de lui demander de rester à son poste, les partis de la majorité ne parvenant pas à s’entendre sur le nom du francophone qui doit prendre la relève.

Plus de crédit accordé aux expérimentés

 » Ces dernières années ont été marquées, en politique, par deux tendances contradictoires, estime Dave Sindaret, politologue à l’université d’Anvers. D’une part, de vieux crocodiles politiques ont été récompensés par des postes prestigieux, européens ou autres : les Martens, Dehaeneà Leur accorder un bâton de maréchal était parfois une occasion de se débarrasser d’eux. D’autre part, un certain jeunisme a fait des ravages dans les partis, surtout en Flandre, où l’on a propulsé vers les sommets du pouvoir de nouvelles têtes, telle Freya Van den Bossche, avec des résultats inégaux. Du coup, on éprouve aujourd’hui une certaine nostalgie pour l’époque des grands anciens, oubliant la mauvaise gouvernance des années 1980. Alors que la crise politique et économique bat son plein, on accorde plus de crédit aux responsables expérimentés. « 

Olivier Rogeau

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire