» Cela bouge enfin du côté francophone « 

A l’instar des Flemish Primitives, école créée au nord du pays en 2008 par quelques chefs enthousiastes, La Génération W, lancée cette année par le chef de L’Air du temps, veut promouvoir l’image de la gastronomie du sud.

« Cette tendance de la starification des chefs est née avec l’avènement des émissions de télévision il y a une vingtaine d’années aux Etats-Unis et en Grande- Bretagne, sous l’impulsion de personnalités charismatiques comme Gordon Ramsay ou Jamie Oliver, raconte Sang-Hoon Degeimbre, chef de L’Air du Temps, l’un des trois restaurants 2-étoiles de Wallonie. Avant cela, le cuisinier, c’était l’artisan de l’ombre, cantonné dans sa cuisine, quelqu’un qui ne savait pas spécialement se vendre. Cela a ouvert les yeux du grand public. Ce côté médiatique a explosé avec l’Espagnol Ferran Adrià, chef d’El Bulli. Créateur de la gastronomie moléculaire dans les années 1990, il a revalorisé l’image d’une cuisine jusque-là mineure, ce qui a fortement bénéficié à l’Espagne. Les Scandinaves ont rebondi en se recentrant sur la culture du produit sous l’impulsion de René Redzepi, chef du Noma à Copenhague. Tous ont compris l’importance stratégique de ce secteur.  »

El Bulli et Noma ont tous deux trôné plusieurs années en tête du classement de référence mondial, le célèbre 50 Best, établi par le magazine britannique Restaurant. Le must du tourisme gastro-chic mondial. Rentabilité garantie pour les deux établissements avec des retombées pour de nombreux autres restaurants du pays et pour les industries nationales du jambon Serrano, de l’huile d’olive, du hareng ou du flétan.

Flemish Primitives, au nord

Chez nous, c’est en Flandre que les chefs sont devenus des  » bekende Vlamingen « .  » Sergio Herman, chef du Oud Sluis, a incité toute une génération à aller de l’avant, poursuit Sang-Hoon Degeimbre. On parlait d’avant-garde en Flandre comme en Espagne. Ces chefs ont créé une charte pour définir ce qu’était leur cuisine (association de goûts, qualité des produits, technicité…). Quand on va manger en Flandre, on sent cette ligne de conduite. Cette révolution a-t-elle été rendue possible par la richesse de la région ? Peut-être, mais c’est avant tout un virage de style qui s’est opéré. Il y a vingt ans, les restaurants flamands étaient baroques et rococo. Grâce aux émissions de télé, les chefs ont été mis en avant, ils ont bougé, absorbé des tendances venues de l’extérieur, noué des liens avec le secteur du design et emporté avec eux un large public.  »

Cette école, baptisée les Flemish Primitives, a été initiée en 2008 par quelques esprits enthousiastes. A la clé : des rencontres de chefs, des congrès, des invitations lancées aux leaders d’opinion de la gastronomie dans le monde entier… Un mouvement pour doper le business.  » A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de considération pour la gastronomie en Belgique, rappelle Jean-Pierre Gabriel, auteur, photographe, qui fut l’un des initiateurs des Flemish Primitives. L’argent venait essentiellement des entreprises, des petits soutiens, très peu du secteur public. A Bruges, on a même payé 40 000 euros pour louer le centre où l’on a organisé le congrès. Rien à voir avec les 8 ou 9 millions investis au Pays basque pour faire de Bilbao une capitale gastronomique. Mais l’esprit d’entreprise et la cohésion des chefs a fait le reste.  » En Flandre, le résultat est probant : la région compte désormais trois restaurants triplement étoilés, dont deux à Bruges et dix 2-étoiles. Une locomotive économique.

Génération W, au sud

S’inspirant de l’exemple flamand, Sang-Hoon Degeimbre a lancé cette année Génération W, un groupe d’une dizaine de chefs wallons étoilés désireux de promouvoir l’image d’une région bien moins dotée : trois 2-étoiles seulement. Objectif : doper le chiffre d’affaires du secteur en profitant de la dynamique née du Plan Marshall mis en place par le gouvernement wallon.  » C’est le fruit du hasard d’une rencontre avec Henri Monceau, l’un des responsables de la cellule Creative Wallonia au cabinet du ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt, raconte le chef de l’Air du Temps. Suite à un congrès auquel j’ai participé, il a été convaincu que la gastronomie était un élément intéressant de promotion du terroir du sud du pays. Nous leur avons présenté un projet clé sur porte en leur demandant des moyens financiers. Cela représente un budget de 200 000 euros. Ce n’est pas énorme. Nous avons publié un livre, qui a déjà coûté 35 000 euros. Le reste, ce seront quelques émissions télé… essentiellement de la communication.  »

Bruxelles avait déjà montré la voie en 2012. Pendant un an, l’année de la gastronomie a valorisé les restaurants bruxellois et mis en avant les chefs avec une série d’événements symboliques comme Dinner in the Sky – des chefs cuisinant sur une plate-forme portée par une grue à 50 mètres au-dessus du sol – ou le Tram Experience, un repas étoilé servi à bord d’un véhicule de la Stib.  » Un investissement global de 4 millions d’euros qui a eu d’importantes retombées médiatiques et qui constitue un tremplin pour d’autres projets, défend Olivier Marette, responsable de VisitBrussels, l’office du tourisme de la capitale. Même si nous n’avons pas en Belgique la capacité financière que des lobbys agroalimentaires offrent à d’autres pays.  »

 » C’est une bonne chose que cela bouge enfin du côté francophone, commente Jean-Pierre Gabriel. Mais le mouvement wallon ne pourra réussir que s’il reçoit le soutien de l’industrie agroalimentaire. Je rêve que le jambon d’Ardenne devienne un produit reconnu dans le monde entier. A Bruxelles, on s’est félicité des retombées et il est vrai que la photo de Dinner in the Sky était iconique. Mais je suis désolé : je ne crois pas que cela a créé quelque chose de très profond.  »

O.M.

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