C’est la crise, vendez votre corps !

Tenté par une journée au lit, payée 100 euros ou plus ? Devenez testeur de médicaments, le secteur recrute ! Mais pas à n’importe quel prix.

Alors, combien va-t-on en tuer ce mois-ci ?  » La sentence ne concerne pas la dizaine d’hommes et de femmes alités. Tous volontaires, ils testent des molécules dans des locaux de la firme pharmaceutique Pfizer, situés dans un des bâtiments de l’hôpital Erasme. Sous surveillance médicale, ces  » cobayes  » participent à des études de phase 1, celles qui succèdent à l’expérimentation sur animaux. En échange de leur contribution à l’avancement de la science, les  » sujets  » (leur appellation officielle) reçoivent un dédommagement : on ne parle pas de salaire, car nul ne peut vendre son corps. Quant au Dr Dirk Vander Mijnsbrugge, directeur médical de cette unité, et à sa collaboratrice Marie-Gabrielle Di Matteo, ils n’assassinent ici que de futurs médicaments potentiels. Sur une quarantaine d’essais annuels, très peu des substances examinées échappent au glaive des investigateurs. Si les produits ne sont pas jugés sûrs, ils reçoivent un enterrement de première classe : chacune de ces études dites  » de phase 1  » coûte entre 100 000 et 700 000 euros à l’entreprise. Dont plusieurs centaines d’euros pour chaque volontaire.

Mais qu’est-ce qui pousse des hommes et des femmes sans problèmes de santé à avaler – ou à se faire injecter – un produit dont certains effets sur les êtres humains sont encore inconnus ? C’est simple : en immense majorité, ils veulent mettre du beurre dans leurs épinards. Ils parlent, aussi, de faire progresser la médecine. Ou invoquent les deux à la fois.

Il y a un peu plus de deux ans, le Dr Laurent Hermoye a créé un site, Volterys, destiné à mettre en contact les volontaires et ceux qui en ont besoin. La demande provient d’hôpitaux, de laboratoires pharmaceutiques ou médicaux, du secteur de la nutrition et de l’industrie du cosmétique. Révélatrice de l’intérêt grandissant du grand public, cette banque de données contient déjà 25 000 noms (transmis pour une misère : de 3 à 10 euros chacun). Tous les mois, environ 1 000 nouveaux volontaires s’y ajoutent.

Outre le bouche-à-oreille, un grand nombre de testeurs répondent aux appels d’offres publiés par les firmes dans des journaux gratuits.  » Nous recrutons en permanence « , souligne le Dr Vander Mijnsbrugge. Les étudiants en médecine, traditionnellement présents dans ce type d’essais, ont tendance à déserter. Mais les volontaires de 20 à 30 ans ne sont pas difficiles à trouver, contrairement aux personnes d’un certain âge sans traitement médicamenteux, véritables perles rares. Du côté des femmes, risque de grossesse oblige, il n’est pas aisé non plus de dénicher le bon profil.

Volontaire, tout un métier !

Devenir  » cobaye  » ne se fait pas toujours en douceur.  » Quand j’en ai parlé au boulot, j’ai entendu beaucoup de critiques. On m’a dit que j’étais bête, on m’a demandé si je n’avais pas peur !  » raconte une femme qui participe à un essai Pfizer destiné à mesurer le seuil de douleur chez des patients souffrant d’ostéo-arthrite. Régulièrement, comme pour ses trois compagnes de chambre, on vient appliquer un petit appareil sur son poignet : l’expérience cesse dès qu’elles ressentent la moindre souffrance.  » Sans des gens comme nous, rien n’avance, lance l’une d’elles. Quand j’ai répondu à la petite annonce, je ne savais même pas que c’était dédommagé ! « 

Dans tous ces essais, l’indemnité varie au prorata des désagréments liés à l’expérimentation. Plus on vous réveille, plus on vous pique (et selon l’endroit piqué !), plus vous risquez de vous retrouver sous perfusion, plus la prime augmente, passant de 100 à 200 euros par jour. En France, pour éviter l’émergence de  » cobayes professionnels « , on a fixé un seuil fiscal maximal de 3 800 euros de revenus par an gagnés grâce à ces tests.

Ce centre de recherches partage son répertoire avec d’autres industriels : cela permet de vérifier que les volontaires espacent les essais de plusieurs mois. Les  » pros « , ceux qui complètent régulièrement leurs revenus, choisissent donc avec soin les études qu’on leur propose et optent pour les plus longues, davantage lucratives. Chez Pfizer, un testeur n’est pas appelé plus de deux fois par an.  » Dommage, lance l’un d’entre eux : la nourriture est très bonne.  » Sans parler du confort de la salle de jeux et de celle de cinéma !

Des tests qui profitent surtout à l’industrie

Aucune étude ne peut débuter avant l’accord d’un comité d’éthique médical et sans le consentement éclairé des sujets, informés de ce qu’ils vont tester. Ils sont libres de quitter l’essai à tout moment et sont alors indemnisés en fonction de la durée de leur prestation.  » A priori, je n’accepterai jamais un médicament en neurologie ou en cardiologie « , assure l’un d’entre eux. Moins anxieux, son voisin de lit ne pose aucune exclusive : il a confiance dans le suivi et l’encadrement de ce centre.

Avant d’être progressivement augmentées, les doses distribuées sont au moins 100 fois inférieures à celles qui ont été supportées par des animaux. En 2006, en Grande-Bretagne, l’essai d’un anticorps monoclonal avait entraîné une réaction sévère chez six volontaires : certains n’ont eu la vie sauve que grâce à un passage aux soins intensifs. Depuis cet épisode exceptionnel, la sécurité des volontaires est davantage encore un souci majeur.  » C’est simple, la législation actuelle ne permettrait sans doute plus de faire passer une molécule comme l’aspirine, sourit le Dr Vander Mijnsbrugge. En tout cas, chez nous, on arrête si tout le monde ressent des effets secondaires.  » Dans la chambre de ces dames, on se gausse un peu de celle qui, en ce troisième jour d’essai (un par mois), n’a  » jamais mal à la tête « . Et une pique part en direction de celle qui ronfle la nuit. Comme le raconte Michèle Julien dans son enquête Le monde ignoré des testeurs de médicaments (éditions du Cygne), la promiscuité est parfois plus redoutée – ou redoutable – que la molécule testée !

 » Indispensables, les essais font progresser la médecine « , plaide le Dr Hermoye. Pourtant,  » tester des médicaments, ce n’est pas gagner facilement de l’argent « , rappelle Michèle Julien. Sévère, elle évoque  » de la chair à canon, une armée de pauvres et d’anonymes recrutés sous le prétexte fallacieux de libérer les peuples de la maladie et qui servent surtout aux profits de l’industrie « . Aïe, cette piqûre fait mal. Mais elle reste insuffisante pour décourager ceux qui se rêvent parfois en  » héros méconnus de la science « . l

Pascale Gruber

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