© paul rousteau

Casablanca Confidential

La Marocaine Meryem Aboulouafa distille, dans son premier album, ses mélancolies pop, introspectives et précieuses, en équilibre entre modernité électronique et tradition classique.

Ce n’est pas dénigrer que d’écrire que, jusqu’à récemment, le Maroc n’a que rarement quitté la périphérie de la pop culture mondiale. Les choses changent pourtant. Ces derniers temps, le pays a vu ses artistes trouver de plus en plus souvent le chemin de l’international. Et l’on ne parle pas seulement d’Hassan Hajjaj, l’Andy Warhol de Marrakech, dont les photos sont désormais partout. En musique aussi, l’ébullition est frappante. Qu’elle soit le fait de la diaspora – du rappeur Hamza à Tiiw Tiiw, qui explosent les chiffres sur YouTube depuis Bruxelles, en passant par le combo gnawa blues franco-marocain Bab L’ Bluz ou la productrice électro ?????Glitter??. Mais aussi du Maroc même, comme les rappeurs Shayfeen & Madd.

Comprendre la complexité humaine, le combat entre la foi, la raison et le coeur.

Maghreb is the new cool ? La dernière preuve en date est fournie par Meryem Aboulouafa. Le mois dernier, la jeune femme a sorti son tout premier album, intitulé sobrement Meryem, sur le label français branché Animal63. En onze titres et trois langues (anglais principalement, arabe et français), la musicienne de 31 ans propose une folk indolente aux reflets électroniques. Elle la distille avec une langueur que certains n’ont pas hésité à rapprocher de celle de l’Américaine Lana Del Rey – le côté drama lover en moins. Sa bio officielle cite encore les noms de James Blake ou Kate Bush. Oum Kalthoum aussi, même si la diva égyptienne semble être surtout là pour coller aux origines de Meryem Aboulouafa plus que comme une influence avérée.  » Je l’ai bien sûr écoutée, mais ce n’est que récemment que je suis revenue sur sa musique de manière plus attentive « , précise d’ailleurs l’intéressée, jointe alors qu’elle passe le confinement chez elle, à Casablanca.

Pas question de renier ses racines pour autant. D’ailleurs, si Meryem Aboulouafa se fond assez facilement dans une certaine mélancolie pop anglo-saxonne, c’est bien avec un titre en arabe – une reprise du traditionnel Ya Qalbi – , qu’elle s’est fait remarquer…

De Casa à Roma

Avant d’en faire, la musique est d’abord la bande-son du quotidien de la jeune femme. Surtout celle que son père fait passer dans le salon, ou rassemble sur des compilations à écouter sur la route des vacances. Sans trop détailler, Meryem Aboulouafa évoque les goûts d’un paternel marqué par le rock sixties – celui qui a fait de Marrakech l’une des étapes de prédilection des errances psychédéliques hippie.  » Il y avait du Cat Stevens, les Stones, les Beatles, Neil Young ou encore Pink Floyd.  » De la musique française (Piaf, Brel, Brassens) se glisse aussi dans ces cassettes maison.

Plus tard, Meryem Aboulouafa intègre le conservatoire, où elle apprend le solfège et le violon. La musique est alors une évidence. Mais pas forcément une option.  » Je voyais ça un peu comme un plaisir coupable. Longtemps, j’ai eu du mal à admettre que je pouvais gagner ma vie en faisant un métier tellement agréable et beau.  » Elle s’inscrit donc aux Beaux-Arts de Casablanca, où elle étudie l’architecture d’intérieur et le design.  » Cela m’a permis de conserver une dimension artistique, mais en prenant moins de risques.  »

La musique finira malgré tout par la rattraper. En 2009 d’abord, quand, au bout d’un workshop, l’un de ses morceaux est utilisé pour une vidéo projetée sur la cathédrale du Sacré-Coeur, lors du festival de Casablanca.  » Suite à cela, j’ai reçu beaucoup d’encouragement et de soutien.  » Comme celui de Moulay Driss Alaoui M’Daghri, poète et figure culturelle marocaine importante, qui fut plusieurs fois ministre. En 2015, il propose à la jeune femme de participer à la résidence artistique qu’il organise chaque année en Italie. Le voyage sera décisif. A Rome, Meryem Aboulouafa tombe amoureuse de la ville et de la culture. Elle fait également la rencontre du pianiste-compositeur Francesco Santalucia. Avec lui, elle enregistre notamment une première version de Ya Qalbi, qu’ils finissent par envoyer à Manu Barron, le boss du label Animal63.  » Tout s’est déroulé de manière très naturelle. Très vite, il nous a proposé de rassembler et retravailler toutes les maquettes que nous avions enregistrées pour aboutir à un album.  »

Le disque est l’occasion de collaborer notamment avec Para One, producteur de musique électronique, qui a composé la BO de la plupart des films de Céline Sciamma.  » Pour moi, il était capital de trouver le bon équilibre entre la tradition et la modernité, l’organique et l’électronique, de parvenir à créer cette surprise-là à chaque fois.  » De fait, les chansons de Meryem réussissent à distiller leur poésie crépusculaire, en mélangeant textures orchestrales (envolées de cordes incluses) et touches électroniques subtiles.

Ce flou artistique, loin des clichés, est l’une des principales qualités de la musique de Meryem Aboulouafa. Il se retrouve également dans les paroles, majoritairement en anglais, que la chanteuse Keren Ann a aidé à peaufiner.  » Elle a contribué à faire le tri entre certains textes ou à corriger certaines imperfections, préciser des idées parfois mal traduites. Mais tout en restant assez évasive.  » Puisque c’est bien là l’avantage de la langue de Shakespeare.  » Avec l’anglais, mes paroles sont plus ouvertes. Cela permet à chacun de rentrer plus facilement dans la chanson. Un titre comme The Accident, par exemple, est inspiré d’un fait réel – une amie a été sauvée par son père, qui s’est jeté sur elle pour la protéger. En utilisant le « you » anglais non genré dans la chanson, le texte reste plus vague. L’auditeur peut se placer où il veut.  »

Aujourd’hui, vu l’écho de plus en plus important que reçoit sa musique, Meryem Aboulouafa a dû mettre en veille son agence de design intérieur, baptisée… Introspectus. Un nom qui correspond bien à sa musique, branchée sur son monde intérieur.  » Je veux que tu acceptes mes paradoxes, et essaie de comprendre la complexité humaine, le combat entre la foi, la raison et le coeur, les besoins et les envies « , chante-t-elle, en anglais, sur Deeply. Plus loin, en arabe cette fois, elle insiste encore :  » Je promets de m’aimer quoi qu’il arrive.  » Puisqu’au fond,  » c’est un peu le fil rouge de l’album : accepter les autres tels qu’ils sont, mais aussi s’accepter soi-même, apprendre à se réaliser, à faire le deuil de certaines choses pour être au plus près de soi… « 

Meryem Aboulouafa, Meryem, dist. par Animal63/Pias.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire