Deux jours après la sortie de Blackstar, son dernier disque, l’étoile la plus singulière de la galaxie pop s’est éteinte à l’âge de 69 ans. L’ultime mise en scène d’un génie protéiforme. Hommage-voyage.

Jusqu’à son dernier souffle, le caméléon de la pop n’a jamais cessé de se réinventer. Le 8 janvier, le jour de son 69e anniversaire, David Bowie livrait son 26e album studio. Avec Blackstar, il s’aventure dans le domaine du free-jazz, une première. Celui qui a vendu plus de 140 millions de disques dans le monde se considère toujours comme un pionnier dont la créativité ne semble connaître aucun déclin. Il y a en effet plus d’idées dans une minute de Blackstar que dans l’intégralité des disques de ses concurrents. L’artiste britannique n’opte jamais pour la facilité, quitte, parfois, à commettre des erreurs. Toujours prêt à stimuler les esprits et à brouiller les pistes, il n’est jamais là où l’on attend. Le 8 janvier 2013, après dix ans de silence discographique, il dévoile sur Internet et sans préavis une ballade mélancolique déchirante, Where Are We Now ?, signe d’un improbable retour aux affaires. Un come-back prolongé par une riche exposition présentée à Londres puis à Paris. Alors, ce 11 janvier 2016, l’annonce de sa disparition, la veille, surprend tout le monde. Après un combat de dix-huit mois contre le cancer, il est parti vérifier s’il y a de la vie sur Mars. Le dernier voyage d’une incroyable odyssée.

Prophète du rock, gourou du style, David Bowie c’est le son et les images. Une carrière kaléidoscopique menée selon ses propres règles. A la fois fascinant et inquiétant, provocateur et énigmatique, le chanteur a ses fans. Et ses fanatiques. Une véritable religion. Il a aussi ses détracteurs, mais il ne craint pas les procès en hérésie. David Bowie dispose d’un statut singulier dans le monde du rock. Avant de s’isoler dans les dernières années, il fut la star la plus photographiée, scrutée, adulée, imitée de son temps. Son impact sur la culture populaire dépasse le strict cadre de la musique. Si Bob Dylan a introduit la littérature dans le rock, Bowie a, lui, intégré l’art. Puisant dans le music-hall et le mime, l’esthète balaie les frontières, amenant l’avant-garde dans les foyers. Son héritage est immense. Il a tracé la voie pour beaucoup d’artistes, de Madonna à Lady Gaga, de The Cure à Arcade Fire. Et l’homme aux mille visages a tissé un lien indéfectible avec le public.

David Bowie apparaît sur les radars en 1969, débarquant à bord de la navette Space Oddity commandée par Major Tom. Toute sa carrière est tournée vers une quête d’identité. Doté d’un talent d’acteur indéniable qu’il met à profit au théâtre et au cinéma – il a joué dans Furyo, Les prédateurs, La dernière tentation du Christ -, l’Anglais comprend que, pour survivre, il faut se métamorphoser et considérer la vie comme une scène. Le roi Bowie aurait pu prononcer la phrase de Tancrède dans Le guépard de Luchino Visconti :  » Il faut que tout change pour que rien ne change.  » L’acteur principal du film L’homme qui venait d’ailleurs anticipe les tendances, se révélant tour à tour folk, glam rock, soul, new wave, funk, électro… Il entretient son propre mythe en donnant du grain à moudre aux médias. Il joue sur sa bisexualité et l’ambiguïté des genres, s’habillant en femme sur la pochette de The Man Who Sold the World, créant le personnage androgyne de Ziggy Stardust. Il est ensuite le rockeur décadent Aladdin Sane, le perturbé et théâtral Thin White Duke, inspiré par l’expressionnisme allemand. Né David Robert Jones, le 8 janvier 1947 à Londres, Bowie fait du camouflage et de la désinformation une forme d’art.

A ses plus belles heures, il accumule la puissance commerciale, le prestige, le look. Il possède une âme de rebelle et un talent exceptionnel pour dénicher de nouveaux collaborateurs pour ses projets, que ce soit Brian Eno pour la fameuse trilogie berlinoise (Low, Heroes, Lodger), le guitariste de Chic, Nile Rodgers (Let’s Dance), ou le saxophoniste Donny McCaslin (Blackstar). Le plus fidèle de ses lieutenants est le producteur Tony Visconti, à ses côtés depuis 1970, et aux manettes du dernier album. Au coeur de Blackstar, cet astre sombre et funeste, il y a le morceau Lazarus, imaginé pour la comédie musicale du même nom, jouée actuellement à Broadway. David Bowie chante :  » Regardez là-haut, je suis au paradis/J’ai des cicatrices qui ne peuvent être vues/J’ai subi des épreuves, qui ne peuvent m’être enlevées/Tout le monde me connaît maintenant. […] Oh je serai libre, comme ce merle bleu.  » Chez Bowie, rien n’est jamais un hasard. Ces paroles sont déjà un message d’adieu.

Par Julien Bordier, avec Christophe Carrière

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