Bruxelles, la victime?

La nouvelle Belgique fédérale se met lentement en place. Qui perd? Qui gagne?

Votés en juin 2001, les fameux accords du Lambermont sont entrés en vigueur le 1er janvier dernier. De quoi bouleverser la vie des Belges? Pas encore… Certains effets de cette cinquième réforme de l’Etat sont différés. Ainsi, la Communauté française ne sera refinancée de manière significative qu’à partir de 2004. Les Régions n’ont pas encore chamboulé, dans les communes, l’organisation dont elles ont désormais la responsabilité (mode d’élection du bourgmestre, extension du droit de vote aux immigrés, etc.). La coopération au développement sera régionalisée… plus tard. Le gouvernement s’est engagé à ratifier une convention européenne qui protège les minorités nationales, mais le nord du pays maintient ses deux pieds sur la pédale de frein. Ce qui annonce de nouveaux incidents communautaires, notamment dans la périphérie de Bruxelles, où la tension monte à nouveau. Ainsi, le FDF et le PSC viennent d’annoncer de possibles recours contre les accords institutionnels devant la Cour d’arbitrage.

En revanche, il y a du neuf sur le terrain fiscal. Surtout en Flandre. En 2002, il vaudra mieux être riche, pensionné, propriétaire immobilier, raccordé à la télédistribution et… flamand. Au nord de la frontière linguistique, en effet, les projets d’allégement fiscal foisonnent. Logique: ces revendications financières et symboliques constituaient le principal moteur des négociations institutionnelles de 2000-2001.

Précisément, ces accords sont-ils de bonne facture, équitables et équilibrés? Dans sa dernière livraison, le Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp) fait le tour de la question (1). Premier constat: la Communauté française empoche les sous, mais elle n’est pas la seule; la Région flamande augmente son autonomie fiscale, mais celle-ci est limitée. Bref, « l’accord est équilibré », disent Géraldine Van der Stichele et Magali Verdonck, assistantes, respectivement, aux Facultés universitaires Saint-Louis et à l’UCL. Un constat rassurant: après la loi de financement de 1989, le Crisp avait été parmi les premiers à annoncer la défaite francophone…

Un fédéralisme plus mûr

Mais deux bémols incitent à la prudence. Un: le marchandage entre Communautés s’est opéré au mépris de l’indispensable solidarité financière, qui stabilise tous les Etats fédéraux. Deux: même si une étude universitaire commandée par le ministre-président de Donnea prétend le contraire, la Région bruxelloise se trouve dans une situation préoccupante. Elle n’a pas obtenu qu’on remédie à son handicap fiscal chronique. Repliée sur un territoire étriqué, la capitale compte bien davantage d’usagers (de ses commodités, de ses transports, de ses services divers) que de contribuables. Dans la mesure où elle dépend pour 50 % d’impôts nouvellement régionalisés, sa situation budgétaire est (encore) moins stable qu’avant. Pis: si la concurrence fiscale entre les Régions tourne à l’aigre, elle sera le dindon de la farce. D’autant que le « filet de sécurité » prévu en faveur des entités qui s’appauvrissent risque bien d’être inopérant, révèlent les deux chercheuses. L’ennui, c’est que le fédéralisme à la belge devient dangereux quand il s’assimile à une marche forcée et contraint un partenaire à quémander, comme ce pourrait être le cas de Bruxelles dans un avenir rapproché.

« Cela dit, estime le Crisp, il ne faut pas noircir le trait. Les francophones ont un peu trop tendance à diaboliser les Flamands et à considérer que chaque décision politique prise au nord du pays est destinée à leur nuire. A l’avenir, les entités fédérées ont les moyens de mener une gestion plus efficace. On pourrait ainsi se diriger vers un fédéralisme plus mûr et plus constructif, où dominerait la coopération. » On peut toujours rêver. Car le dossier du Crisp pointe une série inquiétante de vices de forme. Il dénonce l’opacité des débats institutionnels – dirigés par des techniciens – et le flou artistique de certaines décisions, dont les répercussions économiques sont mal évaluées. Les Régions devront donc se prémunir contre les excès de concurrence fiscale et l’Etat fédéral devra se méfier: quand une Région ou une Communauté bloque les discussions, c’est lui qui paie le prix fort pour sauver les accords en gestation.

(1) Les modifications de la loi spéciale de financement dans l’accord du Lambermont, Courrier hebdomadaire du Crisp, 02-211 01 80.

Philippe Engels

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