» C’est le Père Noël de l’Etat… « 

Le président de la Commission des jeux de hasard, Etienne Marique, a déjà demandé de pouvoir contrôler la Loterie nationale. Entretien.

Le Vif/L’Express : Le week-end dernier, malgré les suspicions de fraudes cachées par la Loterie nationale, les Belges ont joué autant que d’habitude. Révélateur ?

> Etienne Marique : Les joueurs sont conditionnés. C’est une habitude et un besoin. Il n’y a là plus rien de raisonné. Le jeu s’est banalisé. On jouait quinze fois moins il y a vingt ans. A l’époque, les joueurs étaient gênés et se cachaient. Aujourd’hui, ils se vantent d’avoir joué. Ce phénomène n’est pas propre à la Belgique. Cela dit, on n’en est pas encore arrivé à la culture chinoise du jeu où pour être un homme il faut jouer. En tout cas, il s’agit indéniablement d’une question de société dont il faut débattre.

D’autant que de plus en plus de joueurs sont pathologiquement accros…

> Ceux qui ont vraiment atteint le fond et sollicité une interdiction d’accès aux salles de jeu sont au nombre de 10 000 en Belgique. Parmi ces joueurs interdits volontaires, beaucoup demandent de pouvoir rejouer, puis d’être à nouveau interdits… Certains ont déjà signé une interdiction à neuf reprises ! Sachez qu’à chaque demande il faut un délai de trois mois pour retrouver l’accès aux salles. Il serait peut-être intéressant d’imposer à ces joueurs récidivistes un bilan psychologique pour voir s’ils maîtrisent le jeu et s’ils ont les moyens financiers de rejouer. Cela n’existe pas. On leur demande juste une simple déclaration.

Ces interdictions volontaires ne sont pas prévues pour la Loterie nationale. Mais peut-on parler de dépendance, ici aussi ?

> L’assuétude n’est pas la même. Dans le cas de la Loterie, elle s’avère moins agressive. Mais il s’agit tout de même bien d’une assuétude. Il est clair que des gens jouent aux jeux de la Loterie pour des montants au-dessus de leurs moyens.

Selon l’arrêt Gambelli, la Loterie a l’obligation de canaliser le jeu, alors que sa logique est purement commerciale. Cette position schizophrénique est-elle tenable ?

> Cela lui permet de garder le monopole. Il y a quelques années, le budget consacré à la publicité par la Loterie était proportionnellement deux fois plus important que celui de la Française des jeux en France. La Loterie distribuait des jeux gratuits aux jeunes dans les festivals d’été. Aujourd’hui, elle s’est un peu calmée. Elle a constitué le Comité du jeu responsable. Cela dit, je n’ai jamais vu aucun rapport de ce comité. Globalement, il y a un problème d’indépendance

La Loterie arrive bientôt sur Internet. Est-ce préoccupant ? Comment le contrôle s’effectuera-t-il ?

> Il s’agira, ici aussi, d’une autorégulation. Officiellement, les standards techniques seront confiés à des sociétés externes, mais dont les administrateurs seront des responsables d’autres loteries européennes. Cette autorégulation est pernicieuse. On le voit à Malte : les règles sont chaque fois adaptées pour répondre aux exigences commerciales. Pour moi, le danger est que le public des jeux en ligne est très jeune.

Ne serait-il pas plus judicieux que la Loterie se trouve sous le contrôle de la Commission des jeux de hasard ?

> J’ai défendu cette idée en 2002, lorsque la loi sur la rationalisation et la gestion de la Loterie a été votée au Parlement. Mes arguments : la transparence financière, la sincérité des jeux, le professionnalisme de la Loterie en matière de jeux, car ceux-ci sont fournis clés sur portes par des entreprises privées. Il me semblait cohérent que la Loterie fasse l’objet d’un même contrôle que les opérateurs du privé, comme le veut la jurisprudence de la Cour de justice européenne de Luxembourg. Le Parlement ne m’a pas suivi. Dans les autres pays, c’est la même chose. Les loteries, ce sont des Pères Noël pour les Etats.

Propos receuillis par thierry denoël

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