Budget Les questions qui fâchent

La guerre du rail a commencé. Une guerre économique. Il faudra faire des sacrifices, mais sur quels postes ? Les gares ? Le prix de la sécurité n’est-il pas trop élevé ?

Pas de surprise : avec un bilan qui ne sera pas encore à l’équilibre et des moyens réduits, la SNCB va devoir consentir des économies. Le gouvernement a déjà annoncé qu’il était hors de question qu’on touche aux investissements liés à la sécurité. Buizingen est encore dans toutes les têtes… On ne pourra pas non plus freiner les investissements en matériel roulant, le core-business de la société ferroviaire. Les 300 locos Desiro commandées à Siemens, qui sont toujours en cours d’homologation, commenceront à rouler dès cet été.

Restent les grandes gares. Après l’accident de Buizingen, de nombreuses voix s’étaient élevées pour dénoncer ces projets mégalos lancés aux dépens de la sécurité des passagers. La vapeur semble s’inverser désormais. Au point qu’on peut se demander si les budgets consacrés à la sécurité ne sont pas excessifs. Autant de questions qui fâchent.

Faut-il sacrifier les gares de Mons et Gosselies ?

Si les années 1990 ont été dominées par l’obsession du TGV, la décennie 2000 a été marquée par une autre monomanie : celle de vouloir construire à tout prix des gares cathédrales. A des coûts souvent exorbitants. Plus de 750 millions d’euros pour Anvers-Central, près de 500 millions pour Liège-Guillemins… On annonce 600 millions pour la gare souterraine de l’aéroport de Gosselies. On peut s’attendre à au moins 200 millions pour la gare Calatrava de Mons.

 » Les projets pharaoniques, c’est très bien, du moment qu’on a les moyens du pharaon « , tance Dominique Dalne (CSC-Transcom). Or l’heure est aux restrictions budgétaires et aux économies.  » Cela va supposer des arbitrages douloureux « , prédisait Laurence Bovy, présidente du conseil d’administration de la SNCB, dans Le Vif/L’Express de la semaine dernière. Avant d’ajouter :  » Il faudra étaler des investissements non directement liés à la sécurité et à la ponctualité. C’est-à-dire retarder d’autres projets d’investissement, comme peut-être ceux liés aux gares, même si ces rénovations sont nécessaires… « 

Reporter les investissements des gares de Mons, Gosselies ou Ostende ? L’idée enfle de plus en plus, d’autant que les budgets prévus pourraient servir d’autres ambitions.  » Le projet de Gosselies va bouffer les investissements ferroviaires nouveaux en Wallonie pendant au moins une législature, tout ça pour subsidier Ryanair « , gronde François Schreuer, de l’ASBL Urbagora dédiée à la mobilité.  » L’argent englouti dans la gare de Liège aurait permis de rénover une bonne centaine de petites gares wallonnes, ne fût-ce que pour disposer de toilettes dignes de ce nom, d’un petit parking et d’un éclairage correct « , déplore le sénateur François Bellot (MR).

Mais les grandes gares sont souvent liées à des grands formats de la politique – Mons au Premier ministre Elio Di Rupo, Ostende au vice-Premier ministre Johan Vande Lanotte – et ont fait l’objet de marchandages entre eux. Il sera difficile de remettre ces projets en question. Autant s’attaquer à un rouleau compresseur avec un lance-pierre. Illustration : le 13 septembre dernier, la Commission régionale de l’aménagement du territoire (Crat) avait remis un avis défavorable sur le dossier Calatrava à Mons. Dix jours plus tard, la commission était à nouveau convoquée, cette fois avec des membres qui n’y avaient plus siégé depuis longtemps, et le projet est passé comme une lettre à la poste…

Revenir en arrière pour Gosselies et Mons ? Pas vraiment envisageable. Mais on pourrait revoir les prétentions à la baisse. Pour Charleroi Airport, une solution moins coûteuse serait en réflexion avec le métro de la ville. Pour Mons, le projet pourrait être simplifié, pourquoi pas ? C’est en tout cas la revendication de la très active Association pour la sauvegarde du quartier de la gare. Selon celle-ci, les travaux de rénovation s’élèveraient à 130 millions tout compris si on maintenait le bâtiment actuel de la gare, toujours fonctionnel. On se contenterait de la passerelle et de la rotonde de l’autre côté des voies, imaginés par l’architecte Santiago Calatrava.

A titre d’exemple, la rénovation de la gare de Gembloux, sixième gare de Wallonie juste après Mons, a coûté 13 millions d’euros, parking compris.  » Il y a eu un effet d’entraînement sur les abords de la gare, explique le bourgmestre de Gembloux, Benoît Dispa (CDH). Tout le quartier en a bénéficié. De nombreux investisseurs privés se sont manifestés. Or il ne s’agissait pas, ici, d’un projet dispendieux. Mais cela n’a rien enlevé à l’effet levier sur le développement de toute la zone. « 

3,7 milliards pour la sécurité, c’est trop ?

Une apocalypse. La fin d’un monde. La catastrophe ferroviaire de Buizingen, le 15 février 2011, a non seulement endeuillé la Belgique. Elle a aussi traumatisé, pour longtemps, l’ensemble de la SNCB et du monde politique. A tel point que la sécurité, plus encore que la ponctualité des trains, a aujourd’hui été érigée en priorité des priorités. On sait que le rail belge a pris du retard dans ce domaine, depuis les années 1980, alors qu’auparavant son système de sécurité, basé sur les cabines de signalisation, était cité en exemple et même copié en Europe.

La SNCB prévoit aujourd’hui d’équiper son réseau de la norme européenne ETCS, le must en matière de sécurité. Ce système permet le contrôle automatique et continu de la vitesse des trains. Mais il coûte cher, très cher : 400 000 euros par locomotive. Initialement, la couverture totale du réseau belge n’était prévue que pour 2030. Suite au drame de Buizingen, l’installation du système ETCS a été accélérée, et devrait être achevée en 2023. En attendant, une solution boiteuse sera mise en place : le TBL1+, une conception belgo-belge, qui permet de freiner les trains qui roulent à plus de 40 km/h à 300 mètres d’un signal rouge. Ce système-là devrait être entièrement opérationnel en 2015. Mais il est moins performant.  » En cas de franchissement d’un signal, le TBL1+ couvre 75 % du risque contre 95 % pour l’ETCS « , souligne Ronny Balcaen, député fédéral Ecolo, qui a participé à la commission Buizingen.

Quel sera le prix à payer pour renforcer la sécurité du rail ? Le montant de 3,7 milliards d’euros est cité : 2 milliards pour le gestionnaire d’infrastructure Infrabel et 1,7 milliard pour l’opérateur SNCB.  » Les objectifs de sécurité fixés auront un impact sur l’achat du matériel, détaille Marc Descheemaecker, administrateur délégué de la SNCB. Le système ETCS n’est pas toujours compatible avec les trains vieux de vingt ou trente ans. Ce matériel ancien devra être remplacé d’ici à 2023. Mais il est difficile de chiffrer le coût supplémentaire que cela représente. « 

A coup sûr, la facture sera astronomique. A tel point que certains s’interrogent : des investissements aussi colossaux sont-ils rationnels ?  » Psychologiquement, après Buizingen il était difficile de faire autrement, observe Pierre Havelange, le président du Comité consultatif des usagers. Mais il est clair que cela aura des conséquences sur le reste… « 

François Schreuer se montre plus critique.  » Le système ETCS, on y va, tant mieux, ça a plein d’avantages. Mais la question, c’est : à quel rythme ? Moi, je pense qu’il faut le faire au rythme du renouvellement du matériel. Si, pour accélérer le mouvement, on doit encore plus sabrer dans les autres budgets de la SNCB, alors que le service actuel est déjà calamiteux, cela ne me paraît pas une bonne politique. « 

De plus, insiste cet activiste, le train reste de loin le mode de transport le plus sûr :  » Pour sauver des vies, mieux vaut investir de façon générale dans le rail. Un transfert modal de 10 % des navetteurs de la route vers le rail, ça épargnerait probablement beaucoup plus de vies qu’anticiper de quatre ou cinq ans l’application du système ETCS. « 

Un raisonnement que réfute l’écologiste Ronny Balcaen.  » Si on ne met pas en place une protection automatique des trains, on peut revivre une catastrophe comme celle de Buizingen, peut-être même en plus grave, prévient-il. Si des personnes sont prêtes à prendre ce risque-là, qu’elles le disent !  » Le débat budgétaire ne fait que commencer.

THIERRY DENOËL ET FRANÇOIS BRABANT

 » Les projets pharaoniques, c’est très bien, du moment qu’on a les moyens du pharaon « 

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