Cela a fini par arriver près de chez nous

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

La Belgique n’échappera pas à la révolution Woodstock. La pop contamine les festivals et Wallace Collection sort son fameux tube : Daydream.

 » Avec Woodstock, c’est l’avènement d’un nouvel acteur des années 1960 qui apparaît en Belgique : la jeunesse. Et un mode de consommation qui doit beaucoup à l’Amérique.  » Claude Javeau n’a jamais été un hippie mais parlez-lui de Janis et de Jimi, il connaît. Né en 1940, il est déjà professeur de sociologie à l’ULB en 1969, conscient que la vie ne sera jamais plus la même depuis l’invention du… transistor.  » Il accélère le culte de la jeunesse, permet Salut les Copains, et introduit une musique qui tranche sur la vénérable chanson française. Avec le juke-box Wurlitzer et l’électrophone portatif Teppaz, le transistor va changer considérablement la donne, comme la télévision d’ailleurs. La jeunesse devient autre chose que de la chair à canon ou la réplique des parents, et ce, dans une époque où tout le monde n’a pas encore le téléphone fixe.  »

Mai 1968 n’est vécu que tièdement en Belgique – quand Paris éternue, la Belgique a la goutte au nez dixit Javeau -, les événements sont ailleurs. Déjà communautaires, à Leuven en 1968 avec le fameux  » Walen buiten « , conséquences des premiers tripatouillages qui, dès 1963, établissent la frontière dite linguistique.  » Il y a aussi l’écho de la guerre du Vietnam, rappelle Javeau, d’ailleurs la musique change, elle se durcit, comme si elle prenait en compte le refus de cette guerre. Et puis Woodstock, c’était aussi les filles à poil, très jolies d’ailleurs, qui sous-entendaient une plus grande permissivité sexuelle. La pilule avait enfin trouvé le moyen de ne pas faire grossir sa consommatrice de vingt kilos en quelques semaines. Et puis Woodstock amenait le culte de la drogue. Et chose incroyable, on pouvait voir tout cela à la télévision.  » Tout à coup, la culture yéyé de début de décennie – les adaptations en twist des rythmes d’outre-Atlantique, les jeunes gens cravatés, les filles bombardées à la laque – paraît terriblement inconsistante, naïve, ringarde. La Belgique de la fin des années 1960 est une sorte d’électron libre, moins coincée que la France pompidolienne qui voit partir un monarque finissant, de Gaulle, pour le règne fermement centralisé du pouvoir.  » La Belgique, elle, est en situation d’attente, déclare Javeau. Le fédéralisme se met en place, une grande réforme universitaire est en cours, la Flandre monte en puissance, le bassin wallon décline, Baudouin est sur le trône depuis presque vingt ans.  » La Belgique de papa prend des couleurs, même si l’allure de notaire rigoriste du Premier de l’époque, Gaston Eyskens, coiffure sèche, diction anthracite, est aussi dévoyée qu’un week-end chez les carmélites.

Le Daydream de Wallace

Apparaissent les premières couleurs fantasques d’une mécanique pop : le Festival Jazz Bilzen créé en 1965 est déjà contaminé par le rock et Wallace Collection décroche un plantureux tube international, Daydream. Cette scie pop noyée de cordes enchanteresses est l’£uvre d’un groupe mélangé : on y trouve un guitariste ostendais, un batteur-chanteur bruxellois, un bassiste luxembourgeois. Surtout, le Wallace met ensemble des musiciens issus de la scène rock embryonnaire et quelques brillants jeunes gens formés au Conservatoire, Raymond Vincent entre autres. C’est notre métissage à nous. Woodstock agit comme une détonation lointaine dont on cherche les traces poudreuses près de chez nous. Le rassemblement de l’île de Wight 1969 – quelques jours après Woodstock – confirme que le gigantisme jeune est à la page. Et puis, un autre festival arrive, accidentellement, de ce côté-ci de la frontière. Planifié d’abord à Paris, puis mis en exil par les autorités françaises qui n’en veulent pas, le rassemblement pop imaginé par le magazine Actuel (1) échoue bizarrement dans un petit village du Hainaut, Amougies, fin octobre 1969. Pas de corps alanguis et dénudés comme ceux des collines de l’Etat de New York à la mi-août mais quelques milliers de freaks en parkas, soumis à l’automne belgicain, considérablement bluffés par les syllabes psychédéliques de Pink Floyd ou Frank Zappa. Cinq ans avant les débuts de Torhout-Werchter, une décennie avant qu’un artiste belge rock (Machiavel) ne puisse remplir Forest-National, Woodstock – popularisé par le film et le disque – devient le symbole d’une jeunesse qui n’a pas encore renoncé à changer le monde. En cela, on peut espérer qu’il soit indémodable.

(1) La première version du magazine (1968-1975) est très agit-pop, branchée contre-culture et (free) jazz. Actuel renaît en 1979 comme annonciateur des branchées années 1980.

Philippe Cornet

la détonation woodstock se fera entendre jusqu’à… Amougies

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