çA NE SE DISCUTE PAS

Un vrai coup de foudre ! Depuis des mois, l’animateur télé et le romancier sont inséparables. Le premier a énergiquement soutenu la candidature du second à l’Académie française. Avec succès. Histoire d’une rencontre improbable.

Leurs deux noms sont gravés côte à côte sur le carton d’invitation :  » Jean-Luc Delarue et François Weyergans seraient heureux de vous recevoir, le jeudi 25 juin, à 20 h 30.  » La réception a lieu dans les somptueux appartements que l’animateur télé occupe sur les quais, rive gauche, juste en face du Louvre. Un voiturier accueille les invités. En l’espace de quelques semaines, c’est déjà la troisième fête organisée par le présentateur de Ça se discute et le romancier belge récemment élu à l’Académie française, inséparables depuis quelques mois. Ce sera la plus belle.

Entre les majordomes qui servent du Veuve Clicquot et les £uvres d’art ultra-contemporaines collectionnées par le maître des lieux, on croise un ancien président de la République (Valéry Giscard d’Estaing), des stars du petit écran (Laurence Ferrari, Christophe Dechavanne), un quatuor de prix Goncourt (Jean-Jacques Schuhl, Jean Echenoz, Patrick Rambaud et, bien sûr, Weyergans himself), des éditeurs (Antoine Gallimard), des professionnels de l’art (Frédéric Laroque, de la galerie londonienne Hauser & Wirth, co-organisateur de la soirée)… Un étrange cocktail du petit monde des lettres et de la grande famille du show-biz déambule dans le vaste salon rouge et noir. Weyergans, toujours un peu lunaire, passe d’un groupe à l’autre. Delarue, lui, jubile de voir tout ce beau monde autour de son  » grand écrivain « .  » Je me demande si Giscard a remarqué la sculpture de Paul McCarthy représentant le Père Noël avec un godemiché géant « , s’esclaffe un invité…

Cette soirée n’est que le dernier épisode du  » coup de foudre amical  » qui a frappé Delarue et Weyergans en début d’année. L’amitié improbable entre l’animateur télé controversé et le Droopy des lettres parisiennes a pris tout le monde de court. On ne peut plus croiser l’un sans que l’autre surgisse. C’est beau comme un plateau de Ça se discute intitulé  » Tout les oppose, mais ils sont inséparables « . On les a vus jouer de l’air guitar dans le carré VIP du concert de Johnny, au Stade de France, suivre côte à côte la finale Federer-Soderling dans les gradins de Roland-Garros, fouler le bitume lors de la marche du  » don de soi  » organisée par l’association Laurette-Fugainà  » C’est fantastique, cette complicité !  » admire un critique d’art.  » Leur duo est la risée de tout Paris « , déplore un autre de leurs amis. Qui croire ? Ce ne sont pas Delarue et Weyergans qui vont nous aider à y voir clair : ils ont décliné toute demande d’interview du Vif/L’Express.

Pour bien saisir l’archéologie de cette amitié, il faut remonter à la mort de Claude Berri, à la mi-janvier. L’un – Delarue – dit avoir perdu un père de substitution, l’autre – Weyergans – un mécène. Et tous deux, un ami. Aux obsèques, Jean-Luc Delarue, qui s’était rapproché du producteur ces derniers mois – il réalisait même un film, son premier, sur sa passion de l’art contemporain – apparaît dévasté. Chez lui, face à son bureau, il a même dressé un petit autel à sa mémoire, avec bougies et photo du réalisateur de Tchao Pantin. Aussi, lors de la cérémonie au cimetière de Bagneux, est-il saisi d’émotion en entendant François Weyergans lire sur la tombe du producteur un vers de René Char :  » Notre seule ressource avec la mort, c’est de faire de l’art avant elle.  » Déjà, en 2005, il avait été bluffé par la manière dont Weyergans avait raflé le Goncourt au nez et à la barbe de Houellebecq. Etrangement, il a toujours su qu’ils deviendraint amis un jour.

Le romancier est lui aussi affecté par la mort du tycoon du cinéma français. Lui, dont les ennuis d’argent sont légendaires – on dit qu’il doit trois ou quatre livres à divers éditeurs, dont il aurait déjà brûlé les confortables avancesà – n’a pas oublié que Berri lui avait signé un contrat pour un scénario et mis à disposition un bureau en des temps de vaches maigres.

C’est l’éditeur Léo Scheer qui va rapprocher ces deux inconsolables : il a à la fois publié Salomé, le premier roman de Weyergans, et signé un contrat, en début d’année, avec Jean-Luc Delarue pour un livre de souvenirs sur la télé, qui devrait s’appeler Un service public (toujours pas sorti à ce jour). Depuis quelque temps, Scheer introduit l’animateur de Ça se discute auprès de ses amis écrivains. Cela change les idées d’un Delarue secoué par quelques récents  » pétages de plomb  » télévisés – notamment à la remise des Globes de cristal, où il avait ironisé sur les appétissants appas de Yasmina Benguigui… Et c’est ainsi que, après avoir copiné avec le pamphlétaire Marc-Edouard Nabe ou la romancière Safia Azzédine, l’animateur fait – enfin ! – la connaissance de Weyergans.

C’est le fameux  » coup de foudre amical « .  » Parce que c’était lui, parce que c’était moi « , donne pour toute explication, à un proche, le Montaigne de Réservoir Prod.  » Avec François, on parle littérature, peinture, arts premiers « , précise-t-il au magazine français TVMag. L’animateur, 45 ans, est fasciné par le  » grantécrivain « , prompt à réciter des vers à la moindre occasion. Ce dernier, 67 ans, est épaté par cette idole de la  » ménagère de moins de 50 ans  » qui collectionne les sculptures ultracontemporaines de Claude Lévêque et mène grand train. On les aperçoit parfois, se promenant sur les quais, joyeux comme deux collégiens.

Un événement va définitivement cristalliser cette amitié naissante : le 5 mars, dernier jour du dépôt des candidatures, François Weyergans annonce qu’il brigue le fauteuil de Maurice Rheims à l’Académie française. L’élection est prévue pour le 26 mars. C’est donc à un Blitzkrieg que se livre le candidat. Delarue sera son chef d’état-major. Le QG parisien du romancier, qui vit à Bambecque, dans les Flandres, est vite choisi : l’appartement de l’animateur, idéalement situé entre le siège de Grasset, son éditeur, et la Coupole. Il achète même pour l’écrivain un magnifique canapé-lit années 1930, qu’il installe dans son bureau, juste en face d’une compression étoilée en haschich (!) du célèbre artiste Adel Abdessemed. Il garnit sa garde-robe de costumes sombres, tel qu’il sied à un membre de l’Académie. Mieux, révèle Le Monde, il offre à l’auteur de Trois jours chez ma mère un stylo plume Namiki, avec lequel le candidat à l’immortalité va écrire de longues lettres à chacun des membres de l’auguste compagnie du quai Conti, leur vantant leurs £uvres et parfois les siennes… Certains, tel Giscard d’Estaing, se montrent touchés de l’attention.

Pourtant, des deux amis, c’est Jean-Luc Delarue qui semble le plus excité par cette campagne. Dans le cabinet attenant à leur bureau, sur un pylône, il scotche méticuleusement le moindre article consacré à l’élection – une interview de Weyergans à Paris Match, un entrefilet du Monde, un écho de L’Express titré  » Robbe-Grillet vote Weyergans « .  » C’était fou, se souvient un familier des petits secrets de l’Académie. Delarue m’appelait tous les deux jours pour faire les derniers pointages, académicien par académicien : « Tu crois que d’Ormesson est acquis ? Ou est-ce qu’il faut demander à Nathalie Rheims de l’appeler ? Et Romilly, est-ce qu’elle viendra au vote ? »  » D’autres trouvent qu’il pousse le bouchon un peu loin :  » Il voulait absolument que je « sensibilise » Déon « , confie un ami, qui s’est bien gardé de contacter l’auteur d’Un taxi mauve. On murmure même que Delarue a directement téléphoné à l’historien Pierre Nora, académicien influent, qu’il avait rencontré à l’occasion d’un entretien pour la très sérieuse revue française Le Débat…

Plus étonnant, dans la tradition un peu tombée en désuétude des  » grandes électrices  » de l’Académie à la Anna de Noailles, Jean-Luc Delarue organise une petite soirée de soutien à son ami François, chez lui, une semaine tout juste avant le vote. Etrange soirée à vrai dire, qui ressemble plus à un plateau télé qu’à un salon des lettres parisiennes : on y croise, devant un feu de cheminée, le comédien Mathieu Amalric, la chanteuse Dani, l’artiste Claude Lévêque, quelques critiques d’art, deux ou trois éditeurs…

Et puis, pourquoi se priver de l’arme la plus évidente ? Le 18 mars, à une semaine du scrutin, François Weyergans est le  » grand témoin  » de l’émission Ça se discute (dont les habits verts Claude Levi-Strauss et Marc Fumaroli ne doivent pourtant pas être des spectateurs bien assidusà). Après avoir rappelé sa candidature au fauteuil de Maurice Rheims, l’animateur montre opportunément la traduction chinoise de Trois jours chez ma mère et rappelle que son  » poulain  » est traduit en trente langues… Une  » promo  » un peu grossière qui aurait pu indisposer certains immortels. D’ailleurs, aux derniers pointages, Didier Van Cauwelaert, discrètement poussé par le secrétaire perpétuel, Hélène Carrère d’Encausse, part favori.

Surprise, le 26 mars, par 12 voix sur 24 votants au troisième tour, François Weyergans est élu à l’Académie française.  » Ça y est, tu es immortel !  » lui lance un Delarue aux anges. Les deux complices prennent le temps de mettre en boîte une interview  » exclusive  » du lauréat, diffusée sur YouTube le jour même. Le soir, nouvelle fiesta chez l’animateur. Madame le secrétaire perpétuel de l’Académie l’honore même de sa présence, tout comme Gabriel Matzneff, une pléiade d’éditeurs –  » Ils sont tous venus rappeler à Weyergans qu’il leur devait un livre « , persifle un invité – et les deux petits-enfants de l’heureux élu, Basile et Zoé.  » Est-ce qu’en tant qu’académicien je pourrai voyager gratuitement avec la SNCF ?  » s’enquiert avec humour le nouvel immortel. Non, le déçoit-on. Passant d’un invité à l’autre, Jean-Luc Delarue exulte. Qu’importe si son émission phare, Ça se discute, n’est pas reconduite à la rentrée ! Il a déjà un nouveau projet. Une émission littéraire. En tandem avec qui vous savez.

JÉRÔME DUPUIS

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