C’est le Pérou!

Aucun doute, la scène convient à Tintin! L’ébouriffant spectacle de Gaaikema et Van Laecke est bien dans l’esprit d’Hergé, au grand bonheur de tous, y compris des tintinophiles les plus pointus

Que les puristes se rassurent: ce Temple du Soleil est tout vibrant de l’esprit de liberté et de loufoquerie qui fit la fortune de son inspirateur. Et, comme dans le fabuleux corpus du maître de la ligne claire, il y en a pour tout le monde, par couches séparées ou confondues, d’âges, de sensibilités, de cultures, de milieux.

La première de la version française, donnée le 28 mars au palais des Beaux-Arts de Charleroi, fit la joie d’un public surchauffé dans un même élan de reconnaissance et d’émotion.

Reconnaissance, à coup sûr, et dans tous les sens du terme, pour avoir retrouvé dans les deux albums concernés – Les Sept Boules de cristal et Le Temple du Soleil – les images les plus chères: le capitaine Haddock arrivant après son cheval, la belle Madame Clermont dans le public du music-hall, Madame Yahmila tombant évanouie, Milou hurlant durant l’air des Bijoux, le capitaine surgissant sur scène coiffé d’une tête de taureau, la foudre tombant sur la momie, les savants dans leur chambre d’hôpital, et, plus loin, la rencontre avec Zorrino, le rapt du condor, le passage de la chute d’eau, l’arrivée catastrophe dans le temple, le sacrifice sur l’autel de Pachacamac et son issue mirifique.

Emotion, aussi, pour avoir découvert, en plus du délectable archiconnu, une nouvelle investigation des situations et des personnages, avec, en étoile de première grandeur, la Castafiore époustouflante de Jacqueline Van Quaille, scintillante au point même d’éclipser, si l’on ose dire, ses compagnons d’aventure.

Le rapport entre les planches de la BD et celles de la scène – surtout dans le traitement offert ici par Frank Van Laecke, coauteur du spectacle et metteur en scène – fonctionne à tous les coups. Loin de l’approche réaliste (faiblesse du cinéma et même du dessin animé), on reste dans le rêve hergéen, où la moitié au moins du travail, anciennement confiée au lecteur, est à charge du spectateur.

Outre la mise en scène, spectaculaire, l’apport nouveau est évidemment la musique, le chant et la danse, trois disciplines pour lesquelles chacun des personnages semble avoir été spécialement inventé. Ne parlons pas de Bianca, une vraie cantatrice, à la scène et à la ville: elle l’emporte de loin, d’autant qu’après les Marguerite, Butterfly et Carmen (abondamment citées, on connaît la passion ambiguë de Hergé – inspirée par E.P. Jacobs, lui-même baryton – pour l’art lyrique), Jacqueline Van Quaille semble avoir ici trouvé le rôle de sa vie.

Castafiore mise hors jeu, le Tintin du Français Vincent Heden est idéal de gentillesse et de ferveur. Parfait physique de bon jeune homme, voix claire et juste, adresse et sportivité: Tintin, quoi… Il est flanqué d’un Milou fidèle, répondant au doigt et à l’oeil, incomparable dans son duo avec Bianca. Le capitaine du Canadien Frayne McCarthy est un bel Haddock, certes, mais un peu vert, manquant d’épaisseur scénique – surtout en comparaison de son égérie milanaise – et, parfois, de voix. Tournesol délicieux de Jacky Druaux, brillants Dupont et Dupond de François Langlois et Franck Vincent, danseurs accomplis, et bouleversants Fleur (la petite fille des Clermont, personnage inventé) et Zorrino, rôles parlés et chantés, tenus chaque soir par des enfants différents.

La musique de notre compatriote Dirk Brossé s’inscrit avec efficacité dans la tradition de la comédie musicale: thèmes francs et reconnaissables, conduite dynamique et mélodies simples, pour lesquelles l’adaptation française de Didier Van Cauwelaert nous a semblé étrangement maladroite, en particulier dans le traitement des e muets.

Enfin, signé Martin Michel, le volet chorégraphique du spectacle, qu’on aurait pu croire étranger au monde d’Hergé, paraît au contraire magnifier les mille entrechats esquissés à longueur de vignettes: voyez les retrouvailles de Tournesol et de Bergamotte, l’affolement des infirmières devant les savants en crise ou la cérémonie des Incas!

Au palais des Beaux-Arts de Charleroi, jusqu’au 5 mai. Tél.: 071-31 12 12 ou 0900-84900; www.musicaltintin.com – www.pba.be

Martine D.-Mergeay

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