Brad Pitt Star, mais pas que…

Il tourne, il tourne, mais refuse de se laisser piéger par la facilité. En exclusivité, l’acteur se confie au Vif/L’Express. Sur son image, les films et les causes qu’il défend, sa passion pour l’architecture…

Arrivé la veille de Berlin, où il vient de finir Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino, Brad Pitt s’est réveillé il y a à peine deux heures. Le temps d’avaler un petit déjeuner et de donner une conférence de presse, la star, avare d’interviews, arrive pourtant enjouée au rendez-vous exclusif accordé au Vif/L’Express. Brad Pitt vient d’apprendre que L’Etrange Histoire de Benjamin Button, de David Fincher, a récolté 13 nominations aux oscars, notamment pour celui du meilleur acteur. A 45 ans, il savoure le fruit de ses efforts et d’une carrière jalonnée d’engagements artistiques et citoyens.

Vous avez travaillé cinq ans sur L’Etrange Destin de Benjamin Button, vous qui répétez ne pas aimer les projets qui traînent en longueur. Pourquoi ?

Parce que le scénario, d’une rare perfection, brasse deux thèmes universels : la perte d’êtres chers et l’amour. Ce que j’ai vécu, que mes proches ont vécu, que vous avez vécu. Et qu’a vécu David Fincher, qui, pendant le tournage, a vu son père mourir d’un cancer et l’a accompagné jusqu’au bout. Ce n’est pas un film sur la mort, mais sur les espoirs qui nous animent et les liens qui nous unissent.

Cela ne colle pas vraiment avec le tatouage que vous avez sur le bras gauche :  » Absurdités de l’existence  » [en français]à

Parce qu’il n’a pas la même signification : cette phrase est tirée de la préface du livre de Marianne Pearl sur son mari et véhicule l’idée que certaines choses sont si graves qu’elles défient la compréhension. [Brad Pitt a produit l’adaptation du livre : Un c£ur invaincu, de Michael Winterbottom, avec Angelina Jolie].

D’enfant terrible de Hollywood, vous êtes devenu père de famille modèle engagé dans diverses causes. Comment ce changement s’est-il opéré ?

Je me suis tout permis parce qu’on m’y a autorisé. Et je me suis calmé tout seul. J’ai réalisé qu’à passer mon temps à boire et à fumer sur mon canapé j’allais droit dans le mur. Alors, j’ai voyagé. En Afrique – ne me demandez pas où, ce n’est pas le problème – j’ai offert un tracteur à des fermiers. Cela m’a coûté un tout petit chèque, mais quand j’ai vu la photo de la famille réjouie sur l’engin, j’ai pris conscience de l’importance de mon geste. Et que je pouvais faire beaucoup plus. L’adage qui veut que l’effort d’une personne puisse faire la différence se révélait vrai et balayait tous les cynismes qui nous persuadent du contraire.

L’élection de Barack Obama a dû vous réjouirà

Elle véhicule dans le monde entier l’image d’une Amérique qui n’a pas attendu cette victoire pour faire le constat amer de ce qui s’est passé ces dernières années. Le peuple semble se retrousser les manches, décidé à ne plus se voiler la face et à penser collectif.

Néanmoins, vous restez vivre en Franceà

La plupart du temps, oui. Il y a, ici, un art de vivre exceptionnel. La culture, la cuisine, le respectà Et l’interdiction d’attenter à la vie privée. Je ne dis pas qu’on est à l’abri de tout, mais on se sent moins agressé. Il y a peu, on a demandé aux photographes de nous laisser nous promener une journée sans nous pourchasser. Ils ont accepté. C’est la seule fois de notre vie que cela nous est arrivé. Bien sûr, il y a encore quelques dérapages, mais nos gamins mènent une vie  » normale « .

A quel moment avez-vous pris conscience de votre statut de star ?

Après Légendes d’automne [d’Edward Zwick, en 1994]. Je ne sortais que pour tourner. Le reste du temps, je restais chez moi. Je ne savais pas comment réagir, ni ce que le statut de star signifiait. Il n’existe pas de mode d’emploi pour ce genre de situation. Et il a fallu du temps pour que je développe une bonne relation avec la célébrité. Au début, elle et moi, on ne s’entendait pas très bien.

D’où quelques choix malheureux dans votre filmographie, comme Le Mexicain ou Spy Gameà

On peut voir cela ainsi. La cacophonie qui entourait ma notoriété a déréglé le baromètre de mon bon sens. Les scripts pleuvaient de partout et j’ai eu du mal à gérer. Maintenant, je sais ce que je fais.

Le film de Quentin Tarantino, Inglourious Basterds, en est-il la preuve ?

Oui, mais dire oui à Tarantino, c’est facile. Il y a peu de risques que ça se passe mal. C’est un irréductible enthousiaste qui possède une maîtrise absolue de son film. Au point d’en être obsédé. Son plateau ressemble à une église à l’heure de la grand-messe : qu’il y ait du sang, des pétarades ou des scènes de comédie, il y règne toujours une vraie conscience du travail. Et, au lieu de se prendre la tête, on prend du plaisir.

Le plaisir, justement, vous le prenez de plus en plus en dehors des plateaux. Notamment à travers votre passion pour l’architecture [voir les photos commentées]. Où en êtes-vous de ce projet d’hôtel écologique à Dubaï ?

En donnant l’information, le cabinet allemand Graft est allé plus vite que la musique : cet hôtel n’est plus d’actualité. On n’en était qu’au stade de l’élaboration, quand ils m’ont prêté des propos que je n’avais jamais tenus. Je me suis fâché. On s’est expliqué. Et on travaille désormais sur d’autres projets, encore loin d’être aboutis : un immeuble d’habitation à Tokyo et un complexe hôtelier aux Bahamas. Ecologiques, bien sûr.

Faut-il que vous admiriez Jean Nouvel pour avoir donné son nom comme deuxième prénom à une de vos filles…

L’idée ne vient pas de moi, mais d’Angie. On était en panne d’inspiration et, pour me faire plaisir, elle m’a demandé de choisir parmi mes architectes préférés. J’en ai deux : Jean Nouvel et Frank Gehry. Pour une fille, Nouvel fonctionnait plutôt bien. Mieux que Frank, en tout cas. Cet intérêt pour l’architecture n’est pas une coquetterie, mais une partie importante de ma vie. Et ce, depuis que je suis tombé en arrêt, dans ma jeunesse, devant la photo de Fallingwater, une maison de Frank Lloyd Wright construite en pleine nature. J’ai littéralement  » tripé « . Et pas à cause de ce que je fumais à l’époque ! Je vivais alors dans un petit appartement d’une banlieue modeste. Et je découvrais qu’on pouvait réinventer une maison. Je me suis mis à dévorer tous les ouvrages sur le sujet.

Vous avez bien caché votre jeu ! Après votre apparition de quinze minutes dans Thelma et Louise, on vous a limité à la belle gueule de service.

On ne cessait de me proposer des comédies romantiques. Je me suis battu, et j’ai enfin pu jouer dans Kalifornia [de Dominic Sena, 1993]. Une bonne série B où, dans le rôle d’un serial killer, je prouvais que je pouvais faire autre chose.

N’empêche : rasta drogué dans True Romance, gueule cassée dans Fight Club, barbe sale et cheveux gras dans Snatchà Et pourtant vous êtes toujours classé comme un sex-symbol. Vous n’en avez pas marre ?

Un peu, mais je m’en arrange. Cela m’offre des opportunités aussi. Comme L’Etrange Histoire de Benjamin Button : mon côté sex-symbol – c’est vous qui l’avez dit – les a convaincus que j’étais le bon choix pour un film épique romantique. Je ne cherche pas à détruire systématiquement mon image. Je veux juste expérimenter d’autres personnages. Si on me limitait à celui du beau gosse, je me tirerais une balle.

Propos recueillis par Christophe Carrière

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