Budget : ce qu’on vous cache

Le temps est à l’orage ? Sans aucun doute. Mais cela ne devrait pas servir d’alibi pour faire mentir les chiffres. C’est pourtant ce que fait le gouvernement, lorsqu’il prétend avoir concocté un budget de l’Etat  » en équilibre  » pour 2009.

« Le temps est à l’orage « , lançait Yves Leterme, le mardi 14 octobre à la tribune de la Chambre, en guise d’ouverture à son discours sur l’  » état de l’Union « . Commentaire d’un haut fonctionnaire des Finances découvrant, effaré, les  » à-peu-près  » et les mensonges du budget de l’Etat pour 2009, tout nouveau, tout frais :  » Tout le monde sait que lorsque le temps est à l’orage, ce n’est pas le moment d’ouvrir son parapluie : non seulement ce dernier se retourne au premier coup de vent mais, en plus, il attire la foudre.  » En l’occurrence, pourtant, c’est bien ce qu’a fait le gouvernement au cours de son dernier exercice budgétaire : ouvrir son parapluie.

Disons-le d’emblée. La confection du budget de l’Etat n’est pas une opération en chambre : elle dépend étroitement du contexte dans lequel elle se déroule. Et là, on est servi : temps de grosses turbulences, en effet. Par conséquent, on ne pouvait honnêtement pas s’attendre à ce que la copie remise par le gouvernement soit d’une netteté irréprochable, vierge de toute rature et tenant parfaitement compte de toutes les évolutions conjoncturelles à venir. Au c£ur de la crise financière, plus aucune prévision ne tient la route. Mais, en cette période chahutée, justement, la plus grande prudence aurait dû s’imposer. Il aurait suffi, pour cela, de quelques minutes de courage politique. Une qualité qui fait autant défaut, aujourd’hui, que les fruits d’une croissance désormais en berne. Pleins feux sur ces chiffres que l’on maquille et qui feront mal, demain.

Un budget en équilibre ? Allons donc ! Cela fait déjà quelques années que le gouvernement cache la vérité à ce propos. Depuis 2003, l’équilibre budgétaire n’est plus que virtuel : l’Etat dépense davantage, engrange moins de recettes et dissimule son déficit sous des artifices et des opérations comptables. En 2007, il a bien dû avouer un déficit de 0,3 % du produit intérieur brut (PIB). L’année 2008, elle, se soldera vraisemblablement par un déficit de 1,05 % du PIB, en lieu et place de l’  » équilibre  » annoncé. Quant à 2009, même les plus rodés n’osent imaginer l’ampleur des dégâts. En cause ? Une surestimation  » systématique et hallucinante  » des recettes. Déjà, pour confectionner le budget 2008, on avait eu recours à des estimations beaucoup trop optimistes.  » Dans quelques mois, lorsque le château de cartes se sera effondré et que l’on disposera des vrais chiffres des recettes pour cette année, on constatera un trou de plus de 7 millions, prédit un  » chien de garde  » des finances publiques. Et, en 2009, ce sera bien pire encore.  » Une croissance à 1,2 % ? Du flan ! Le Bureau fédéral du Plan, cet organisme chargé d’effectuer des prévisions (de croissance, d’endettement, du taux de chômage, etc.) et d’évaluer les conséquences budgétaires des choix politiques, a misé sur une croissance de 1,2 % pour 2009. C’était avant la crise financière. Tout le monde s’entend pour dire que cette prévision ne tient absolument plus la route. Depuis, le Fonds monétaire international (FMI) a fixé à 0,2 % le taux de croissance espéré pour l’ensemble de la zone euro. Il aurait donc fallu revoir toute la copie, refaire toutes les simulations, réévaluer chaque politique en fonction de cette nouvelle donne. Impossible, dans le délai imparti. Or un point de croissance en moins, cela représente 1 milliard d’euros de recettes en moins. Lorsque sera venu le temps des corrections budgétaires (au printemps 2009 d’abord, à l’automne ensuite), l’ardoise sera salée. Le Fonds de vieillissement ? Aux oubliettes ! L’ensemble des dépenses sociales (pensions, soins de santé, incapacité de travail, chômage, prépensions, allocations familiales, etc.)  » mange « , chaque année, près du quart du produit intérieur brut. Entre 2011 et 2050, ce coût va exploser, jusqu’à phagocyter un tiers du PIB. En cause, principalement : le vieillissement de la population, qui va provoquer une hausse importante du coût des pensions et des soins de santé. Pour pouvoir accuser le choc, la Belgique s’était engagée à réaliser chaque année un surplus primaire (c’est-à-dire la différence entre les recettes et les dépenses) de l’ordre de 6 % du PIB, susceptible de faire diminuer le poids de la dette et d’alimenter de manière régulière et structurelle le Fonds de vieillissement, un  » bas de laine  » affecté uniquement aux pensions futures. Mais voilà : cela fait trois ans que ce fonds n’est plus alimenté. Cela dit, les pensions, on les paiera toujours. Les quelque 2 millions de pensionnés (davantage demain) forment la majorité du corps électoral : aucun politique ne serait suffisamment fou pour se fâcher avec cette imposante catégorie d’électeurs. Ce seront donc les actifs, toujours eux, qui devront, demain, mettre la main au portefeuille. Absence de courage politique La dette publique ? En hausse ! Si la Belgique respectait ses engagements européens, elle devrait réaliser des surplus budgétaires et proscrire tout nouveau recours à l’emprunt. Les surplus, on l’a vu, relèvent désormais du registre du rêve. Et il est inutile de rappeler que le gouvernement a emprunté massivement pour sauver les banques de la faillite. L’alourdissement du taux d’endettement – de 80 % à 83 % du PIB – grèvera annuellement le budget de l’Etat de quelque 500 millions d’euros supplémentaires. En outre, il faudra bien, un jour ou l’autre, rectifier le tir et réorienter la dette publique à la baisse : la moyenne européenne, vers laquelle la Belgique s’est engagée à tendre, est située autour des 70 % du PIB. La faute à la crise financière ? Pas seulement !  » C’est la première fois que la lecture du budget de l’Etat me met si mal à l’aise, commente un ponte de l’administration des Finances. C’est l’illustration caricaturale de la politique de l’autruche et du mensonge érigé en politique budgétaire.  » Recettes en panne (mais sciemment surévaluées), dépenses en hausse, parce que chaque famille politique veut avoir  » quelque chose  » à offrir à son électorat : si l’on continue à ce rythme-là, les comptes vont virer au rouge de manière structurelle. Tout ce qui permet de sauver la face aujourd’hui coûtera cher, très cher, demain.  » Chacun sait cela, confirme un  » cabinettard « . Mais aucun responsable politique n’a le courage de le dire officiellement.  » Le fond du problème est bien là, en effet : dans cette absence de courage politique, que certains justifient tant bien que mal par le risque d’une nouvelle montée du populisme. Pour rappel : en 1995, Jean-Luc Dehaene s’est fait réélire avec un beau score. Pourtant, sous la législature précédente, le même Dehaene avait parrainé un  » Plan global  » de sinistre mémoire et une cohorte de mesures d’austérité. La preuve que le courage et la vérité paient parfois davantage que l’aveuglement et le mensonge… l

Isabelle Philippon

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