CANNIBALISME

Un archéologue britannique affirme avoir découvert des indices de cannibalisme chez nos ancêtres les Gaulois… Shocking !

La scène se déroule en 43 av. J.-C., dans le sud de l’Angleterre. Les légions romaines déferlent depuis plusieurs semaines sur les côtes britanniques et y livrent de terribles batailles contre les tribus celtes. A la veille d’un nouvel affrontement avec les soldats de César, des guerriers de la tribu des Dubonnis ont rassemblé une cinquantaine de criminels de droit commun, de vieillards et d’infirmes dans la grotte d’Alveston (South Gloucestershire). D’une pointe sèchement et méthodiquement enfoncée à l’arrière du crâne, les malheureux sont exécutés, les uns après les autres, et offerts aux dieux celtes. Le rituel achevé, les corps sont amoncelés au fond de la grotte. Certains sont décharnés et les os, qui contiennent de la moelle, découpés en deux, dans le sens de la longueur. La moelle ainsi extraite est aussitôt dévorée par les guerriers. Demain, leur énergie au combat aura décuplé et les dieux, rassasiés par le sacrifice de masse, se montreront généreux…

Mark Horton, archéologue à l’université de Bristol, n’a pas rêvé cette scène saisissante. Il l’a reconstituée après avoir découvert, dans une grotte d’Alveston, un amas d’ossements datant de cette période secouée de l’histoire des îles Britanniques. A ce stade des fouilles, les restes de sept personnes ont été dégagés, mais les chercheurs estiment que 5 % seulement des os ont été mis au jour. Selon Horton, la sépulture pourrait enfermer une cinquantaine de corps. L’archéologue croit, en effet, déceler des indices d’un sacrifice de masse. « Nous avons pu dater les premiers ossements en les soumettant à l’analyse du carbone 14, explique Horton. Ils ont tous été enterrés en même temps, il y a environ deux mille ans, au début de l’occupation romaine de l’île. Un crâne porte des traces prouvant que l’individu a été assassiné. L’analyse d’un autre os permet aussi de conclure que l’une de ces personnes était atteinte d’une maladie génétique déformant le squelette, connue sous le nom de maladie de Paget. Dans sa Guerre des Gaules, poursuit l’archéologue de Bristol, César décrit des scènes de sacrifice de masse parmi les tribus celtes du nord de l’Europe. Il suggère que les victimes de ces sacrifices étaient les individus jugés encombrants, comme les délinquants, les vieillards ou les malades. César estime, par ailleurs, que ces sacrifices, généralement organisés à la veille de grandes batailles, devaient permettre aux Celtes de prendre chez l’ennemi au moins autant de vies qu’ils en avaient offert aux dieux. » Entre le sacrifice de masse et le cannibalisme, il y a évidemment un fossé que Horton n’aurait pas franchi s’il n’avait trouvé, parmi les ossements d’Alveston, un fémur humain incisé dans le sens de la longueur. « Ce qui est un signe caractéristique d’anthropophagie, dit Horton. Car de telles entailles ne peuvent être occasionnées naturellement. Dans quel autre but que celui d’extraire et de manger la moelle peut-on inciser un os? »

L’argument ne convainc pourtant pas tout le monde. « L’incision d’un os peut simplement préparer une crémation dans le cadre d’un rituel funéraire, réplique Jean-Louis Brunaux, chercheur au CNRS (Centre national français de la recherche scientifique). Selon l’archéologue français, les Celtes pratiquaient des rites funéraires en deux temps: les cadavres étaient d’abord exposés aux agressions de l’environnement pendant plusieurs semaines, avant d’être dépecés. Les os étaient broyés, brûlés et, finalement, remis en terre. « Ce n’est pas simple de brûler un cadavre ! souligne-t-il prosaïquement. La crémation supposait toute une préparation. L’extraction de la moelle était peut-être seulement une manière de vider l’os de sa matière la moins humide, la moins combustible. » D’autres chercheurs font remarquer qu’un seul fémur fracturé est un indice assez faible pour conclure au cannibalisme. « Dans les sites préhistoriques où l’on estime que les évidences d’anthropophagie sont les plus fortes, rappelle Marylène Patou-Mathis, chercheuse du CNRS à l’Institut de paléontologie humaine, les indices sont bien plus nombreux. » Ce qui n’empêche pas la polémique au demeurant… C’est le cas, notamment, du site paléolithique croate de Krapina. Les ossements humains retrouvés sur place, attribués à l’homme de Neandertal, présentent des marques caractéristiques de boucherie. « Un squelette décharné mécaniquement présente des stries, des entailles résultant de la découpe de la viande à l’aide d’un outil en silex », explique Marylène Patou-Mathis. Plusieurs os longs ont été incisés dans le sens de la longueur. Mais il y a plus: des traces de foyers laissent penser que la viande a pu être cuite sur place. Les ossements n’ont pas été enterrés mais découverts mélangés à quelques restes d’animaux. « Un critère déterminant pour attester de l’anthropophagie en archéologie est la similitude du traitement des carcasses humaines et animales », poursuit Marylène Patou-Mathis. Face à un tableau d’indices aussi complet, les éléments récoltés par Horton, à Alveston, semblent évidemment bien maigres. D’autant que, selon Jean-Louis Brunaux, « les rituels religieux des Celtes sont aux antipodes des pratiques décrites par Horton. A cette époque, ils ne pratiquaient plus leurs cultes dans des grottes. Et ce qu’ils offrent aux dieux en sacrifice, ce sont des animaux domestiques, comme les Grecs ou les Romains ». « On peut imaginer, répond Horton, que ces sacrifices de masse, suivis d’actes de cannibalisme, étaient des événements rares, liés à des circonstances particulièrement stressantes, en l’occurrence les invasions romaines. » L’archéologue britannique estime en tout cas que, si cannibalisme il y a eu au sein de la tribu des Dubonnis, il s’agissait d’un cannibalisme rare, très ritualisé et à vocation religieuse, plutôt que d’une anthropophagie quotidienne et de type alimentaire.

Il est vrai qu’un certain nombre d’anthropologues pensent qu’une forme de cannibalisme très ritualisé – par opposition à un cannibalisme de type alimentaire – a traversé toutes les époques, et ce jusqu’à nos jours, et qu’il ne connaît pas de frontières. Les spécialistes font généralement la distinction entre « exocannibalisme » et « endocannibalisme ». « L’exocannibalisme est la consommation du cadavre d’un homme étranger au groupe, explique l’anthropologue Pol-Pierre Gossiaux, de l’université de Liège. Il est souvent associé à des pratiques guerrières. » Certains Indiens d’Amérique, de la tribu des Iroquois, par exemple, consommaient la chair de leurs ennemis tués au combat pour s’approprier leur force vitale. Une manière d’enrichir le groupe de vertus qu’il ne possède pas encore. « L’endocannibalisme, attesté dans certaines tribus de Papouasie notamment, peut faire suite à une mort naturelle, mais parfois aussi à une mise à mort. Il arrive que de vieux parents soient tués, dépecés, cuits et mangés. C’est une manière d’assurer la pérennité des qualités qui caractérisent le groupe, explique Marylène Patou-Mathis. Ou, plus simplement, d’assurer à la dépouille une conservation honorable. Ingéré, le corps ne se décompose pas. » A quelques rares exceptions, liées à des circonstances tout à fait particulières – naufragés sur un radeau (celui de la Méduse, par exemple…), rescapés d’un accident d’avion, perdu dans la montagne, une maladie mentale… -, le cannibalisme serait donc toujours une activité sociale très codée, très policée. « On ne mange pas n’importe qui n’importe comment », résume Pol-Pierre Gossiaux.

Les règles strictes appliquées lors des pratiques cannibales, leur grande variabilité selon les sociétés et leurs motivations fort complexes, écrivait récemment Marylène Patou-Mathis dans le magazine La Recherche (n° 327), doivent nous amener à repenser notre perception de cet acte que nous considérons comme abject. Nous constatons des faits: la pratique du cannibalisme par certaines populations préhistoriques n’enlève ni n’ajoute rien à leur humanité.

Dans cet esprit, l’anthropologue du CNRS serait toute prête à croire que nos ancêtres les Gaulois se sont livrés à des actes de cannibalisme. « Encore faut-il réunir suffisamment de preuves archéologiques, précise-t-elle. Ce qui ne semble pas être le cas, actuellement. »

François Louis

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