» C’est pire que Koh-Lanta ! « 

Plutôt que d’être envoyés en IPPJ, certains jeunes délinquants ou en difficulté peuvent participer à un séjour de rupture humanitaire en Afrique. Une expérience originale, ardue et marquante. Avec de bons résultats. Reportage au Bénin

Sur la piste de terre rouge, cahotante à vous retourner l’estomac, on imagine l’angoisse qui a dû tenailler Camille lorsqu’elle a emprunté le même chemin trois semaines plus tôt. Chaleur accablante. La brousse à perte de vue. Et ces Béninoises qui marchent inlassablement, une bassine en équilibre sur la tête, vers une destination improbable. En 4×4, il faut plus d’une heure pour parcourir les 23 kilomètres qui séparent la ville côtière d’Ouidah du village de Topkadomé. Largement le temps pour Camille de se demander ce qu’elle est venue faire dans cette galère à 17 ans et à 6 000 kilomètres de Marche-en-Famenne, où habite sa famille.

 » A l’arrivée au village, l’accueil a été sympa, reconnaît-elle. Papa Sahouegnon avait préparé un apéro sous l’arbre en mon honneur. J’ai même reçu du Coca ! Tout le monde m’a souhaité « Bonne arrivée ». Après ça, j’ai découvert où j’allais vivre pendant les 90 prochains jours.  » Une case avec un matelas par terre et une moustiquaire. Pas d’électricité, pas de frigo. Pas d’eau courante non plus, il faut aller au puits. Les toilettes : un trou dans le sol, au milieu de tout, dissimulé par une palissade de coco tressé, fort usée. La douche se résume à une bassine et une petite calebasse coupée en deux pour se rincer. La lessive se fait à la main. Tenir trois mois là-dedans ?  » C’est pire que Koh-Lanta !  » souffle Camille, sans s’arrêter de gratter les piqûres de moustiques sanguinolentes sur ses jambes.

Les murs des cases sont ocre comme la terre. Quand on est désespéré, cela paraît presque agressif. Les premiers jours, la jeune fille a beaucoup pleuré, recroquevillée dans son coin. Trois semaines plus tard, elle esquisse un sourire.  » Je me rends compte que les enfants n’ont rien, ici, confie-t-elle. Ils jouent avec un bout de bois et un cerceau. Moi, en Belgique, j’allais au bistrot plutôt qu’à l’école. Je fuguais tout le temps.  » A Topkadomé, cernée par la brousse, elle ne prendra pas ce risque…

Elle voudrait néanmoins déjà rentrer en Belgique. L’éducation béninoise à la chicotte la révolte, même si elle sait que son père d’accueil ne lèvera jamais la main sur elle.  » OK, j’ai choisi, avec le SAJ [NDLR : Service d’aide à la jeunesse], de venir au Bénin, mais je ne m’attendais pas à ça. J’étais en guerre avec mes parents. Maintenant, ils me manquent. Je leur écris souvent.  » Sa mère lui envoie des colis avec de la grenadine, des biscuits. Mais malheureusement pas de pâtes aux scampi, son plat préféré.

Sans télé, sans GSM, sans PC

Les séjours de rupture en Afrique n’ont rien du Club Med. Pour les jeunes qui relèvent le défi, le changement est brutal. Mais, plus que le manque de confort matériel, c’est surtout l’ennui qui est difficile à apprivoiser.  » Il faut plusieurs semaines pour s’habituer au temps africain. Au début, sans télé, sans GSM, sans PC, sans Nintendo, je ne savais pas comment occuper mes soirées. Désormais, je parle et je ris beaucoup avec les jeunes du village et le temps passe très vite, trop même « , raconte Maxime, 17 ans, à Souk Potomé, près de Comé.

Le premier mois, ce jeune Carolo préparait ses valises, prêt à repartir, chaque fois que son éducateur béninois venait le voir dans son village. Il avait même ajouté son prénom à ceux de ses jeunes prédécesseurs, sur le mur de sa case, pour montrer que, pour lui aussi, le séjour était terminé. Mais son  » éduc  » l’a poussé à s’accrocher. Petit à petit, Maxime a abandonné son look précieux, coupé ras ses cheveux gominés, fermé les yeux sur la poussière qui ternit son tee-shirt et appris à manger de la pâte de maïs – qui le dégoûtait tant – avec les mains, comme son papa d’accueil Gabriel. Ses trois mois sont presque terminés. Il resterait bien une semaine de plus…

Le choix de partir en Afrique est contraint pour certains jeunes.  » J’ai d’abord refusé de partir, mais c’était le Bénin ou l’IPPJ, se souvient Jérôme, 17 ans, de La Louvière. J’en ai vraiment chié les premières semaines. Mais, aujourd’hui à la fin de mon séjour, le bilan est OK.  » Au village Toupé, du nom de son père d’accueil, Jérôme a appris à sarcler le maïs à la main, à cultiver des tomates et à planter des bananiers. Il nous montre les cuves de  » sodabi  » que fait macérer papa Toupé, un alcool à 70 degrés, fabriqué à partir de vin de palme, et le petit temple vaudou, sur lequel a été peint un serpent, mais où il est interdit d’entrer.  » Quand je suis arrivé, j’étais considéré comme un étranger, dit-il. Puis, comme un villageois comme les autres, même si je suis le seul Blanc. Ce sont les villageois eux-mêmes qui me l’on dit. « 

Pas un mot pendant plusieurs jours

Marco, 15 ans, est un vrai dur. Avant de prendre l’avion pour Cotonou, ce Liégeois venait de passer – selon son propre décompte – 2 ans, 2 mois et 7 jours, à l’IPPJ de Braine-le-Château. Pour une bagarre qui s’est très mal terminée. Ses complices majeurs croupissent à Lantin. Après ce long enfermement, le juge de la jeunesse lui a donné la chance de se refaire au Bénin. Mais Marco a, lui aussi, bien failli craquer au début. Le 30 septembre, il a débarqué tête basse dans le village de Dahé, à quelques kilomètres de Comé, et n’a pipé mot pendant plusieurs jours. Papa Edoublé, qui a accueilli six autres ados avant lui, l’a laissé faire, tout en l’emmenant sur ses chantiers.

Depuis quatre semaines, Marco travaille dur, en apprenant la maçonnerie. Il a de l’énergie à revendre. Après avoir fabriqué du béton à la main, de 8 à 18 heures, avec un break de trois heures au milieu de la journée, il va encore défricher le potager du village, avant le repas du soir. Une fois dans sa case, il s’écroule sur son matelas.

Aujourd’hui, Marco semble parfaitement intégré. Il nous salue en dialecte Sahoué ( » Nado O lédo ? « ), croque à pleines dents dans une racine de manioc, se promène à l’africaine en tenant la main de son pote et voisin Ferdinand, sans plus penser qu’il n’y a que les homos qui font ça.  » Je monte aux cocotiers. J’ai même porté dans les bras un boa que les villageois ont ensuite tué et mangé « , confie-t-il, lui qui, avant son départ de Belgique, nous disait avoir une trouille bleue de ces reptiles. Près de la grande paillote, construite par plusieurs jeunes en séjour à Dahé, des gamins courant pieds nus l’appellent pour jouer au foot, sous le regard ravi de son éducatrice locale, Estelle.

Un meilleur suivi en Belgique…

L’aventure béninoise est bien partie pour Marco. C’est son retour en Belgique qui préoccupe l’équipe de l’ASBL Amarrage. Depuis sa première année, il vit sous l’autorité d’un tuteur légal. Il n’a jamais connu son père et a quasi toujours vécu en famille d’accueil, avant de  » péter les plombs « , comme il dit, à l’âge de 11 ans. Envoyé alors à l’internat, c’est là qu’il retournera après le Bénin.  » Nous pourrons encore le suivre pendant deux mois, comme le prévoient nos statuts, explique Nathalie van Innis d’Amarrage. Ensuite, il devra se débrouiller. Personne ne sait ce qui l’attend.  » La phase de suivi est manifestement trop courte pour permettre aux asbl de vraiment faire fructifier les séjours de rupture. En effet, l’atterrissage en Belgique constitue une autre aventure pour ces jeunes qui ont appris à prendre du recul en Afrique.

Pierre-Guillaume, 16 ans, qui a déjà éclusé pas mal de collèges en Belgique, ne sait pas non plus de quoi sera fait l’avenir quand il rentrera à Villers-la-Ville. Il va devoir discuter avec le juge de la jeunesse pour savoir s’il ira vivre avec son père ou avec sa mère. A moins qu’il adhère à un projet de mise en autonomie… En attendant, il profite de son séjour dans le village de Tohouin. A mi-parcours, il lui reste 45 jours et plein de projets en tête.

 » Comme j’ai appris la menuiserie ici, je voudrais fabriquer de petites tables et chaises pour l’école maternelle, comme ça les enfants ne seront plus assis par terre, annonce-t-il. J’ai aussi pensé à équiper le puits d’un système de poulies pour répartir la force de tir.  » Il est vrai que le spectacle des femmes tirant, toute la journée, des cordes au bout desquelles pendent de lourds bidons d’eau fait peine à voir.

Spectacle mémorable

Pierre-Guillaume voudrait encore passer de longues soirées avec son chef de village, un féticheur vaudou qui lui révèle la manière dont se déroulent certaines cérémonies.  » J’ai compris à quoi servent les offrandes d’animaux, sourit-il fièrement. Le sang est destiné à entrer en contact avec les morts. La chair, elle, est consommée.  » Sans oublier les soirées télé : il y a un poste pour tout le village, alimenté par un groupe électrogène. Lorsqu’on l’allume, dehors, la foule se presse et fait la fête. Un spectacle mémorable qui a fait oublier à Pierre-Guillaume celui du petit écran qu’il a l’habitude de regarder, en silence, en Belgique.

DE NOTRE ENVOYé SPéCIAL THIERRY DENOëL

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