CES 2016, l’invasion chinoise

Instantané formidable de la planète high-tech, le Consumer Electronics Show faisait l’objet d’une incursion chinoise sans précédent à Las Vegas. Huawei, Lenovo, TCL et Hisense dominaient ainsi physiquement les alléesde cette grand- messe technologique. Une jungle où le meilleur côtoyait le pire…

Plus qu’une valeur refuge plébiscitée par les ménages chinois en temps de crise, l’or symbolisait aussi la montée en puissance de l’empire du Milieu au dernier Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas, du 6 au 9 janvier. Pas de vrais lingots au pays des casinos. Mais simplement l’annonce d’une version dorée  » Matte Gold  » du Google Nexus 6P. Cette nouvelle édition du smartphone, dont Google a confié la conception et l’assemblage à Huawei Technologies, relevait a priori de l’anecdote face au drone habitable d’Ehang ou à l’écran ultraflexible de LG Electronics (deux stars de l’événement). Huawei brandissait toutefois ce nouvel habillage pour rappeler son lien – fort – avec l’incontournable moteur de recherche. Une bonne manière d’éblouir l’Oncle Sam et d’affirmer ses intentions haut de gamme, à l’instar de plusieurs acteurs chinois, présents en force cette année.

 » Nos parts de marché sur la téléphonie mobile aux Etats-Unis sont inférieures à 1 %. C’est très peu par rapport à nos 9 % à l’échelle mondiale. A l’avenir, on aimerait devenir une référence aux Etats-Unis. Le Nexus 6P que nous avons réalisé avec Google est un très bon début. Ces derniers nous ont choisis pour redynamiser leur Nexus Phone, en difficulté face à d’autres porte-drapeaux, dont Apple « , précise Shao Yang, vice-président marketing d’Huawei.  » Jusqu’ici, nous avons prioritairement visé les marchés chinois et européen, notamment en matière d’investissements en recherche et développement. Mais il est temps de toucher les Etats-Unis. Pas seulement pour la taille de son marché. Mais aussi pour les innovations technologiques que ce pays draine. Ne pas y être, c’est risquer de rater le coche.  »

Pour sceller sa joyeuse entrée américaine, Huawei dévoilait également deux nouvelles montres féminines intelligentes (smartwatches) cerclées de cristaux Swarovski ainsi que son Mate 8. Ce smartphone, orienté business, n’a certes rien de révolutionnaire. Mais l’appareil, attendu sous nos latitudes le mois prochain, affiche une autonomie record de deux jours, ou 20 heures de surf 4G. La phablette cache également des astuces singulières sous sa coque en métal premium. Parmi elles, un dictaphone intégrant un micro qui capte les conversations jusqu’à trois mètres et peut identifier les voix des intervenants. Last but not least, l’engin embarque le dernier-né des processeurs haut de gamme conçus par Huawei, le HiSilicon Kirin 950. De quoi supplanter les performances d’un Galaxy S6 de Samsung.

Huawei, le juste prix ?

Annoncé à 599 euros (3 Go de mémoire vive et 32 Go de stockage) et 699 euros (4 Go et 64 Go), le Mate 8d’Huawei taquine clairement l’iPhone 6S Plus d’Apple, qui s’affiche à 969 euros en version 64 Go. Une guerre des prix interminable dont Huawei fait lui-même les frais. Encore méconnu chez nous, son concurrent Xiaomi rétorque avec son Redmi Note 3 qui vogue en haut de gamme, tout en affichant un tarif agressif de 200 euros. Le smartphone qui se rapproche d’un iPhone 6 en termes de performances et de finitions (métalliques) devrait être la dernière bonne affaire du constructeur électronique. Comme Huawei, Xiaomi entend ainsi augmenter ses tarifs consommateurs pour ne plus (trop) rogner sur ses marges. Le géant chinois livrera ainsi son prochain MI 5 aux alentours de 560 euros. De quoi rejoindre les tarifs de Samsung et LG Electronics.

En attendant, Xiaomi et ses prix terrifiants ont joui d’un tel succès en Chine qu’Huawei a riposté avec Honor, une  » sous-marque  » qui touchera également le continent américain dès le mois prochain. Son modèle phare ? Le 5X, un smartphone à 200 euros qui chasse sur les terres du Redmi Note 3.  » Honor n’est pas une version low cost d’Huawei, mais se destine surtout au commerce en ligne,souligne Shao Yang,l’augmentation de ses ventes a été exponentielle : 1 million d’unités en 2013, puis 20 millions en 2014, et enfin, près de 40 millions en 2015.  »

Comme Lenovo, Huawei semble aujourd’hui être l’un des seuls acteurs high-tech chinois capables d’innovations, notamment sur son P8, premier smartphone au monde intégrant un appareil photo équipé d’un stabilisateur optique. L’entreprise chinoise aux 76 000 employés a vu ses parts de marché passer de 4,9 à 9 % sur le terrain du smartphonedepuis l’an dernier. Il ne devance pas (encore) Apple et Samsung mais affiche une progression plus spectaculaire que les deux leaders.  » Nous avons 17 ans d’expérience sur les marchés étrangers, poursuit Shao Yang, mais gagner la confiance du public reste un des défis que nous devons relever. Beaucoup de gens pensent que le made in China est synonyme de mauvaise qualité ou de copie.  »

En écho à cette crainte, le stand chinois de Changzhou First International faisait d’ailleurs l’objet d’une spectaculaire saisie policière au premier jour du salon. Objet de la rafle : un concept d’hoverboard à une roue que la société – privée de stand – aurait copié aux Américains de Future Motion. Le syndrome n’est pas neuf au CES puisque, l’année dernière, la société Hyperdon présentait une smartwatch à 40 dollars évoquant furieusement le modèle d’Apple, encore non commercialisé.

 » Il y a dix ans, lorsque Lenovo a racheté IBM, elle était la première compagnie chinoise à devenir un acteur majeur sur le marché high-tech international. Lors du deal, on s’est évidemment posé des questions sur la manière dont cela allait fonctionner « , se souvient Peter Hortensius, vice-président et responsable du développement technologique de Lenovo.  » Les équipes n’ont finalement pas changé et la communauté d’utilisateurs de nos ThinkPad (NDLR : la gamme de PC portable d’IBM) n’a pas montré d’hostilité face à ce rachat. La plus grande différence entre ThinkPad IBM et ThinkPad Lenovo est que ce dernier nous a donné la liberté d’investiguer tous les segments du marché, alors qu’IBM nous cantonnait à une certaine catégorie de consommateurs.  »

Souriez, vous êtes scanné

Lenovo bombait donc le torse au CES. Le numéro un du PC (qui détrônait HP l’année dernière) présentait ainsi le premier smartphone au monde équipé du Project Tango de Google. Grâce à une batterie de capteurs et une caméra, ce terminal (attendu à 500 dollars cet été) scanne en 3D son environnement pour le comprendre. Plutôt que de miser sur un casque de réalité virtuelle comme HTC ou sur de la réalité augmentée comme Microsoft, Lenovo confirme ici son intérêt pour les caméras 3D présentes, notamment, sur le nouveau ThinkVision X24 Pro, un écran de PC capable de scanner un objet pour l’envoyer illico par mail.

Egalement féru de picoprojecteurs, le constructeur chinois a suivi cette voie avec son nouveau ThinkPad X1, un système hybride PC/tablette capable de projeter une image de 1,5 mètre sur un mur. Une voie originale face aux grandes tendances du salon qui oscillaient entre électroménager connecté, drones, voitures autonomes, smartwatches et réalité virtuelle.  » D’aucuns pensent que ces nouvelles technologies vont changer le monde du jour au lendemain. Mais après l’effet de surprise, la réalité frappe durement. La vision des ingénieurs, aussi brillante soit-elle, n’est pas forcément celle du grand public. Il est préférable d’améliorer un produit qui existe « ,estime Peter Hortensius.

Il y a dix ans, Lenovo s’adossait à la notoriété des ThinkPad dont IBM voulait se débarrasser faute de profitabilité. Si les fabricants de téléviseurs, Haier et Changhong (également bien installés au CES) n’adoptent pas cette stratégie, Hisense l’embrasse avec force aujourd’hui. Pour la première fois, le numéro un chinois de la télévision (et numéro trois mondial) présentait publiquement cinq téléviseurs de 43 à 70 pouces (déclinés en 25 variantes) labellisés Sharp. Ces derniers ne toucheront que le marché US puisque la firme chinoise rachetait, l’an dernier, la branche américaine du constructeur japonais (et une usine mexicaine) pour 23,7 millions de dollars.

Voisin du stand d’Intel, l’espace de 1 000 m2 d’Hisense abritait aussi la Vidaa Mirror, une tablette borderless (aux bords fins et élégants) innovante. Un pas supplémentaire vers une reconnaissance que la firme tente aussi de gagner via du sponsoring en Nascar et en Formule 1.

Capables du pire comme du meilleur, les acteurs high-tech chinois ont finalement acquis un indiscutable savoir-faire à force de sous-traiter pour des grands noms comme Apple ou Nokia. Mieux, les constructeurs de l’empire du Milieu s’adossent à leur marché local de 1,3 milliard de consommateurs qui constitue une plate-forme de lancement formidable avant de partir à l’exportation. Autre vent favorable, l’affaiblissement de grands noms japonais comme Sony ou Toshiba leur permet de grappiller des parts de marché sur le secteur des smartphones et des téléviseurs.

Surclassement obligatoire

Comme Hisense, TCL, l’autre buzz asiatique du CES, brade ses prix pour offrir des téléviseurs 4K (ultra HD) d’un mètre de diagonale tournant aux alentours de 400 euros, soit 30 à 40 % moins chers que la concurrence coréenne et japonaise.  » Je n’ai pas le sentiment que le made in China sonne mal ici « ,déclare Ludovic Leray, porte-parole d’Alcatel One Touch, versant mobile de TCL qui occupe le sixième rang du marché mondial des smartphones.  » Tout le monde sait que les iPhone ne sont pas fabriqués en Amérique mais en Chine. « Originaire du sud-est de la Chine, l’entreprise qui livre des téléviseurs sous son propre nom et sous le label Thomson en Europe est aussi le quatrième producteur mondial de téléviseurs.

A Las Vegas, l’entreprise présentait ainsi le X1, téléviseur haut de gamme tarifé à 3 000 euros. Non content de proposer un équipement audio signé Harman Kardon, le poste 4K de 65 pouces embarque ainsi le Dolby Vision et du HDR, technologies permettant une image plus nette et plus précise.  » Pour une marque encore peu connue comme TCL, c’est un beau pari, car le S78 que nous présentions l’année passée ne dépassaient pas les 1 500 euros « ,remarqueJean-Yves Fabre-Darcourt, responsable des ventes européennes de TCL Multimedia.  » A la différence de beaucoup de nos concurrents, TCL possède ses propres usines dont deux à Shenzhen (sud-est de la Chine). Sharp ayant abandonné, il n’y a donc plus que Samsung, LG et TCL qui fabriquent et vendent leurs panneaux LED sous leur marque. « 

Comme Huawei, TCL occupait un stand dont la surface et la scénographie en imposaient parmi les 3 600 stands du CES. Le tout pour une opération séduction vitale aux Etats-Unis.  » Le niveau de saturation n’a pas encore été atteint en Chine mais tous les industriels doivent anticiper ce moment. D’autant que le marché domestique ne se dirige pas vers des croissances phénoménales. On a beaucoup évoqué le ralentissement de l’économie chinoise, elle encore en bonne santé mais il faut être mondial. « 

Par Michi-Hiro Tamaï

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