Rosanne Mathot

Carioca sauce samouraï

Où des samouraïs débarquent au Geyser, en pleine carioca, lors de fiançailles gay, devant un Alain Delon mortifié.

 » Il fallait prendre à gauche, sur le Ring !  »

Juchée sur son destrier de guerre blanc, la samouraï avait le visage comme une friche ravagée par l’agacement. La Japonaise enfonçait un index rageur dans les plis de la carte Michelin chiffonnée, achetée du côté de la Baraque de Fraiture, lors du périple entamé, six mois plus tôt, au Japon, avec ses trois frères d’armes. Destination : Munich (1 et 2).

 » Gare de Bruxelles-Midi, deux minutes d’arrêt !  » interrompit une voix désincarnée.

 » Ah ! On est en Belgique !  » réagit la Japonaise au cerveau bolide.

Un vent frisquet s’immisçait sous les armures des cavaliers, les enflant comme des ballons. Le quatuor avait les pieds mouillés, pissait la pluie et le découragement. Alors, comme une molécule de soleil sous l’averse, le Geyser scintilla à l’horizon. Dans un fracas de sabots, les quatre silhouettes s’élancèrent vers le café. Là, deux hommes chantaient, les manches relevées jusqu’aux coudes, le col ouvert, la chemise dépassant à moitié du futal.

 » Sais-tu danser la carioca ?  » s’esclaffait le duo, en se contorsionnant sur le parquet, dans les bras l’un de l’autre (3). La foule opinait avec conviction, lançant des  » Vive les futurs mariés !  » Ça applaudissait. Ça embrassait le vieil Heinrich, l’homme à tout faire du café, et son fiancé, si gais qu’ils en avaient tous deux les joues rouges, comme des pommes.

 » Voilà donc des fiançailles belges ?  » se réjouit Yasuke, commandant une tournée de saké, un sourire de neige trônant sur son visage ébène (4). En sueur, Goliarda la serveuse, plus moustachue que jamais, s’approcha, plateau à la main, d’un senior assis en recul :  » Saké, Monsieur ?  »

 » Vas-y, ma jolie « , répondit le vieux beau, tête baissée, main baladeuse et pied voyageur, jusqu’à ce qu’il avise la moustache golardienne. Alors, le choc et le dégoût stoppèrent net le mouvement de tous ses membres. A regarder la féministe serveuse moustachue, on voyait bien qu’elle n’hésiterait pas longtemps à fournir un dentier au type qui venait de la tripoter. Elle uppercuta le vieux, lui balançant son saké à la figure : les plaisirs simples sont le refuge des gens compliqués.

 » F’est dégueulaffe ce que tu viens de faire !  » réagit Alain Delon, en se malaxant la mâchoire.  » En plus, tu ne reffembles même pas à une femme. Pas à un homme. Tu reffembles à rien, conaffe !  » (5)

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film, qui va démarrer à 20 h 15, sur la Une…

(1 et 2 ) Tsuruhime fut une célèbre femme samouraï. Elle est à l’honneur de l’exposition Splendeur de la chevalerie japonaise, à la Kunsthalle de Munich, jusqu’au 30 juin prochain.

(3) Pour les 25 ans de La Cité de la peur, des Nuls, Gérard Darmon et Alain Chabat ont dansé la carioca à Cannes.

(4) Yasuke, un esclave né au Mozambique à la fin du xvie siècle, fut le seul samouraï noir. Un biopic sortira en 2020.

(5) Le 19 mai, Alain Delon (le héros du Samouraï de Jean-Pierre Melville, en 1967) recevait la Palme d’honneur, à Cannes, malgré une pétition américaine de 20 000 signatures, dénonçant son  » racisme, son homophobie et sa misogynie « .

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